Attentat de Conflans

Marre de ces gens qui paniquent, déchaînent leur racisme ou « se couchent » face aux vrais enjeux

Attentat de Conflans

par Ivan du Roy

Choquant et bouleversant, l’attentat de Conflans qui a coûté la vie à Samuel Paty l’est indiscutablement. Choquants, les propos confus et souvent haineux qui envahissent les médias le sont tout autant. Quant aux réponses politiques proposées par le Gouvernement, elles interrogent sur leurs fondements, leurs perspectives et les choix de société qu’elles induisent.

La société française est, jusqu’à présent, d’une surprenante résilience malgré les coups portés par le terrorisme djihadiste, la récupération politique sans vergogne des attentats et les propos délirants proférés sur certains médias. Bien des leviers et des vigilances ont fonctionné qui auraient pu permettre de détecter l’engrenage fatal, menant à l’assassinat de Samuel Paty. Bien des leviers, sauf un : au niveau politique.

Pharos, une vigie efficace... mais qui manque de moyens

Le compte Twitter de l’assassin a été signalé pour « apologie de la violence, incitation à la haine, homophobie et racisme » dès juillet auprès de la plateforme Pharos (Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, créée en 2009) du ministère de l’Intérieur, comme le révèle l’enquête de Mediapart. Un nouveau signalement a été effectué le 30 août suite à un montage photo mettant en scène une décapitation. Le compte et son propriétaire ont donc bien été repérés plus d’un mois avant les faits.

Or, Pharos a reçu 228 000 signalements en 2019, principalement pour des escroqueries, des atteintes aux mineurs et des discriminations. Parmi ces signalements « entre 4500 et 6500 contenus terroristes ». Problème : « En mai 2020, il y avait 28 policiers et gendarmes, spécialistes de la cybercriminalité chargés du recueil des signalements », rappelle le site Numerama. Chaque semaine, chaque agent de Pharos doit donc s’intéresser à 155 contenus problématiques ou suspects, puis décider d’alerter les services compétents... L’analyse du compte Twitter de l’assassin montre, de juillet à septembre, entre messages antisémites, misogynes puis salafistes, la radicalisation progressive du jeune homme (lire l’enquête du Monde). Des internautes ont joué leur rôle de vigilance en signalant ce qu’ils estiment problématiques. Quelles suites ont été données à leurs alertes ? Est-ce bien raisonnable, au niveau politique, d’attribuer si peu de moyens à cet outil de détection ?

Les enseignants se sentent abandonnés

La vidéo du parent d’élève, accusant de « voyou » le professeur d’histoire-géographie suite à son cours sur la liberté d’expression, et qui aurait servi à l’assassin pour cibler Samuel Paty, a elle aussi été signalée. L’enseignant de Conflans avait même porté plainte pour diffamation. Le parent d’élève, dont l’enquête en cours devra déterminer s’il avait connaissance ou non du projet meurtrier, a été convoqué au commissariat deux jours avant le drame. Suite aux menaces, le collège avait pris certaines dispositions face à ce qui s’apparente alors à du cyberharcèlement visant l’enseignant. Là encore, une certaine vigilance a fonctionné. Mais Samuel Paty et ses collègues se sont retrouvés bien seuls face aux tensions montantes. Aucune protection particulière n’a été mise en place de la part de l’État. Pourquoi ? Par défaut de moyens ? Parce qu’après la communauté juive (Toulouse et Paris), des militaires français musulmans (Toulouse, Montauban), des dessinateurs et journalistes (Charlie Hebdo), des policiers et gendarmes (Montrouge, Paris, Magnanville, Trèbes), un prêtre (Saint-Étienne-du-Rouvray), des rassemblements festifs (dans l’Est parisien, à Nice)... les enseignants, méprisés par le gouvernement depuis de le début de la crise sanitaire, ne sont toujours pas considérés comme des cibles potentielles ?

Le CCIF : un coupable trop facile

Si le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a été saisi par le parent qui accusait l’enseignant de discrimination à l’encontre des élèves musulmans, l’association dit avoir fait preuve d’une grande prudence : « La première chose que nous avons faite a été de demander à ce parent de retirer immédiatement cette vidéo et de cesser toute communication sur ce sujet, en attendant qu’une personne de l’assistance revienne vers lui pour initier la procédure de vérification des faits, qui n’a finalement pas pu se faire puisque l’irréparable a eu lieu » explique-t-elle, dans un communiqué le 17 octobre. Aucun fait n’étaye, pour le moment, l’implication, même involontaire, du CCIF dans l’engrenage fatal. Alors pourquoi des ministres se déchaînent-ils contre l’association ? Pour mieux masquer leur incompétences ?

La lamentable hypocrisie de l’extrême droite

Vigilance encore, et depuis longtemps, face à l’un des activistes intégristes qui, à partir de la vidéo du parent d’élève, réalise la sienne pour attiser les tensions et stigmatiser le professeur : Abdelhakim Sefrioui. Fondateur du collectif Cheikh Yassine, en référence au leader du Hamas palestinien, proche des milieux négationnistes et antisémites, membre du comité de soutien à la candidature de Dieudonné en 2007, l’homme est connu et combattu par les milieux antifascistes, et régulièrement refoulé d’événements de solidarité avec les Palestiniens. Ironie de l’histoire : en 2009, lors d’une manifestation pour Gaza, bombardée par l’armée israélienne, le petit cortège du collectif Cheikh Yassine d’Abdelhakim Sefrioui, accueille deux militants d’extrême droite français, Frédéric Chatillon, ancien membre du GUD, prestataire du FN et conseiller de Marine Le Pen, ainsi qu’Axel Loustau, proche de Marine Le Pen et conseiller régional RN d’Île-de-France (voir l’article et les photos du site antifasciste La Horde). Cette proximité illustre l’hypocrite ignominie de l’extrême droite – et de leurs relais de plus en plus nombreux – sur le sujet.

Renforcer les moyens de la plateforme Pharos, faire de l’école publique un véritable espace d’émancipation, il n’en est que trop rarement question dans le débat actuel. Sur les chaîne d’infos en continu, « on » préfère des mesures pour censurer Internet, suspendre l’État de droit, discriminer les binationaux, interdire les prénoms non-français, ou jeter l’opprobre sur des organisations de défense des droits humains (lire à ce sujet la chronique de Samuel Gontier sur Télérama). Bref, tout faire pour briser la résilience de la société et tomber tête baissée, en vociférant, dans le « piège fatal » [1] pour la paix civile tendu par l’idéologie djihadiste à l’intérieur de chaque société.

Ivan du Roy

Photo : rassemblement en hommage à Samuel Paty, Place de la République à Paris, le 18 octobre

Notes

[1Lire notre entretien réalisé au moment ou Daech prenait le contrôle d’une partie de l’Irak et de la Syrie.