Libertés numériques

Mastodon, Diaspora, PeerTube... : des alternatives « libres » face aux géants du Net et à leur monde orwellien

Libertés numériques

par Alexis Moreau, Rachel Knaebel

En vingt ans, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft ont investi notre quotidien, colonisé nos imaginaires, mis la main sur nos données personnelles. Pour chacun de ces services, les alternatives aux « Gafam » existent déjà.

Les chiffres sont à manier avec précaution, mais on estime que Google capterait à lui seul plus de 90 % des requêtes sur les moteurs de recherche en Europe. Il devient de plus en plus difficile d’ignorer que la multinationale amasse ainsi une quantité phénoménale de données personnelles : lorsque vous effectuez une recherche ou que vous vous rendez sur un site Internet, Google en conserve une trace qui permet, entre autres, de vous proposer de la publicité ciblée, c’est-à-dire ajustée à votre profil. Google recueille aussi des données via son navigateur web Chrome, son service Gmail, via Youtube, qui lui appartient, Google maps, et aussi tous les smartphones munis du système exploitation Android…

Si vous n’utilisez pas de smartphone Android, vous possédez sûrement un IPhone, d’Apple. Apple est le roi de l’obsolescence programmée et des appareils fermés : ses machines sont faites pour ne pas durer longtemps. Il est difficile, par exemple, d’en remplacer les batteries. Et quel que soit votre smartphone, vous faites probablement partie des deux milliards d’utilisateurs de Facebook, ou de ses filiales WhatsApp et Instagram. Facebook, c’est un peu le surveillant-chef. Comme expliqué dans sa politique d’utilisation des données, le « réseau social » récolte et analyse une série d’informations fournies par ses utilisateurs, volontairement ou pas : contenus publics diffusés ; messages privés envoyés sur Messenger ; personnes, pages et groupes que l’on suit ou « aime » ; articles, photos et vidéos que l’on consulte, commente ou « like » ; informations sur l’appareil depuis lequel on accède au service, géolocalisation… Tout cela pour, au final, vendre de la publicité ciblée.

« Je suis toujours étonnée de voir des militants discuter d’actions de désobéissance civile sur des groupes Facebook »

Facebook n’hésite pas non plus à parfois manipuler ses utilisateurs pour des expériences psychologiques, comme cela s’est fait en 2014 avec des centaines de milliers d’utilisateurs anglophones. Facebook les a exposés à différents types de messages pour scruter leur variation d’humeur et d’état émotionnel, via les « posts » de ces utilisateurs [1]. Dernier scandale d’espionnage en date : les révélations successives au sujet des assistants vocaux de Google, Apple et Amazon, qui tous, ont enregistré les conversations d’utilisateurs sans que ceux-ci ne le sachent.

Les Gafam et leurs outils numériques semblent partout. Leur surveillance de nos comportements, voir leur espionnage, est-il une fatalité pour toute personne un minimum connectée ? Peut-on y échapper ? Pour chaque service technologique qu’ils nous délivrent, en échange de la collecte consentie ou non de nos données, il existe des alternatives. Celles-ci sont plus respectueuses de la vie privée et ne dépendent pas d’une multinationale qui a pour ultime objectif le profit.

Moteurs de recherche : Duckduckgo ou Startpage comme alternatives à Google

Pour le navigateurs Internet, il y a Firefox, alternative connue à Chrome, Safari (le navigateur d’Apple), et Internet explorer (devenu Microsoft Edge). Pour les moteurs de recherche, les utilisateurs qui désirent naviguer sans être pistés peuvent s’en remettre à des « méta moteurs » tels Duckduckgo ou Startpage : ils collectent des résultats provenant des moteurs de recherche classiques, mais en assurant un anonymat à l’utilisateur. « Lorsque tu tapes un mot sur Duckduckgo par exemple, c’est lui qui va effectuer la recherche à ta place dans Google. Ce dernier ne verra donc pas la trace de ton passage », résume Okhin, chargé de veille à la Quadrature du net, qui défend les droits et libertés des citoyens sur Internet.

Autre solution, passer par Qwant, un moteur de recherche français fondé en 2013. « La plupart des autres moteurs de recherche vendent de la publicité ciblée, explique Tristan Nitot, vice-président de Qwant. Cela permet aux entreprises de tout savoir de leurs utilisateurs : genre, goûts, orientation sexuelle et politique, niveaux de revenus, etc. Chez Qwant, nous ne collectons pas vos données personnelles. Nous gagnons de l’argent grâce à la publicité, c’est-à-dire avec les liens sponsorisés qui apparaissent au-dessus des résultats de vos recherches et avec les publicités affichées sur la droite. Mais nous ne savons rien de vous. » Le moteur de recherche tente également de se démarquer avec certains services : Qwant junior, une déclinaison pour enfants utilisée dans certaines écoles, garantit une navigation sans pubs, violences ni images pornographiques. Selon sa direction, le moteur de recherche utilise des algorithmes maison, sauf pour les images : celles-ci sont indexées par le moteur de recherche Bing, appartenant à Microsoft.

