Luttes sociales

Les syndicats sont-ils plus efficaces que le patronat en matière d’égalité entre hommes et femmes ?

Luttes sociales

par Nolwenn Weiler, Rachel Knaebel

Les syndicats de salariés font-ils mieux que le patronat en terme de parité ? Les femmes constituent près de la moitié des adhérents des syndicats. Mais les instances dirigeantes de ces organisations restent encore majoritairement masculines. Les femmes sont pourtant les premières à subir les temps partiels forcés, les horaires décalés, l’arbitraire des employeurs. Leur présence dans les instances dirigeantes permet pourtant une meilleure prise en charge des questions d’égalité ou de lutte contre les violences sexistes. Au sein des syndicats, de vraies réflexions s’engagent, pour que les femmes aient plus de pouvoir et que de nouveaux usages se mettent en place. Mais pour arriver à l’égalité, il reste encore du travail !

Nadine Hourmant avait 18 ans quand elle est entrée chez Doux, géant européen de la volaille. C’était en 1990, à Châtaulin, dans le Finistère. « J’habitais juste à côté. Et on pouvait être embauchée direct en CDI ». Pendant huit ans, elle s’échine, sept heures par jour, à emballer des poulets. Il faut être debout tout le temps, accomplir des gestes très répétitifs. Mais Nadine s’en satisfait, avant de prendre un congé parental de trois ans. « Quand j’ai repris, en 2002, j’ai commencé à être en conflit avec mon patron. J’avais un mandat dans un organisme de sécurité sociale, et il était très peu arrangeant pour me libérer le temps dont j’avais besoin pour l’exercer. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me syndiquer. » Elle émarge à la CGT, puis monte une section Force ouvrière (FO) en 2006. « Franchement, il faut avoir les reins solides pour être délégué syndical ou délégué du personnel dans une entreprise. »

Mais Nadine assure : « Dans mon engagement syndical, je n’ai jamais eu de difficultés liées au fait d’être une femme. J’ai les mêmes temps de paroles que mes collègues masculins. On m’écoute, et je suis même devenue secrétaire générale adjointe de l’union départementale. Ce qui est sans doute plus compliqué pour les femmes, c’est de trouver un juste équilibre avec la vie privée. Parce que dans la société en général, on attend que les femmes soient toujours disponibles à la maison. Heureusement, j’ai le soutien de mon mari, qui connaît la réalité quotidienne des salariés de l’agro-alimentaire, parce qu’il y a travaillé. On partage le travail à la maison. C’est important. »

« Un temps partiel subi, ça ne favorise pas l’engagement »

L’expérience de Nadine est-elle représentative de la condition des femmes dans l’univers syndical, et de leur présence dans ses instances dirigeantes ? « Les femmes ont encore en grande partie la charge des enfants. Quand on devient responsable syndicale, il faut se déplacer pour des réunions, ça peut commencer à devenir compliqué », constate Michèle Biaggi, secrétaire confédérale chez FO. À Force ouvrière, comme dans la plupart des syndicats français, il y a presque autant d’adhérentes que d’adhérents. « Mais cette proportion ne se retrouve pas du tout au niveau des postes à responsabilités, regrette Michèle Biaggi. Dès qu’on à monte en grade, il y a moins de femmes. »

Sur les 103 unions départementales de FO, seules 12 ont des femmes à leur tête. « Ça a un peu changé depuis dix ans. Mais pas beaucoup », concède Michèle Biaggi. Au niveau des instances nationales du syndicat, les femmes sont inégalement présentes : 5 femmes sur 13 membres au bureau confédéral, qui est la « tête » du syndicat ; mais 4 femmes sur 35 membres au sein de la commission exécutive, le second échelon du pouvoir. « Les femmes sont les premières touchées par les temps partiel imposés. Quand on se retrouve dans cette situation, on doit chercher un autre boulot en plus, cela ne favorise pas la prise d’engagement syndical », analyse Myriam Barnel, secrétaire générale FO pour l’union départementale du Var.

