Politique

Mexique : un nouvel espoir pour la gauche latino-américaine ?

Politique

par Mathieu Paris

Le 1er juillet, près de 90 millions d’électeurs mexicains éliront leur président pour six ans et renouvelleront députés, sénateurs et conseillers municipaux. Un candidat marqué à gauche, Andres Manuel Lopez Obrador, appelé « Amlo », part largement favori. Il prône notamment la gratuité de l’école et des soins, une augmentation du salaire minimum et l’abandon du projet controversé de nouvel aéroport à Mexico. Face aux États-Unis de Trump et à un continent où un néolibéralisme brutal revient en force, le scrutin mexicain marquera-t-il le début d’un nouveau virage à gauche latino-américain ?

L’Amérique latine n’avait pas connu pareille intensité électorale depuis plus d’une décennie. En 2018, les deux-tiers des habitants du continent sud-américain en âge de voter sont invités à participer à dix élections, dont sept présidentielles ! Les deux géants latino-américains sont ainsi amenés à se prononcer : le Mexique (125 millions d’habitants) vote le 1er juillet. Le Brésil (206 millions) élira son président en octobre prochain.

Ce 1er juillet, les Mexicains voteront pour élire leur président, lors d’un scrutin uninominal majoritaire à un tour – le candidat arrivant en tête étant élu pour un mandat de six ans non-renouvelable. Les Mexicains renouvelleront également près de 2800 mandats locaux, éliront 500 députés, 128 sénateurs et neuf gouverneurs. Les espoirs de la gauche reposent sur un candidat, « Amlo », pour Andrés Manuel López Obrador, de la Coalition Juntos Haremos Historia (Ensemble nous ferons l’histoire). Après déjà deux tentatives infructueuses aux présidentielles de 2006 (35,3% des voix) et 2012 (31,6%), le candidat de gauche était crédité de près de 50 % des intentions de vote à la mi-juin.

Il devance largement le candidat de la droite, Ricardo Anaya, du Parti d’action Nationale (PAN), allié avec le centre-gauche et crédité de 25 % d’intentions de vote. En troisième position arrive Jose Meade, candidat du Parti révolutionnaire Institutionnel (PRI, centre droit), qui a dominé la vie politique mexicaine depuis 70 ans. Selon certaines enquêtes d’opinion, Amlo pourrait même devenir le président mexicain le mieux élu de l’histoire, en bénéficiant notamment d’un soutien très fort chez les jeunes. L’actuel président, Enrique Peña Nieto, issu du PRI, est l’un des chefs d’État les plus impopulaires d’Amérique latine après six années au pouvoir marquées par de nombreux scandales financiers et une violence inouïe, dans un pays gangréné par la corruption et le trafic de drogue. 60 % des Mexicains jugent que le gouvernement d’Enrique Peña Nieto est responsable de la situation actuelle.

L’un des pays parmi les plus inégalitaires et les plus corrompus au monde

Le Mexique, deuxième économie de la région, est l’un des pays parmi les plus inégalitaires et les plus corrompus au monde. La moitié des Mexicains et le tiers des entreprises du pays déclarent verser des pots-de vin aux fonctionnaires. Selon la Banque mondiale, l’activité économique liée à la corruption aurait représenté 9 % du PIB en 2015 ! Le pays est malade du narcotrafic, comme l’illustre le taux record d’homicides en 2017 (25 339 homicides). Des meurtres en hausse de 58 % depuis l’arrivée au pouvoir de Peña Nieto en 2012, selon le site d’information indépendant Animal politico. L’élection de l’actuel président avait alors été facilitée par les lobbies pétroliers et Televisa, le n°1 des médias au Mexique, au détriment déjà de Lopez Obrador.

La violence n’a pas non plus épargné la campagne électorale. Depuis septembre 2017, au moins 116 personnalités politiques ont été assassinées [1] et 400 agressées, toutes tendances politiques confondues, à un rythme qui ne cesse d’augmenter à mesure que le scrutin s’approche.

Un « Bernie Sanders » mexicain ?

D’où vient celui qu’on qualifie parfois de « Bernie Sanders » mexicain, du non du leader de la gauche états-unienne ? López Obrador a quitté le PRI en 1983, un parti qui « mélange nationalisme et populisme selon des doses variables », selon Roger Bartra, sociologue et anthropologue réputé au Mexique. Après avoir participé à la création d’un parti de centre-gauche qu’il quitte en 2012, « Amlo » fonde le Mouvement pour la régénération nationale (Morena), dont la déclaration de principes revendique une conception de gauche, prônant une société ouverte sans distinction d’âge, de sexe, de classes et d’appartenance ethnique, tout en accordant à l’écologie et à la culture une place équivalente à celle de l’économie.

