Complicité

Malgré la guerre au Yémen, la France a livré plus d’1,3 milliard d’euros d’armements à l’Arabie saoudite en 2017

Complicité

par Anne-Sophie Simpere

Avec plus d’un mois de retard par rapport à son obligation légale, le ministère des Armées vient de transmettre aux députés son rapport annuel sur les exportations d’armes de la France. Ils ont pu y découvrir qu’en 2017, alors que les conséquences humanitaires de la guerre au Yémen sont dramatiques, les industriels français ont livré pour plus d’1,3 milliard d’euros d’armements à l’Arabie Saoudite, le pays qui mène la coalition internationale engagée dans ce conflit. Cette coalition est régulièrement accusée d’entraver l’aide aux populations et de bombarder des civils. Mais les Saoudiens restent en 2017 parmi nos cinq meilleurs clients en termes de prise de commandes d’armements (plus de 600 millions d’euros en 2017), derrière les Émirats Arabes Unis (700 millions), eux aussi engagés dans la guerre yéménite.

Au total, l’année dernière, les livraisons d’armes françaises partout dans le monde se sont élevées à 6,7 milliards d’euros, dont plus de la moitié (51 %) au Proche et Moyen-Orient. Une tendance qui devrait se maintenir puisque la région représente près de 60 % des prises de commandes pour cette année 2018. Si les prises de commande globales auprès des industriels français sont en baisse – une tendance sans doute liée au poids des ventes de Rafales qui ont gonflé les chiffres des années précédentes – elles restent très supérieures au niveau de 2012. Sur la période 2013-2017, la France est devenue le troisième pays vendeur d’armes au monde.

Des « bombes, torpilles, roquettes, missiles... » pour l’Arabie Saoudite

En pleine controverse sur les ventes d’armes alimentant la guerre au Yémen, le rapport transmis au Parlement met l’accent sur « la responsabilité de notre politique d’exportation de défense ». Pourtant, le document nous apprend aussi qu’en 2017, le gouvernement a approuvé 174 nouvelles licences d’exportations d’armements vers l’Arabie Saoudite, dont 12 licences d’une valeur de 4 milliards d’euros pour des matériels de la catégorie « bombes, torpilles, roquettes, missiles, autres dispositifs et charges explosifs et matériel et accessoires connexes » [1]. Au Yémen, les bombardements de la coalition saoudienne ont fait des milliers de victimes civiles et des millions de déplacés. D’autres États comme la Norvège ont annoncé le gel de leurs ventes d’armes à l’Arabie Saoudite, tandis que la justice belge vient de suspendre des licences d’exportations wallonnes vers Riyad, notamment en raison des risques de violation du droit international.

Et le Yémen n’est pas le seul cas qui soulève des questions. L’Égypte, où les ONG dénoncent une répression sanglante et des violations constantes des droits humains, reste l’un des très bons clients de la France, qui a approuvé en 2017 plus de 70 nouvelles licences d’exportation, y compris pour des armes catégorie « calibre supérieur à 20 mm » ou « munitions » [2]. On peut également s’interroger sur les livraisons d’armes à la Chine ou à la Russie, alors même que ces deux États sont censés être placés sous embargo de l’Union européenne.

Un minimum d’information pour les députés français

Certes, le rapport précise que les transferts d’armes à des pays sous embargo s’effectue « dans le respect des dérogations prévues ». Mais il ne donne aucune information sur les modalités de ces dérogations. De même, si la rigueur des procédure de contrôle des exportations est mise en avant par le ministère des Armées, le rapport ne permet pas de savoir quel type de matériel a été précisément livré, ni à quoi correspondent les 50 refus notifiés parmi les milliers de licences accordées, ou comment les autorités s’assurent que les armes françaises ne contribuent pas à des violations des droits. La présence d’équipements made in France sur le terrain yéménite – chars Leclerc, Mirages 2000… - contribue à alimenter les inquiétudes des ONG, et de certains députés, qui déplorent de ne pouvoir exercer correctement leur rôle de contrôle des activités de l’exécutif dans ce secteur.

En avril dernier, Sébastien Nadot (député LREM) a ainsi déposé avec une trentaine d’autres parlementaires une résolution pour demander une commission d’enquête sur les ventes d’armes aux États engagés au Yémen. L’objectif : obtenir les informations qui manquent au rapport annuel fourni par le gouvernement, et déterminer si la France respecte ses engagements internationaux. Notamment le traité sur le commerce des armes, qui interdit les exportations en cas de risque de violation du droit international – un risque qui existe vraisemblablement dans le cas saoudien. À ce jour, la demande de commission d’enquête n’a pas abouti. La ministre des Armées Florence Parly sera auditionnée ce mercredi 4 juillet à l’Assemblée nationale : l’occasion pour les parlementaires d’essayer d’en savoir plus ?

Anne-Sophie Simpere

Photo : CC Airwolfhound

Notes

[1Les licences d’exportations sont des autorisations d’exporter accordées par l’État français et nécessaires pour toute vente d’armement à l’étranger

[2Voir le récent rapport de la la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), le Cairo Institute for Human rights studies (CIHRS), la Ligue des droits de l’homme (LDH) et l’Observatoire des armements : « Égypte : une répression made in France »https://madeinfrance.fidh.org/