Notre-dame-des-Landes

ZAD : « Les gens ici sont en avance, ceux qui ont le pouvoir, l’argent et les armes sont en retard »

Notre-dame-des-Landes

par Laurent Guizard, Nolwenn Weiler

Bénéficiant d’un certain répit, petit à petit la Zad se reconstruit. 170 hectares sont pour le moment préservés d’un retour à l’agriculture conventionnelle. Entre maraîchage, nettoyage et reconstruction, les zadistes esquissent de nouveaux projets. Et ce, malgré les tracasseries policières et administratives.

« Quinze projets ont été validés, et six projets restent en attente », résume Pauline, habitante de la Zad de Notre-dame-des-Landes. Elle est venue assister, comme de nombreux habitants de la Zad, à la signature de ces conventions d’occupation précaires devant la préfecture. 170 hectares sont pour le moment « sauvés », soulageant pour un temps ceux et celles qui bataillent depuis deux mois contre les expulsions, malgré les violences policières. Pour autant, personne ne crie victoire. Une signature collective, pour l’ensemble des projets, n’a pas été acceptée.

« On sait que les mêmes peuvent décider, du jour au lendemain, de reprendre les expulsions », glisse Pauline. La préfecture incarne aussi l’autorité qui a permis aux forces de l’ordre d’utiliser massivement des grenades qui ont entrainé de nombreux blessés, dont un très grave, Maxime, qui s’est fait arracher la main par une grenade le 22 mai dernier.

Conflits fonciers avec les anciens propriétaires

Parmi les six projets encore en attente de validation, deux sont jugés trop peu avancés par la Préfecture. Pour rattraper ce retard, un chantier solidaire a donc été organisé les 2 et 3 juin à la Grée, où doit s’installer un élevage d’escargots. Pour le second projet, une ferme auberge, « c’est un peu plus compliqué : une partie de la maison où devait s’installer la ferme auberge a été détruite pendant l’opération policière », explique Pauline. Opérations policières et destructions à répétition ne constituent pas forcément un climat idéal pour construire et expérimenter des alternatives...

Les quatre projets restants font l’objet de conflits avec les anciens propriétaires, qui ont vendu leurs terres au profit du projet d’aéroport mais souhaitent désormais les récupérer. Parmi ces initiatives bloquées, celle de la Noé verte. Située à l’extrême Est de la Zad, la Noé verte abrite une maison « en dur » occupée depuis bientôt trois ans par un collectif qui développe, entre autres, une conserverie. Élaborés à partir des aliments cultivés ou produits sur la Zad, la conserverie fabrique des pots de confitures ou de miel, des purées, et d’autres légumes transformés.

À l’entrée du jardin, une ossature bois montée quelques jours avant la première vague d’expulsion début avril, attend d’être habillée d’un toit et de murs. Derrière la maison, et le terrain qui sert de potager, s’étend un champ de plusieurs hectares où un verger a été planté à l’automne. Les lieux accueillent aussi des serres maraîchères, quelques ruches, et des cultures de céréales destinées à nourrir les animaux d’un élevage ovin.

Alternatives vs bureaucratie étatique

« Les projets qui ont été déposés pour obtenir des conventions d’occupation précaires sont tous interdépendants, rappelle Katy, du collectif de la Noé verte. C’est une des réalités de la Zad. Nous ne vivons ni ne travaillons chacun dans notre coin. » Partages de matériels, de locaux et rotations de parcelles, troc… la Zad se fond difficilement dans le cadre très individualiste que l’État souhaite imposer. En insistant, par un montage complexe, sur la dimension collective des projets, les occupants entendent aussi les protéger de la destruction.

Pour le moment, tous semblent à l’abri d’une expulsion, même les projets non agricoles : atelier mécanique, bibliothèque, menuiserie, forge. « La préfecture nous a conseillé de nous rapprocher d’autres instances telles que la chambre des métiers », explique Pauline. De nouveaux travaux administratifs attendent donc les zadistes. « Nous sommes en phase de légalisation, constate Youca, avec une pointe d’accablement. On ne sait pas trop où va nous mener cette stratégie administrative. »

Des parcelles agricoles infestées de... grenades

Valables jusqu’au 31 décembre 2018, les conventions d’occupation précaires seront rediscutées à l’automne. Le répit est donc court, à peine le temps d’un été. « C’est précaire, comme leur nom l’indique, avance Pauline. Et nous sommes bien conscients que ces conventions ne nous accordent aucun droit pour l’avenir. Nous n’avons même pas de priorité en cas de renouvellement. » Les occupants devraient être fixés fin octobre, sachant que l’État planche actuellement sur la rétrocession des terres de la Zad, notamment au conseil général. Celui-ci pourrait mettre en concurrence agriculteurs conventionnels – souvent adeptes de l’agrandissement d’exploitations déjà importantes et utilisateurs de pesticides – et zadistes.

En attendant, « nous continuons à faire ce que nous avons toujours fait », dit Youca, en jetant un œil attendri aux plants d’aubergines et de tomates dont il a réussi à s’occuper malgré l’expulsion policière et le temps dédié à la mobilisation. Aux travaux des champs, coupes de bois, chantiers mécaniques, et cantines collectives s’ajoutent le nettoyage des parcelles infestées non pas d’insectes ravageurs mais de grenades lacrymogènes. « Quand on remue les herbes, ça sent encore les lacrymos », s’indigne Geneviève, qui soutient la Zad depuis des années. « Le foin est foutu. Il faudra faire des appels à solidarité pour que les paysans puissent nourrir leurs bêtes cet hiver », souffle-t-elle, en parcourant un champ qui jouxte le carrefour de la Saulce, en plein centre de la zone.