Connu pour son combat contre la « mafia au pouvoir » et le système corrompu du PRI et du PAN, son programme de campagne s’articule autour des questions de respect des peuples indigènes, de sauvegarde des campagnes, d’autonomie alimentaire ou encore de droits humains et sociaux. Il propose ainsi la gratuité de l’école et des soins ou encore une augmentation du salaire minimum. La proposition la plus critiquée par ses opposants est sa volonté d’amnistier certains petits narcotrafiquants pour stopper les violences.

Opposant au projet de nouvel aéroport de Mexico

Il est cependant le seul candidat en lice à s’opposer au projet du nouvel aéroport de la ville de Mexico. Ce projet vieux de 20 ans a été réactivé par le président Nieto en 2014. Il rencontre une forte opposition des habitants d’Atenco, à une trentaine de kilomètres de la capitale, malgré la répression. Des représentants du mouvement anti-aéroport sont régulièrement venus en France, soutenir la Zad de Notre-Dame-des-Landes.

À côté de Bernie Sanders, certains analystes comparent aussi López Obrador à Jean-Luc Mélenchon, que le Mexicain avait d’ailleurs soutenu lors de la présidentielle de 2017. Le leader de la France insoumise lui a rendu la pareille, écrivant qu’Amlo est « notre candidat à l’élection présidentielle ». López Obrador peut cependant compter sur le soutien d’une partie du patronat grâce à sa réputation d’homme politique incorruptible. D’un côté Amlo a intégré dans sa coalition le très anticapitaliste Parti des travailleurs. De l’autre, il rassure une partie des conservateurs mexicains en s’alliant au Parti rencontre sociale (PES), un parti évangélique ultraconservateur opposé à l’avortement et au mariage homosexuel, ce qui trouble sa gauche.

« Le candidat du système est toujours sorti vainqueur »

Bien que largement en tête dans les sondages, à regarder l’histoire politique du Mexique, rien n’est fait. Dans une enquête du Monde Diplomatique, l’historien Massimo Modonesi rappelle que Amlo était déjà en tête dans les sondages à chaque fois qu’il s’est présenté : « Pourtant, le candidat du système est toujours sorti vainqueur. » Une habitude dans la vie politique mexicaine. Sans déclarer un soutien clair, le sous-commandant Marcos, désormais appelé Galeano, de l’Armée Zapatiste de Libération nationale (EZLN) implantée au Chiapas, prévient : « Le capital ne permettra pas les Lula, Dilma, Kirchner, Correa, Evo, ou López Obrador, ou tout ce qui offre une pause, un répit », écrit-il, en référence à l’ancien président du Brésil emprisonné Lula, à celle qui lui a succédé en étant élue mais destituée par la droite en 2016, aux anciens présidents argentin, équatorien et à l’actuel président bolivien [2]. Pour beaucoup, déjà en 2006, Amlo avait été privé de sa victoire en raison d’une fraude électorale massive.

Pour l’instant, sur les élections latino-américaines de cette année, seul le Costa-Rica a élu président un candidat de centre-gauche, Carlos Alvarado Quesada, ancien ministre du travail, défenseur du mariage pour tous et, à 38 ans, le plus jeune président de l’histoire contemporaine du petit pays. Si elle a progressé en Colombie, la gauche colombiennne a toutefois échoué à remporter l’élection présidentielle (lire notre article). Depuis trois ans, avec l’élection de l’homme d’affaires Mauricio Macri en Argentine, l’arrivée comme président intérimaire de l’ultra-libéral Michel Temer au Brésil et le retour des conservateurs au Chili, la droite rêve d’une reconquête électorale de l’Amérique latine, agitant le spectre du désastre de l’expérience chaviste au Venezuela pour stigmatiser toute alternative de gauche.

Mathieu Paris

Notes

[1Sur les 116 assassinés, 29 étaient pré-candidats et 16 autres candidats à des postes électifs ; les autres étaient d’actuels ou anciens élus locaux, des députés ou de simples militants.

[2L’EZLN et le Congrès national indigène ont dans un premier temps soutenu María de Jesús Patricio Martínez, « Marichuy » comme candidate indépendante indigène à la présidence, mais elle n’aurait pas obtenu les signatures requises pour participer à l’élection selon l’Institut Electoral National