Grands projets

Lyon-Turin : « Un projet nécessaire mais pas suffisant »

Grands projets

par Jean Sivardière

Le projet de ligne à grande vitesse reliant Lyon à Turin suscite de nombreux questionnements. Basta! souhaite favoriser le débat en ouvrant ses colonnes aux organisations partisanes ou opposées à ce projet. La Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) explique ici les raisons de son soutien à la ligne Lyon-Turin. Et assure que ce projet demeurera insuffisant s’il n’est pas accompagné de taxations spécifiques du trafic routier.

Selon les opposants au Lyon-Turin, le projet serait dangereux pour l’environnement ; inutile car le trafic routier est en baisse et les voies ferrées existantes sous-utilisées ; ruineux. La Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) récuse ces trois arguments.

Un projet dangereux ?

Le projet Lyon-Turin n’est pas neutre pour l’environnement local, mais le percement de deux grands tunnels de base en Suisse (Lötschberg et Gothard) n’a pas donné lieu à des catastrophes, des montagnes de déblais radioactifs et chargés d’amiante n’ont pas envahi les vallées suisses. L’exagération des NO-TAV (opposant aux projets, ndlr) est contre-productive : dans les années 1970, les opposants à la construction de la LGV Paris-Lyon craignaient que le vent du nord ne s’engouffre dans la tranchée du col du Bois Clair et ne détruise le vignoble mâconnais.

Les atteintes locales à l’environnement doivent être mises en balance avec les gains possibles : réduction des nuisances, des gaspillages de pétrole et des émissions de CO2. Le Lyon-Turin permettrait au rail de capter une part importante des trafics existants nocifs (fret routier, trafic automobile et aérien de voyageurs), au bénéfice des habitants de la Maurienne, de la vallée de Chamonix, de la Côte d’Azur, des riverains des axes routiers permettant d’accéder à ces régions et des personnes vivant à proximité des aéroports parisiens et italiens.

Un projet inutile ?

Il est exact que le trafic de fret transitant par le nord des Alpes françaises a baissé depuis une dizaine d’années. Mais il reste considérable, et la crise économique et la concurrence, peu importante, du tunnel du Lötschberg n’en sont pas seules responsables : la forte hausse des péages aux tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus a incité les transporteurs routiers à se reporter sur la Côte d’Azur. Et le tunnel ferroviaire du Mont Cenis a été en travaux pendant près de dix ans et est passé ensuite à voie unique.

Les travaux sont terminés, mais la ligne de la Maurienne reste trop peu performante pour provoquer un basculement significatif de l’actuel trafic routier sur le rail car elle comporte de fortes déclivités (3 % sur 100 km) et culmine à 1 300 m d’altitude. Elle ne sera jamais saturée car le transfert modal de la route vers le rail ne s’opère pas par décret : un tunnel à plus basse altitude est indispensable pour réduire le coût du rail, le rendre compétitif par rapport à l’autoroute, et lui permettre de capter massivement le fret routier, y compris le fret nord-sud ou Espagne-Italie transitant par la Côte d’Azur (la distance Barcelone-Milan est la même via Vintimille ou Lyon).

Le Lyon-Turin permettra aussi au TGV de concurrencer l’avion, utilisé par plusieurs millions de passagers chaque année entre Paris et l’Italie du Nord, et la voiture. Cette composante « voyageurs » du projet ne doit pas être oubliée ou minimisée : l’Italie est le seul pays voisin de la France non connecté à son réseau à grande vitesse, si bien que les déplacements entre la France et l’Italie s’effectuent essentiellement par la route ou l’avion.

Un projet ruineux ?

Le coût d’un projet, même qualifié de gigantesque, titanesque, faramineux ou pharaonique, ne veut rien dire en lui-même : il doit être rapporté aux avantages attendus. Des projets tels que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le canal Seine-Nord ou la LGV Poitiers-Limoges sont réellement ruineux : le premier (un milliard d’euros avec les accès routiers) et le deuxième (5 à 6 milliards) sont inutiles, le troisième (1,7 milliard) est inapproprié. Le Lyon-Turin a au contraire une utilité forte, puisqu’il peut à la fois faciliter les relations économiques entre la France et l’Italie du Nord, et absorber des trafics nocifs.

Le coût du tunnel transfrontalier est d’environ 9 milliards d’euros, mais il est partagé entre la France, l’Italie et l’Union européenne. Un petit pays, la Suisse, a réussi à financer deux tunnels grâce à une taxation du trafic routier de transit, et à reporter ainsi du trafic sur le rail ; deux grands pays, la France et l’Italie, aidés par Bruxelles, peuvent en financer un seul ! Quant à l’accès ferroviaire au tunnel de base depuis Lyon, on peut en réduire le coût : ainsi le tunnel sous le massif de Belledonne n’est pas indispensable.
Enfin le lancement du Lyon-Turin permettrait d’éviter les nombreux travaux routiers envisagés : rocade autoroutière de Chambéry, élargissement des autoroutes A43 et A8.

Un projet incomplet

Une infrastructure ne fait pas de miracles par elle-même. Le lancement du Lyon-Turin doit s’accompagner de la mise en place d’une taxation spécifique du trafic routier franco-italien, suivant l’exemple suisse ; la légalisation récente de la circulation des camions de 44 tonnes, qui renforce de 10 % la compétitivité de la route face au rail, doit être abrogée ; des mesures autoritaires de report du trafic des matières dangereuses sur le rail devront être prises ; enfin il faut abandonner les travaux routiers prévus entre Lyon et l’Italie et sur la Côte d’Azur.

Jean Sivardière, président de la FNAUT (Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports)

Photo : © Daniel Maunoury (manifestation des NO-TAV le 3 décembre 2012 à Lyon)