« Ils nous empêchent de nous réunir »

S’ils sont moins nombreux, les policiers sont toujours bien présents. Et privent certains habitants de leur liberté de circulation. « Ils nous empêchent de nous réunir, rapporte Katy. Certains lieux sont inaccessibles. Il y a tout le temps des contrôles d’identité, ils nous prennent en photo, regardent leur fichier. On ne sait pas ce qu’ils vont en faire. Nous avons peur qu’ils interdisent le territoire à certains d’entre nous. Souvent, nous arrivons en retard aux réunions. Or, ces moments sont très importants pour nous : c’est là que vit le collectif, qu’il s’organise. Ils mènent clairement une stratégie d’occupation du territoire. »

Les temps de réunion sont particulièrement précieux aux lendemains des expulsions et destructions subies ces deux derniers mois. « Nous sommes dans un moment où il nous faut recomposer le mouvement et les soutiens, explique Katy. Évoquant les dissensions qui ont agité la Zad ces dernières semaines, elle remarque qu’il est important que l’on soit ensemble pour recréer un rapport de force. » « Comment on lutte ensemble contre le monde qui veut nous absorber ? », lance Youca. « Il faut que l’on prenne le temps de se relever. Là, on est encore en train d’encaisser la chute. »

« Habiter ici, c’est habiter un vide juridique »

La fatigue, Léo et Antonin, du collectif « Habiter et défendre la Zad » l’évoquent aussi. « Nous accusons le coup », énonce Léo, insistant sur la violence que représente la perte d’un logement. « Ils ont tout rasé en disant : ne vous inquiétez pas, on protège le territoire. Qui peut comprendre cela ? » Né dans la foulée de l’abandon de l’aéroport, et soutenu par des architectes et urbanistes, leur collectif entend faire émerger la question de l’habitat, souvent éludée par le sujet agricole. « Face aux problématiques environnementales qui émergent un peu partout, nous posons ici la question : comment vivre sur un territoire ? Les cabanes nous permettent de travailler ici et de nourrir les autres sans rien casser. » Le modèle pavillonnaire ne serait donc pas le seul possible ?

Peu abordé par les médias, cette question de l’habitat ne l’est pas non plus par les représentants de l’État.« L’État se permet de ne pas parler d’habitat alors même qu’il a détruit près de 40 lieux de vie. Où sont censés vivre ceux et celles qui portent des projets agricoles validés par la préfecture ? », interroge Léo. « On ne nous dit rien des possibilités juridiques de construction. Habiter ici, c’est habiter un vide juridique. Nous ne sommes pas dans un cadre de régularisation apaisé. Et puis, c’est difficile : comment négocier avec des gens qui détruisent nos maisons ? » Au détour d’une réunion, la préfète a lâché que l’habitat peut être couvert par les conventions précaires. Pour le moment, rien n’a été signé. Le sujet ne semble pas prioritaire. La réouverture officielle des routes qui traversent la Zad permettra-t-elle d’aborder cette question ? Nul ne le sait pour le moment.

Solidarité et reconstruction personnelle

Seule certitude : les occupants n’ont pas l’intention de se satisfaire ce vide décisionnel et juridique. Une commission « Habiter » planche déjà sur le sujet. Ils sont soutenus par des personnes extérieures, comme le paysagiste Gilles Clément, qui est venu sur place fin mai. Il a constaté « une prise de conscience très sérieuse sur tous les problèmes qui relèvent de l’habitat et de la vie ». « On ne pourra pas continuer avec le modèle économique actuel qui est profondément destructeur. Les gens ici sont en avance. Ceux qui ont le pouvoir, l’argent et les armes sont en retard. Ils ne vont pas s’arrêter sous prétexte qu’une bande de CRS armés arrivent. »

Léo présente la période qu’ils traversent comme « un moment d’élaboration, de solidarité et de reconstruction personnelle ». Avec Antonin, ils rappellent qu’en 2012, le fait d’habiter la Zad constituait un mode d’action très fort pour réagir à la première tentative d’expulsion. « Ici, c’est une lutte habitée, résument-ils. D’ailleurs les premiers à se battre contre le projet d’aéroport, les agriculteurs, se sont battus pour habiter ici. »

Alain et Norbert, éleveurs laitiers bios à la retraite, confirment : l’occupation de fermes et de terres est une stratégie locale qui date. Soutiens de la première heure de la lutte contre l’aéroport, ils sont en ce mois de mai occupés à tirer des barbelés pour réparer les clôtures arrachées lors des interventions policières. En fin de journée, les vaches devraient pouvoir pâturer, même si l’herbe aura peut-être encore un arrière-goût de lacrymo.

Se relevant un temps pour soulager leur dos et avaler un verre d’eau, ils confient avoir beaucoup appris au contact des personnes qui ont choisi d’habiter et cultiver la Zad pour la défendre. « Leur façon de cultiver la terre, de s’interroger sur la traction animale, de réintroduire des cultures comme les plantes médicinales, c’est vraiment intéressant » , estime Alain. Les deux hommes évoquent aussi l’importance que revêt pour eux le fait de mener des vies moins coûteuses pour l’environnement. A l’inverse de l’ancien monde qui semble vouloir tout faire pour les en empêcher.

Nolwenn Weiler
Photos : © Laurent Guizard