Qwant n’en est pas moins regardé avec méfiance par les militants du numérique, qui lui reprochent son caractère « conventionnel ». Il s’agit d’une entreprise privée dotée d’actionnaires – la Caisse des dépôts et le groupe de médias allemand Axel Springer (l’éditeur, entres autres, du tabloïd Bild) –, dont le but est de réaliser du profit, et non par exemple d’une coopérative, d’une fondation, ou d’un collectif bénévole [2].

Mastodon, l’alternative décentralisée et non-commerciale à Twitter

En matière de réseaux sociaux, l’offre de services alternatifs existe aussi. Si vous souhaitez vous passer de Twitter, il suffit de créer un compte sur Mastodon, réseau social sans publicité créé en 2016 par un jeune informaticien allemand, Eugen Rochko. Le réseau est dit « décentralisé ». Il n’est pas géré par une seule entité omnipotente (comme pour Facebook), mais par une multitude d’« instances » : des serveurs hébergés chez des particuliers ou des associations, par exemple. « Lorsque Twitter modifie ses conditions d’utilisation, cela impacte tous les utilisateurs. Sur Mastodon, chaque instance définit ses propres règles et ses conditions de modération. Par ailleurs, à l’inverse de Twitter, il n’y a pas de revente de données personnelles à des entreprises tierces », souligne Angie Gaudion, chargée de communication et de partenariats au sein de Framasoft, une association d’éducation populaire dédiée au monde numérique, et créateur de nombreux service numérique éthiques et en logiciel libre.

Considéré comme un repaire de « geeks » au moment de sa création, Mastodon revendique aujourd’hui plus de 3 millions de comptes utilisateurs dans le monde. Un chiffre impressionnant, mais sans rapport, encore, avec les 300 millions d’amateurs de Twitter… Vous pouvez cependant y suivre Basta! qui vient de créer son compte. « Mastodon n’est pas un outil isolé, souligne Okhin, de la Quadrature du Net. Il appartient au Fediverse, c’est-à-dire un univers fédératif rassemblant des systèmes qui fonctionnent tous selon un standard baptisé Activity Pub. »

Activity Pub permet la publication d’activité sous forme de flux, sans règles dictées par une logique commerciale ni de politique de censure unifiée comme sur Youtube, dont l’algorithme écartera les contenus jugés inadaptés à la diffusion de publicité. Alternative à Youtube, PeerTube propose ainsi une plateforme de partage de vidéos en ligne décentralisée et indépendante de Google.

On trouve également un logiciel de partage d’images du nom de PixelFed, qui constitue une alternative au géant Instagram, propriété de Facebook critiqué pour sa politique de censure drastique. Lancé il y a un peu plus d’un an par un développeur canadien, PixelFed souhaite offrir les mêmes services qu’Instagram tout en se démarquant radicalement des règles en vigueur dans l’empire Facebook. Ici, pas de publicité, pas de recommandations dictées par des algorithmes, pas de business avec vos données personnelles.

Diaspora, le Facebook libre de demain

Réseau social original, Seenthis (« Vu ça » en français) a été lancé en France en 2011. Il s’apparente par certains aspects à Twitter, mais propose bien d’autres fonctionnalités. L’utilisateur peut y tenir un blog personnel constitué de billets courts, dans lesquels il recommande à ceux qui le suivent la lecture d’articles (comme ceux de Bastamag, par exemple). Il y a enfin Diaspora, réseau social alternatif à Facebook fondé en 2010 par quatre étudiants de l’université de New-York. Pour l’instant, Diaspora n’a pas atteint le stade de développement de Mastodon, mais la communauté numérique travaille à améliorer son ergonomie (pour y suivre notre page, c’est ici).

« Diaspora ne permet pas aujourd’hui de créer des événements ou des groupes comme sur Facebook, pointe Angie Gaudion. Chez Framasoft, nous sommes en train de développer un outil pour y remédier, et nous l’avons pensé avant tout pour les communautés alternatives. Cela me semble indispensable. Je suis toujours étonnée de voir des militants discuter d’actions de désobéissance civile sur des groupes Facebook. C’est un paradoxe incroyable, quand on sait le peu de cas de la vie privée qui est fait sur ces plateformes ! »

Mail, appels vidéo, carto... Pour chaque service une alternative existe

Pour les mails, celles et ceux qui veulent échapper à Gmail – et à l’analyse de ses correspondances par Google – ont le choix d’opter pour Protonmail ou Posteo. En fait, pour tous les services des Gafam, il existe une solution alternative, développée en logiciel libre, plus respectueuse des données de ses utilisateurs.