Le paysage est similaire dans toutes les organisations syndicales françaises. Les femmes constituent près de la moitié de la population active salariée. Elles représentent en 2014 un tiers des adhérents de la CGT, 47 % de ceux de la CFDT, 45 % chez FO, 42 % à la CFTC, 29 % à la CFE-CGC (cadres) et 52 % chez l’Unsa. Mais dans chacune de ces organisations, sauf à la CGT, il y a proportionnellement bien moins de déléguées femmes aux congrès des organisations qu’il n’y a de femmes dans leur syndicat : à peine une femme sur dix délégués pour les cadres de la CFE-CGC, une sur trois délégués à la CFTC [1] [2].

Un « plafond de verre » aussi dans les syndicats

« À la CGT, nous avons décidé la parité de notre direction nationale dès 1999. Et en 2007, nous avons adopté une charte de l’égalité », explique Sophie Binet, elle même membre de la direction. Celle-ci prévoit de « parvenir à une juste représentation des femmes à tous les niveaux de prises de décisions ». Sur le terrain, les chiffres progressent, mais doucement. La CGT compte aujourd’hui 37,5 % de femmes dans ses instances dirigeantes confédérales, contre 35 % en 2009. C’est mieux qu’au sein des conseils d’administration des grandes entreprises, où la proportion des femmes avoisinent les 30 %. Un quart des responsables des unions départementales (UD) de la CGT sont des femmes, contre 18 % en 2009. « Nous visons la parité sur les instances interprofessionnelles comme les unions départementales. Après, ces structures sont autonomes. On ne peut pas le leur imposer. Mais nous faisons un travail d’impulsion et de conviction. Au sein des fédérations professionnelles, nous respectons la proportion du nombre de femmes dans les métiers. Cela n’aurait pas de sens de viser la parité chez les marins par exemple, où il y a beaucoup plus d’hommes. »

Des secteurs d’emploi très féminisés conservent pourtant une majorité d’hommes à leur tête. « C’est le cas dans la fédération santé-social, par exemple, déplore Cécile Gondard-Lalanne, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires. Il y a un plafond de verre, y compris dans ces fédérations. À Solidaires, nous ne dépassons pas un tiers de femmes dans les deux instances nationales. Les femmes ont tendance à rester à l’écart du niveau interprofessionnel, qui est l’échelon véritablement politique dans les syndicats. Des camarades hommes ne lâchent pas ces postes de pouvoir. Mais il y a une prise de conscience. Nous avons un corpus revendicatif important sur le sujet. Et nous agissons sur les questions des horaires des réunions, de la prise en charge des enfants, pour aider les équipes à donner les moyens aux femmes de s’engager. »

Parité en meetings

Les organisations expérimentent chacune des solutions pour remédier à ce retard. « Nous travaillons au niveau de la formation », indique Céline Chatelier, secrétaire générale adjointe de la CFDT dans les Pays-de-la-Loire. « L’actuelle secrétaire générale de l’union régionale a fait partie des premières personnes ayant bénéficié de ce dispositif. Aujourd’hui, sur les cinq unions départementales de la région, quatre sont dirigées par des femmes. Au sein des sections d’entreprises, c’est plus compliqué. Pour les déléguées syndicales, on a plus de mal à avoir des femmes. Le travail est rude. Et on a tendance, à tort, à accorder ces rôles à des hommes. »

Pour Michèle Biaggi, de FO, « il faut acquérir certains réflexes. Quand j’organise un meeting, je mets trois femmes, trois hommes à la tribune, systématiquement. » Sa camarade Myriam Barnel va plus loin : « Dans mon congrès d’union départementale, à part Jean-Claude Mailly [secrétaire général de FO, ndlr], il n’y avait que des femmes. On me l’a fait la remarquer. J’ai répondu : “Au moins, ça vous change ! ”. » [3]

