Élections

Lutte contre la fraude fiscale, encadrement de la finance : des propositions fortes à gauche, un vide abyssal à droite

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par Rachel Knaebel

C’était l’un des principaux thèmes de campagne en 2012 : comment réguler la finance après la crise de 2008 et ses ravages sociaux ? En 2017, la spéculation financière se poursuit. Les révélations successives, des « Luxleaks » aux « Panama Papers » ont également montré l’ampleur de l’optimisation ou de l’évasion fiscales pratiquées par des banques et leurs filiales, par des multinationales ou des sociétés « offshore » dissimulées dans les paradis fiscaux. Des centaines de milliards d’euros qui échappent à l’impôt. Face à ces scandales, et pour remettre la finance au service de l’économie réelle, plusieurs candidats à la présidentielle portent des propositions fortes. D’autres n’en parlent même pas dans leurs programmes ! Le point sur les propositions.

La loi de réforme bancaire devait être l’une des grandes lois du quinquennat Hollande. Adoptée cinq ans après la crise financière mondiale de 2008, qui a vu les États injecter des centaines de milliards d’euros pour sauver des banques fragilisées par leur spéculation financière, la loi a accouché d’une souris.

Puis les révélations des Luxleaks sont survenues en 2014, sur ces accords fiscaux secrets conclus entre plusieurs multinationales et le Duché du Luxembourg ; Les Swissleaks ont suivi en 2015, un système d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent – pour un montant total d’environ 180 milliards d’euros – mis en place par la banque HSBC au profit de dizaines de milliers de clients fortunés, dont 3000 Français, et de sociétés écran ; Et enfin les Panama Papers en 2016, ces documents confidentiels d’une société d’avocats panaméenne sur l’existence de dizaine de milliers de sociétés offshore dissimulées dans des paradis fiscaux, impliquant notamment plusieurs chefs d’État et de gouvernement ainsi que des élus de nombreux pays.

Toutes ces révélations, permises grâce à l’investigation de consortiums de journalistes, ont mis au jour l’ampleur du phénomène de l’évasion fiscale dans le monde, en Europe, et en France, où la fraude fiscale représente un manque à gagner de 60 à 80 milliards d’euros par an pour les caisses publiques. À la veille de l’élection d’un nouveau Président de la République et d’une nouvelle législature, quels seront les prochains chantiers de la régulation financière ? Que proposent les candidats et les partis en matière de lutte contre la fraude fiscale ou de taxe sur les transactions financières ?

La lutte contre l’évasion fiscale absente du programme de Fillon

François Fillon n’en parle même pas dans son programme. Les seuls moments où le mot « fraude » y apparaît, c’est pour condamner la « fraude dans les transports publics » , les « fraudes » à l’assurance maladie, ou même la « fraude » à l’accès à la nationalité française… Le Front national affirme de son côté vouloir « lutter efficacement contre l’évasion fiscale ». C’est surtout les entreprises étrangères qu’il vise, en disant créer une « taxe sur l’activité réalisée en France par les grands groupes et les profits qui auraient été détournés ».

Le programme de Marine Le Pen ne dit pas un mot des activités des entreprises, et des banques, françaises dans les paradis fiscaux, ni de l’évasion fiscale pratiquée par les français fortunés. Alors que les grandes banques françaises ont des centaines de filiales dans les paradis fiscaux. Fin 2015, les eurodéputés frontistes se sont positionnés contre une résolution européenne sur la lutte contre l’évasion fiscale qui visait à améliorer « la transparence, la coordination et la convergence des politiques en matière d’impôts sur les sociétés au sein de l’Union ».

Une priorité pour la France insoumise de Mélenchon

La France insoumise est beaucoup plus prolixe sur le sujet. Jean-Luc Mélenchon et son mouvement veulent interdire aux banques françaises toute activité dans les paradis fiscaux en retirant les licences bancaires des établissements récalcitrants. Ils veulent aussi obliger les banques à transmettre les coordonnées des comptes offshore de leurs clients, et obliger les entreprises à déclarer leurs résultats pays par pays et taxer les bénéfices des entreprises là où ils sont réalisés.

Pour mieux lutter contre la fraude, la France insoumise souhaite aussi en finir avec le verrou de Bercy en matière fiscale. Le verrou de Bercy, c’est ce principe très français qui oblige aujourd’hui toute procédure judiciaire en matière de fraude fiscale à passer d’abord par la commission des infractions fiscales du ministère des Finances, qui décide de transmettre ou pas les dossiers à la justice, ou de négocier dans l’ombre avec le délinquant fiscal présumé. Faire sauter ce “verrou” permettrait de donner à la justice le droit d’engager des procédures pour fraude fiscale sans l’aval du ministère.

Jean-Luc Mélenchon promet par ailleurs de renforcer les moyens humains et techniques de l’administration fiscale et des douanes dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Une mesure qui semble essentielle quand plus de 3100 emplois ont été supprimés dans les services du contrôle fiscal depuis 2010, selon les chiffres du syndicat Solidaires finances publiques.

Face à l’optimisation fiscale, Hamon plus ferme que Macron

Benoît Hamon aborde ces deux points dans son programme. « Les moyens du parquet national financier et des brigades financières spécialisées ainsi que ceux des services fiscaux seront renforcés », assure le candidat du PS et d’EELV. « La justice pourra poursuivre les fraudeurs fiscaux sans autorisation préalable de l’administration fiscale », ajoute-t-il, voulant, lui aussi, faire sauter le “verrou de Bercy”. Benoît Hamon propose aussi d’établir « une liste crédible des paradis fiscaux » et de mettre en place des sanctions commerciales à l’encontre des « juridictions qui refusent de changer leurs pratiques ».

