Mobilités citoyennes

Mobicoop, alternative à Blablacar et à son monde, veut faire du co-voiturage un « bien commun »

Mobilités citoyennes

par Fabien Ginisty (L’Âge de faire)

En proposant un service au départ gratuit, Blablacar a rapidement construit un monopole quasi-total sur le covoiturage hexagonal. 15 millions de Français paient désormais, à chaque trajet, une commission au prix fort, qui a permis à l’entreprise d’investir dans 22 pays et de racheter Ouibus, la filiale en difficultés de la SNCF. Véritable « bien commun » pour certains, le covoiturage pourrait cependant être géré différemment. C’est ce que tente de lancer une poignée de citoyens, en créant Mobicoop, une plateforme coopérative qui met gratuitement en relation les covoitureurs. Un article de notre partenaire L’âge de faire.

Treize millions de personnes en France utilisent quotidiennement leur voiture pour aller travailler. Parmi elles, neuf sur dix ne transportent qu’elles-mêmes [1]. Pour résoudre cette absurdité aux conséquences graves, le covoiturage apparaît comme une des solutions simples et faciles à mettre en œuvre. En ces temps « disruptifs », la collectivité compte sur les initiatives privées pour répondre à l’intérêt général. Avec les « investissements d’avenir », elle subventionne des entreprises pour s’implanter sur le « segment » du covoiturage courte distance. Ces entreprises sont parfois des multinationales, comme Blablacar, dont la valeur est estimée à 1,4 milliard d’euros [2].

« On est allé assez loin sur le covoiturage longue distance. On peut dire que c’est démocratisé. Maintenant, tout ce qui est domicile-travail et courte distance, ça reste une part du gâteau énorme », explique Nicolas Brusson, l’actuel directeur général de Blablacar [3].

La « démocratisation » selon Blablacar

On voit ce que donne la « démocratisation » du covoiturage à la sauce Blablacar : lever des fonds considérables de manière à proposer un service gratuit, le temps d’étouffer les concurrents, de les racheter s’ils sont trop coriaces, et d’obtenir ainsi le monopole. Ensuite, Blablacar a les mains libres pour imposer ses conditions aux utilisateurs : récupération des données personnelles, et surtout, paiement d’une commission dont le montant est, bien sûr, plus élevé que le service rendu. C’est le principe du capitalisme, il faut rémunérer le capital.

On voit mal Bill Gates faire du covoiturage : si ce mode de mobilité explose, c’est avant tout parce qu’il est le moins cher. On peut même avancer que, parmi les 15 millions de Français inscrits sur Blablacar [4], beaucoup sont contraints de faire du covoiturage car ils n’ont pas, ou plus, les moyens de faire autrement : supporter seuls les frais d’essence, acheter une voiture, prendre le train – parce qu’il est trop cher, ou que le service est défaillant. Un chiffre pour s’apercevoir de l’ampleur qu’a pris Blablacar : près de la moitié des 18-25 ans ont donné leur nom, leur âge, leur localisation, et très souvent leur photo, leurs « centres d’intérêt », et leur numéro de compte à la plateforme [5].

« Le covoiturage est un bien commun, et la plateforme doit appartenir à ceux qui s’en servent »

Conclusion : de riches investisseurs privés font de l’argent sur la paupérisation d’une partie croissante de la société, voire sur les comportements altruistes et écologistes de certains covoitureurs, le tout avec l’assentiment des pouvoirs publics. Heureusement, des citoyens ont les pieds sur terre, parmi lesquels Nicolas Raynaud. En 2011, il a mis au point une plateforme de covoiturage gérée par une association : Covoiturage libre. Par leur travail bénévole, Nicolas et les autres ont construit en quelques semaines une véritable alternative à Blablacar : la mise en relation n’est même pas effectuée à prix coûtant, elle est gratuite. Tout repose sur le bénévolat et les dons des utilisateurs, qui permettent de payer le matériel et l’infrastructure informatique. Et ça a marché : la communauté a rapidement compté des dizaines de milliers de membres. Les bénévoles se sont accrochés pour gérer le succès…

« On change de statut et de nom, mais la philosophie reste la même : on considère que le covoiturage est un bien commun, que la plateforme doit appartenir à ceux qui s’en servent. » Bastien Sibille est le dernier président de l’association Covoiturage libre. Le voilà désormais premier président de la coopérative Mobicoop, basée à Nancy, qui a repris l’activité de l’association en novembre. « Ce statut permet aux utilisateurs de devenir, s’ils le souhaitent, associés de la coopérative. Avec cet argent, on pourra vraiment développer le site internet pour proposer un meilleur service, et ne plus compter uniquement sur le travail bénévole. »

Appel lancé à tous les covoit’s

Dans la continuité de l’association, la coopérative s’engage à « ne prendre aucune rémunération sur les trajets réalisés », et à « protéger les données des utilisateurs ». Les revenus seront tirés des dons, ainsi que de prestations aux collectivités et entreprises pour la mise en place et l’accompagnement de plateformes spécifiques. Pour éviter le piège d’un fonctionnement très hiérarchisé, où « on demande aux associés de voter une fois par an pour l’équipe en place, sans leur donner la possibilité de délibérer véritablement », Mobicoop fait la part belle dans ses statuts aux méthodes dites de « sociocratie », afin de faciliter l’implication des associés dans la vie quotidienne de la coopérative.

L’appel à souscription a été lancé début novembre. L’objectif de Mobicoop est de réunir au moins 20 000 coopérateurs dans ses assemblées générales, et de collecter au moins 2 millions d’euros - la part valant 100 euros. Pas de quoi s’implanter dans 22 pays, ou racheter Ouibus comme vient de le faire Blablacar en novembre [6])… Simplement permettre aux usagers de se réapproprier le covoiturage, et leur donner les moyens de ne pas dépendre de l’ogre Blablacar. Le défi est de taille, le relever ne dépend que de nous.

+ d’infos : Pour covoiturer avec Mobicoop ou devenir coopérateur : https://www.mobicoop.fr/.

Fabien Ginisty / L’âge de faire

Photo : © L’âge de faire

Cet article est tiré du numéro de février 2019 du magazine L’âge de faire, partenaire de Basta!. Son dossier est consacré aux toilettes sèches et aux porjets d’assainissement collectif écologique. Pour en savoir plus, rendez-vous ici.

Lire aussi : Se déplacer en milieu rural : ces territoires enclavés qui développent des alternatives sociales et solidaires

Notes

[1D’après Eurostat.

[2D’après Europe1.fr, en 2015.

[3En novembre 2018 sur BFM Business.

[4Selon Blablacar.

[5Source : Blablacar.

[6Officiellement, pour « développer l’intermodalité ».