À la Fédération syndicale unitaire (FSU), première organisation syndicale de la fonction publique, le changement passe là aussi par des mesures simples et concrètes. D’autant que dans l’Éducation nationale, deux enseignants sur trois sont des femmes. « Nous travaillons sur le sujet depuis dix ans, sur la prise en charge de la garde des enfants, en essayant de ne pas faire de réunion après 18h, et pas de formations pendant les vacances ou le mercredis après-midi », signale Sigrid Gérardin, co-animatrice du secteur femme. La FSU a également pris le parti de mettre en place des directions bicéphales mixtes. Avec des résultats sur le contenu des revendications : « Avec une direction collégiale, une femme et un homme, les revendications des femmes étaient tout de suite beaucoup plus prises en compte. »

« L’égalité pour les femmes, un slogan qui ne mobilise pas »

Au-delà des chiffres, c’est l’enjeu majeur de la présence des femmes au sein des instances dirigeantes des syndicats : faire en sorte que les revendications d’égalité femme-homme au travail soient mieux défendues. Plus il y aura de femmes dans les instances dirigeantes des syndicats, plus il y aura de chances que les questions d’égalité s’imposent. « Je n’ai jamais connu de mobilisation sur un texte qui insistait sur l’impact sur les femmes, ça ne mobilise pas », rapporte Michèle Biaggi.

Et si les choses étaient justement en train de changer ? « Maintenant, les questions d’inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes sont très clairement prises en compte au niveau du syndicat. Sur la question des temps partiels, par exemple, essentiellement subis par les femmes », estime Sandra Buaillon, secrétaire départementale CGT à Paris, et ancienne salarié des magasins Printemps. « Aujourd’hui, dans nos négociations, nous mettons toujours la pression sur cette question. »

Contre la loi travail, « chausser les lunettes du genre »

Les représentantes syndicales ont par exemple très vite vu les conséquences du projet de loi travail sur les femmes. Des syndicalistes et des chercheuses ont signé dès le 8 mars une tribune pour rappeler que la réforme du droit du travail prévue par le gouvernement toucherait de plein fouet les femmes, qui représentent 80 % des salariées à temps partiel en France [4].

Le projet « augmente les durées maximum de travail, et renforce les possibilités pour l’employeur de modifier de façon unilatérale les horaires et le temps de travail sans déclencher d’heures sup, soulignaient les signataires. Pour les salarié-es à temps partiel, c’est la double peine : un salaire partiel, une précarité maximum, et des heures supplémentaires qui seront demain encore moins bien payées ! » Sophie Binet, de la CGT, en faisait partie. « Nous poussons nos militants à chausser les lunettes du genre et des questions d’inégalité sur toutes les questions, comme sur la loi El Khomri », précise-t-elle.

Les accords pour l’égalité, un levier ?

« Les régressions actuelles touchent en priorité les femmes. Nous ne sommes pas sur la même planète que ceux qui ont écrit cette loi. Ils ne connaissent pas la réalité du monde du travail, analyse Myriam Barnel, de l’union FO du Var. Ce que je vois sur le terrain, c’est le chantage à l’emploi. Par exemple, des employées d’un laboratoire d’analyses, à qui leur patron demande de signer un accord d’entreprise pour renoncer aux deux jours de repos supplémentaires que prévoit leur convention collective. Elle signent, parce qu’elles ont le couteau sous la gorge. L’image d’un accord d’entreprise qui se négocierait tranquillement, c’est totalement irréaliste ! Les personnes qui négocient les accords d’égalité professionnelle non plus n’ont pas vraiment pris conscience des inégalités réelles, celle des écarts de rémunération, de l’accès aux postes à responsabilité dans les entreprises. »

Depuis 2012, toutes les entreprises de plus de 50 salariées doivent négocier un accord pour l’égalité entre les femmes et les hommes ou, au minimum, un plan d’action. C’est l’un des terrains sur lequel les syndicats peuvent agir. Malheureusement, cette « obligation » n’est pas assortie de mesures réellement coercitives. [5] « La difficulté, ajoute Sophie Binet, c’est que le patronat impose de négocier toutes choses égales par ailleurs, en ne considérant que les salariés à temps plein, sur les mêmes métiers, au même coefficient de salaire, sans prendre en compte les écarts cumulés sur la carrière ni la part variable de la rémunération. Mais nous réussissons à gagner des accords avec des volets intéressants. Celui de La Poste par exemple, qui contient toute une partie sur les violences sexuelles et sexistes. »

