Conditions de travail

Les drôles de promesses d’Auchan aux travailleurs bangladais

Conditions de travail

par Nolwenn Weiler

Il y a six mois, le Rana Plaza qui hébergeait cinq usines textile s’effondrait, entraînant la mort de 1133 personnes, et davantage encore de blessés. Parmi les marques pour lesquelles les victimes travaillaient : Auchan, qui refuse toujours de participer au fonds d’indemnisation. Ce qui lui vaut d’être nominé dans la catégorie « Mains sales, poches pleines », du prix Pinocchio, décerné par l’association Les Amis de la terre à l’entreprise ayant mené la politique la plus opaque au niveau financier.

Nazma, 21 ans, fait partie des rescapés de l’accident du Rana Plaza. Le 24 avril dernier, jour de l’effondrement de l’immeuble qui a englouti des centaines de personnes, elle était au huitième étage, occupée à confectionner des vêtements pour diverses grandes marques occidentales. Le père de leur tout jeune enfant (né après le drame), a eu moins de chance : juché au dixième étage de l’ édifice, il n’a pas survécu. La jeune femme a touché un peu d’argent grâce à l’association de solidarité internationale ActionAid, et certains de ses frais médicaux ont été rembousés. Elle a aussi eu de quoi payer l’enterrement de son mari. Mais elle attend toujours d’éventuelles indemnités des enseignes occidentales. Pour combien de temps encore ?

Difficile à dire. « Mais les choses avancent, même si c’est bien trop lent », assure Vanessa Gautier de l’ONG Peuples solidaires. En septembre, une nouvelle réunion s’est tenue à Genève sous l’égide de l’organisation internationale du travail (OIT). Neuf enseignes, sur les 29 invitées, se sont déplacées. A l’ordre du jour : les modalités de participations au fonds d’indemnisation créé pour venir en aide aux victimes du Rana Plaza, et à leurs familles. « Pour la France, seule Camaïeu était présent, reprend Vanessa Gautier. Alors que Auchan a reconnu qu’une partie de sa production a été sous-traitée de manière informelle par l’un de ses fournisseurs au Bangladesh dans l’une des usines du Rana Plaza, c’est silence radio sur sa participation au fonds d’indemnisation. »

Auchan victime de la sous-traitance sauvage ?

Évalué à 54 millions d’euros, le fonds doit être abondé à 45% par les donneurs d’ordre, soit 23 millions d’euros. Le reste étant payé par le gouvernement bangladais, l’organisation bangladaise des exportateurs de textile, et les propriétaires des usines installées dans l’immeuble Rana Plaza. Pour pallier aux atermoiements de l’accord international entre les entreprises donneuses d’ordre, quelques versements d’urgence qui ont été faits par des ONG présentes sur place. Le groupe irlandais Primark a par ailleurs débloqué une aide d’urgence, destinée à plusieurs victimes.

Aux côtés de Carrefour et d’une trentaine de grandes marques textiles européennes et nord-américaines, Auchan a finalement signé, en juin dernier, l’accord de prévention des incendies et de sécurité dans les usines textile du Bangladesh. Le groupe, propriété de la famille Mulliez, 3e fortune française, promet au début de l’été de lutter « contre le phénomène de la sous-traitance non déclarée dans la filière textile » au Bangladesh, où elle prévoit de continuer à se fournir [1] « Il ne s’agit pas de mieux surveiller les sous-traitants, comme Auchan promet de le faire, mais d’avoir une politique d’achats avec une relation plus équitable avec les fournisseurs », commente Vanessa Gautier. « Auchan se dit victime de la sous-traitance sauvage. Alors que pour nous, elle en est responsable, de par ses pratiques d’approvisionnement. »

L’entreprise, qui n’a pas donné suite aux sollicitations de Basta! sur cette question de l’indemnisation, s’est par ailleurs engagée à organiser des « visites inopinés des sites ». « Cette mission s’ajoutera à la série de contrôles sociaux et de qualité déjà en place. Le premier contrôleur de production sera opérationnel au Bangladesh dès septembre 2013 », explique le groupe, sans pour autant tirer le bilan des actuelles politiques de « responsabilité sociale » qui n’ont pas empêché le drame du Rana Plaza. « Pour le moment, nos partenaires au Bangladesh n’ont rien constaté », réagit de son côté Vanessa Gautier.

Nous en saurons peut-être plus à la fin du premier trimestre 2014, période à laquelle Auchan s’est engagée à communiquer sur l’avancement de la mise en œuvre de son plan d’action. Mise en œuvre dûment contrôlée par la direction de l’audit interne de groupe ! En attendant, pour dénoncer le décalage entre discours et pratiques, les votes sont ouverts sur le site prix-pinocchio.org.

Nolwenn Weiler

Photo via Donovan Crow