Autres mesures proposées : une taxe sur les bénéfices détournés par les multinationales, donc sur les pratiques d’optimisation fiscale, et une obligation des entreprises à transmettre les activités et impôts payés dans tous les pays où elles sont présentes. « Ces informations seront rendues publiques », précise le programme de Hamon. Il veut aussi imposer aux banques, qui ont survécu à la crise de 2008 grâce à l’argent public, rappelle-t-il, de payer une contribution sur les « super-profits ».

Et Macron ? La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale n’est pas au centre de son programme. Il précise toutefois vouloir « alourdir les sanctions contre la fraude fiscale sur le chiffre d’affaires des entreprises réalisé en France ». Il prévoit aussi de faire de la lutte contre l’optimisation fiscale « une priorité de [son] action européenne ».

Poutou : pas d’immunité pour les fraudeurs fiscaux

Que propose le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) de Philippe Poutou ? Le candidat sans « immunité ouvrière » propose de sanctionner les fraudeurs fiscaux par des « peines qui correspondent aux sommes détournées pour mettre fin au scandale qui punit plus le voleur de motos que celui qui détourne des millions (et ses complices) ».

Le NPA déplore les décisions récentes du Conseil constitutionnel contre des lois de lutte contre la fraude fiscale : la censure de la taxe Google qui visait à obliger toute entreprise qui réalise des activités et des profits en France d’y payer des impôts ; la censure d’un article de loi obligeant les multinationales travaillant en France à déclarer leurs activités pays par pays – pour le conseil, cet article était contraire au « secret des affaires » (Voir notre article sur le lobbying exercé auprès du Conseil constitutionnel). Le NPA préconise donc une réforme de cette institution, dans la cadre d’une réforme constitutionnelle globale.

Banques : vers une nouvelle dérégulation avec Macron ?

Encadrer les activités spéculatives des banques ne semble plus d’actualité pour Fillon ou Le Pen, le sujet étant totalement absent de leurs programmes. S’il en dit peu dans son programme, Macron a toutefois pris des positions assez claires sur les questions de régulations financières dans ses interventions. Le 6 mars, face à l’auditoire de la Confédération des petites et moyennes entreprises, il a fait ainsi part de ses positions… contre les autorités de régulation financière, en particulier le Comité de Bâle.

Composé des autorités de régulation et des banques centrales des pays du G20, le comité de Bâle a pour mission de superviser et de définir les règles qui encadrent les banques. Selon le candidat, suite à la crise de 2008, ces autorités auraient, par leurs mesures de régulation, « désincité » les banques et les assurances à investir dans les entreprises [1]. Macron souhaite donc retirer en partie le pouvoir de régulation financière des mains des instances de régulation pour l’attribuer directement aux ministres de l’Économie européens [2].

Mélenchon et Hamon souhaitent séparer les activités bancaires

A l’opposé, Jean-Luc Mélenchon souhaite renforcer la supervision des banques à l’échelle européenne, avec une augmentation des amendes contre les pratiques délictueuses, et prévoit de créer un pôle public bancaire. Pour lutter contre les conflits d’intérêts, la France insoumise veut interdire les « pantouflages » entre ministère des Finances et banques privées. Une critique directe des aller-retours de certains inspecteurs général des finances entre public – où ils sont censés servir l’intérêt général – et privé. A l’exemple... d’Emmanuel Macron qui, en tant qu’inspecteur des Finances, a travaillé à la banque Rothschild avant de devenir conseiller à l’Élysée, puis ministre à Bercy.

Le programme de la France insoumise mentionne aussi les mesures suivantes : interdire la titrisation – pratique qui permet à une banque de faire passer ses crédits en titres négociables sortis de son bilan, qui peuvent ensuite être mélangés au sein d’être d’autres produits financiers et revendus –, identifier et interdire les produits dérivés toxiques et inutiles au financement de l’économie réelle, et récupérer les 2,2 milliards d’euros d’argent public accordés à la Société générale suite à l’affaire Kerviel.

Hamon favorisera les banques éthiques et alternatives

Jean-Luc Mélenchon annonce par ailleurs une réelle séparation des activités bancaires de dépôt de celles d’affaires. Celle prévue par la loi bancaire de 2013 ne concerne au final que 1 % des activités bancaires (voir notre article). Un point également abordé par Benoît Hamon, qui veut réviser la loi bancaire pour une séparation effective, « afin de protéger nos entreprises et nos emplois de la finance spéculative ». L’ancien ministre de l’Économie sociale et solidaire indique aussi sa volonté de favoriser l’essor des banques éthiques, grâce à une réglementation différenciée (voir notre article sur les banques alternatives).

A l’extrême-gauche, le NPA affirme la nécessité de socialiser le système bancaire « pour le mettre au service de la transformation sociale et de la transition écologique ». Lutte ouvrière va encore plus loin en souhaitant « exproprier » les banques, « sans indemnité ni rachat », et placer leur activité sous le contrôle de la population.

Taxe sur les transactions financières : priorité ou pas ?

Une taxe sur les transactions financières (TTF) existe déjà en France depuis 2012. Elle s’applique aujourd’hui principalement aux échanges d’actions des sociétés cotées en bourse. Mais elle pourrait rapporter bien plus aux caisses publiques si elle était étendues, à l’ensemble des produits dérivés par exemple. Un projet de taxe similaire est en discussion, depuis des années, entre dix pays européens. Jean-Luc Mélenchon propose dans son programme d’« instaurer une taxe réelle sur les transactions financières ». Benoît Hamon veut l’étendre à l’Europe.

Dans un entretien à Libération le 24 mars, Emmanuel Macron annonçait de son côté que pour lui, la taxe européenne sur les transactions financières n’était « pas la priorité ».

Rachel Knaebel

Photo : CC Adrian Scottow

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