Embarras face au harcèlement au travail

Comment, justement, les syndicats s’engagent-il sur le problème des violences sexuelles ? « Les choses ont bougé, c’est évident. Nous sommes de plus en plus sollicitées par les syndicats pour intervenir dans des colloques, des conférences, des formations, témoigne Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail. Nous avons aussi plus de demandes de renseignements par des délégués du personnel ou des élus syndicaux. Il y a une ouverture sur cette question des violences sexuelles et sexistes commises dans les relations de travail. Il n’empêche que les femmes rament encore à contre-courant sur ces questions au sein des syndicats. »

Selon la responsable associative, le bât blesse lorsque des adhérents des syndicats sont eux-mêmes mis en cause pour des faits de harcèlement. « Les responsables syndicaux nous disent que c’est compliqué pour eux, qu’ils doivent défendre les élus et adhérents mis en cause. À ma connaissance, il n’y a que l’union départementale de Paris de la CFDT qui a pris position clairement en disant “on ne défend pas les harceleurs, même s’ils sont adhérents à la CFDT”. Lutter contre le harcèlement sexuel ou pour l’égalité professionnelle, cela peut être un obstacle à la prise de responsabilité pour les femmes. »

Instaurer un droit d’alerte

Posée à des responsables syndicales des grandes fédérations, la question n’obtient pas de réponses ferme. « En cas de plainte pour harcèlement contre un adhérent, nous laissons faire la justice », signale Myriam Barnel, de FO. « Peu de cas remontent, il y a une chape de plomb, dit Cécile Gondard-Lalanne, de Solidaires. Quand nous sommes au courant, il y a dénonciation et demande d’intervention locale. Ensuite, cela dépend des syndicats locaux. Mais majoritairement, il y a une mise à l’écart des responsables syndicaux mis en cause pour harcèlement. » À la CGT, « toute condamnation pour harcèlement donne lieu à suspension de tous les mandats. Quand il n’y a pas de condamnation et a fortiori pas de plainte, c’est beaucoup plus compliqué », rapporte Sophie Binet.

La lutte contre les violences sexuelles reste cependant une priorité à ses yeux : « Un outil syndical pour lutter contre les violences sexuelles serait par exemple d’utiliser le droit d’alerte des délégués du personnel. Notre bataille, c’est aussi que tous les accords d’égalité professionnelle aient un volet sur les violences sexuelles. Dans ce combat, la responsabilité des employeurs est impliquée. » Le chemin est encore long. Le dernier accord d’égalité professionnelle négocié à Carrefour mentionne par exemple les violences conjugales sans dire un mot de celles qui pourraient se commettre sur le lieu du travail.

Rachel Knaebel et Nolwenn Weiler

Photo de une : CC Eros Sana

Notes

[139 % des délégués au congrès sont des femmes à la CFDT, 43 % à FO, 32 % à la CFTC, 13,5 % à la CFE-CGC, 45 % à la CGT. Source : Rapport du Conseil économique, social et environnemental, Les Forces vives au féminin, octobre 2015, p 26.

[2Le congrès d’un syndicat réunit les représentants mandatés par les adhérents dans leurs fédérations ou unions locales, généralement tous les trois ans, pour définir les orientations nationales et élire une direction.

[3Le congrès de l’union départementale est l’instance qui en désigne le bureau.

[4Voir aussi ici.

[5Le plus souvent, les employeurs choisissent l’option « plan d’action », moins contraignante que celle de « l’accord pour l’égalité ». Et en cas d’absence constatée d’accord ou plan d’action lors du passage de l’inspecteur du travail, l’employeur a six mois pour remédier à la situation. Il peut ensuite être condamné à des pénalités limitées à 1 % de la masse salariale.