Open Street Map prend le relais de Google Maps, Jitsi Meet peut remplacer Skype, et Signal a déjà remplacé WhatsApp pour beaucoup d’utilisateur de services de messagerie. Framasoft a aussi développé une alternative à Google drive et Dropbox, à Google agenda… [3].

Concrètement, un logiciel est dit « libre » – par opposition aux logiciels « propriétaires » de type Windows – lorsqu’il garantit à l’utilisateur quatre libertés : la liberté de faire fonctionner le programme comme il le souhaite ; la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et le modifier, ce qui suppose d’accéder au « code source » du programme (sa recette de cuisine) ; la liberté de distribuer des copies de ce programme à d’autres gens ; la liberté de distribuer des copies de sa version modifiée.

« Utiliser un logiciel libre, c’est reprendre collectivement le contrôle sur l’outil l’informatique »

Depuis trois décennies, le logiciel libre – porté par son iconique noyau Linux – a connu une croissance fulgurante[Sur l’épopée du logiciel libre, lire L’Utopie du logiciel libre, de Sébastien Brocoa, au Passager clandestin.]]. Des logiciels libres sont disponibles pour bien des utilisations dans la vie quotidienne : systèmes d’exploitation, éditeurs de texte, traitement de son, serveurs, navigateurs internet, etc. De quoi faire dire à ses promoteurs, que, d’une certaine façon, ils ont remporté la bataille : « Le système d’exploitation GNU/Linux, par exemple, avec la ribambelle de logiciels fournis, tourne sur la quasi-totalité des serveurs sur Internet, et on s’en sert pour envoyer des hommes et des femmes dans l’espace, souligne le philosophe et historien des sciences Christophe Masutti. Le logiciel libre a déjà gagné la partie. »

Ce qui ne veut pas dire, évidemment, que Microsoft ait été vaincu ! Son système Windows écrase toujours la concurrence pour ce qui est des ordinateurs personnels, avec plus de 85 % de part de marché. Comment convaincre le grand public des vertus de Linux ? Stéphane Bortzmeyer, informaticien spécialiste des réseaux informatiques, recadre le débat : « Il faut se placer dans une perspective politique et pas seulement individuelle. Utiliser un logiciel libre, c’est ne plus dépendre d’une entreprise privée soumise aux objectifs de ses actionnaires, comme Microsoft par exemple. C’est reprendre collectivement le contrôle sur l’outil l’informatique. J’utilise souvent l’analogie avec l’écologie : manger local et bio ne procure pas forcément un avantage immédiat pour soi-même, mais cela profite à l’ensemble de la société. »

Les défenseurs du libre mettent néanmoins en avant des avantages immédiats : gratuité, absence de mises à jour forcées, plus grande sécurité. « La plupart de ces arguments sont valables, assure Stéphane Bortzmeyer. Le modèle de sécurité de Linux est meilleur que Windows, même s’il n’est pas parfait. En réalité, Microsoft se fiche de la sécurité ! D’abord parce qu’ils sont persuadés que les gens continueront à s’en servir quoi qu’il arrive. Ensuite parce qu’il s’agit d’une forme d’obsolescence programmée : lorsque vous rentrez dans un magasin informatique parce que vous rencontrez un problème avec votre PC, le vendeur vous incitera souvent à acheter une nouvelle version de Windows, pour que le problème disparaisse... » Une forme d’addiction savamment entretenue alors que les alternatives sont déjà là, sous nos yeux. A nous de nous en saisir.

Alexis Moreau, avec Rachel Knaebel

 Dessins : Rodho

Et un portail des médias libres !
En parlant de « libre », on ne peut s’empêcher de vous présenter, pour celles et ceux qui ne le connaissent pas encore, notre « portail des médias libres ». Il vous permet d’accéder directement à l’actualité traitée par la presse indépendante et aux articles publiés par les médias de « transformation » sociale, écologique et démocratique. Bref, autant de contenus qui ont du sens mais qu’un obscur algorithme commercial ne sélectionnera probablement pas pour vous...

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 Voir ici le tableau des services alternatifs au Gafam sur le site de Framasoft et les outils de Framasoft ici. Et l’annonce de Framasoft du 24 septembre 2019 pour expliquer pourquoi et comment une partie de ses services vont être fermés.

 Voir aussi le guide de la fédération Frontière électronique d’autodéfense contre la surveillance : astuces, outil et guides pratiques pour des communalisations plus sécurisées.

Notes

[1Voir l’article du Monde à ce sujet.

[2Voir aussi l’article de Mediapart « Qwant : les parts d’ombre d’un moteur de recherche stratégique ».

[3Une partie des solutions développées par Framasoft va être bientôt fermée, par souci de décentralisation réelle, « pour en faire des portes qui vous renvoient vers d’autres hébergeurs », et pour permettre à Framasoft de « rester une association à taille humaine, à chaleur humaine… une espèce d’Amap du numérique ».