L’environnement sans le social

Nicolas Hulot : le télé évangéliste de l’écologie

L’environnement sans le social

par Nadia Djabali

La Fondation Nicolas Hulot a tenu sa grande messe à la Cité des Sciences à Paris, prêchant son Pacte écologique. L’assemblée a pieusement écouté la célébration de l’animateur télé, assisté d’Audrey Pulvar, d’Edgar Morin et de Patrick Viveret. Et applaudit les grands et beaux discours sur la « résurrection de l’espérance » ou la « sobriété heureuse »… Légère contradiction : ceux-ci étaient prononcés sous la bannière argentée d’EDF, des Autoroutes du Sud de la France, de Bouygues Télécom ou de TF1. Ceux qui financeront demain le monde selon Nicolas Hulot ?

La Cité des Sciences et de l’industrie accueillait ce 13 juin à Paris la Fondation Nicolas Hulot pour une rencontre avec les signataires du Pacte écologique, lancé pendant la campagne présidentielle de 2007, et du Défi pour la terre. L’animateur de l’émission Ushuaïa était entouré pour l’occasion d’Edgar Morin et du philosophe Patrick Viveret, caution altermondialiste de cette manifestation bon teint. La journaliste Audrey Pulvar était chargée d’animer une rencontre que l’on pourrait sans exagérer qualifier de messe tant le vocabulaire religieux était invoqué.

Plus qu’ambitieux, l’objectif affiché de la rencontre est quasi messianique. Selon la fondation Hulot, nous en serions au premier chapitre de l’évolution humaine. Le second reste à écrire. La fondation compte bien fournir l’encre si ce n’est tenir la plume en contribuant « à agréger l’ensemble des solutions » tout en faisant part « de sa vision du monde de demain. » Voici un petit compte-rendu non exhaustif de cette célébration avec un constat partagé : l’aggravation de crises multiples.

Démesure...

Nicolas Hulot : « La Terre, notre seule patrie, va mal. 850 000 personnes ont soutenu le Pacte écologique. L’humanité est un peu comme dans un fleuve en cru. Il faut changer de modèle, élargir notre vision. Cette réalité nous impose deux obligations : préserver la planète et partager équitablement. Il y a une conjonction de crises, écologique, énergétique, alimentaire, sanitaire, mais on ne peut faire l’économie d’une crise dont on ne parle pas : la crise culturelle. »

Edgar Morin : « Il y a une crise de toutes les sociétés traditionnelles désorganisées par le développement qui n’apporte pas seulement que des « richesses » mais aussi d’énormes nappes de misère. Crise du progrès, crise du futur, crise alimentaire, ces crises sont déclenchées par le dynamisme du développement, de la mondialisation, de l’occidentalisation. Ce processus déchaîné nous conduit à des catastrophes. Quand un système ne peut pas traiter ses problèmes vitaux, ou bien il se désintègre ou bien il est capable de secréter un méta-système plus riche. Le problème est de le créer. Nous sommes ici sur la voie de cette prospection. »

Patrick Viveret : « Ce qui a de commun entre toutes ces crises, c’est le couple formé entre la démesure et le mal-être. Nous entrons dans un nouveau cycle, nous sommes en train de vivre la fin du « Salut par l’économie » . Comment allons-nous garder le meilleur de la modernité (le libéralisme culturel) et le meilleur des sociétés traditionnelles (cette ouverture à la nature et cette philosophie du « bien-vivre ») ? Nous nous attelons à la construction d’un universel, d’une citoyenneté terrienne. L’enjeu, c’est de devenir sujet positif de notre propre histoire. »

Audrey Pulvar : « Nicolas, comment fait-on pour écrire le Chapitre 2 ? »

Nicolas Hulot : « Il faut passer du pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ; il faut changer d’échelle ; il faut reprendre la main ; passer à la vitesse supérieure ; ouvrir notre imaginaire jusqu’aux frontières de l’utopie (applaudissements nourris). Il y a un désarroi qui doit être cultivé pour rendre l’utopie réalisable. Il faut procéder à des renoncements consentis, il faut suspendre les rêves de grandeur et de conquête, hiérarchiser entre le vital et le superflu. La contrainte est une condition de la liberté. Il faut remettre l’économie au service de l’homme et arrêter le culte du quantitatif » (applaudissements).

Patrick Viveret : « Il faut changer nos thermomètres (les indicateurs économiques) car ils nous rendent malades. »

Nicolas Hulot : « Souvent on me dit, Nicolas tes propos se radicalisent... mais c’est la situation qui se radicalise. »

Edgar Morin : « Il faut réformer notre façon de penser. Je prône la résurrection de l’espérance » (applaudissements).

Le comédien Rufus intervient en mettant en scène un texte autour des pessimistes et des optimistes. Il conclut : transformer les pessimistes en optimistes, ça c’est la bonne nouvelle.

Audrey Pulvar : « Nicolas, qu’est-ce qu’on peut faire ? »

Nicolas Hulot : « Il faut ouvrir l’espace, être réceptif à la créativité. Osons un nouveau monde. Nous sommes dans un temps de mobilisation des énergies créatives pour mettre en œuvre le principe d’espérance dont parle Edgar Morin. »

Patrick Viveret : « Nous devons vivre conjointement cette double transformation (la transformation personnelle, et la transformation sociale). Nous lançons une stratégie mondiale de sobriété heureuse. »

Nicolas Hulot : « On lance des sondes dans l’espace, on se rend compte que la vie n’est pas la norme, elle est exception. Nous sommes Conscience dans cette exception. Il est temps de redonner du sens à cette conscience. »

Patrick Viveret : « Nous ne devons pas avoir peur de la mort. C’est la brièveté de notre vie qui est la ressource qui nous amène à privilégier l’essentiel. Nous avons besoin de l’énergie créative de la vie. Nous faisons partie d’une espèce qui a un Ministère à mener : transformer du soleil en conscience » (applaudissements).

... et mal être

Une surprise est réservée au public. Pascal Obispo est là. Les participants sont invités à découvrir son nouveau clip. Les paroles de la chanson : « Il n’y a qu’une guerre à faire aujourd’hui sous ce même drapeau. » Le drapeau c’est celui de la Terre, le combat à mener : sauver la planète.
Applaudissement de toute la salle qui se lève pour saluer Nicolas Hulot. Au même moment s’affichent sur l’écran suspendu au dessus de la scène les logos d’EDF, Bouygues Télécom, TF1, L’Oréal, Autoroutes du Sud de la France, Banque populaire, Megaman et Norauto. Tout va bien : les généreux financeurs « des énergies créatives » et de « l’utopie réalisable » répondent déjà présents. Mais ces sympathiques mécènes sont-ils prêts à consentir aux « renoncements » évoqués par Hulot (EDF vis-à-vis du nucléaire par exemple, ou L’Oréal en redirigeant une partie de ses dividendes vers ses salariés) ? Accepteront-ils de suspendre leurs « rêves de grandeur et de conquête », de hiérarchiser leur production « entre le vital et le superflu » et d’en finir avec « le culte du quantitatif » ? Ni Audrey ni Nicolas ne leur ont posé la question.

Pour ceux qui ont raté ce grand moment, il y a une séance de rattrapage à laquelle il sera difficile d’échapper. Une campagne d’affichage aura lieu du 30 juin au 6 juillet grâce au soutien des réseaux Metrobus et JC Decaux. « Pour la 7e année consécutive, l’agence CLM BBDO a réalisé gracieusement une campagne d’affichage et un spot TV » (qui sera diffusé par TF1 cet été). Quatre phrases seront déclinées sur des panneaux 4x3 dans le métro parisien et dans les abribus en banlieue et en région : « La correction de l’erreur est humaine » ; « ce n’est pas le début de la fin, c’est la fin du début » (mon préféré, NDLA) ; « une nouvelle étape dans l’évolution de l’Homme : devenir humain » ; « Si les pessimistes réfléchissaient un peu, ils seraient optimistes ». De quoi redonner du sens à notre conscience politique…

Nadia Djabali est journaliste, collabore à Basta!, à l’hebdomadaire Témoignage Chrétien et au mensuel associatif Le 18e du mois.