Discriminations

« Les CRS font de nos vies un enfer » : des migrants à Calais témoignent d’un déchainement de violences policières

Discriminations

par collectif

Originaires d’Érythrée, ils sont à Calais avec l’espoir d’atteindre le Royaume-Uni. Mais depuis le début du confinement, ils alertent sur un redoublement d’actes violents commis par des policiers à leur encontre. Il est rare que des réfugiés s’expriment publiquement sur ce qu’ils subissent. Basta! a donc décidé de relayer leurs témoignages.

« Tout d’abord, nous tenons à remercier les Français pour leur hospitalité et aussi pour leur gentillesse. Permettez-moi de vous présenter ma communauté et moi-même, pour que vous ne soyez pas laissés dans le froid. Nous sommes de la communauté érythréenne vivant à Calais près de l’aire de jeu BMX. Notre communauté habite ici depuis plusieurs années. Ici, il y a beaucoup d’histoires difficiles à digérer, qui sont gardées sous silence même lorsque l’on essaie de les diffuser. Nous demandons donc une solution rapide de nos problèmes. Laissez-moi vous raconter une partie de notre histoire.

Cinq ou six ans d’attente, dans l’angoisse, avant d’avoir une réponse négative

Le peuple Érythréen a vu tant de choses horribles sur son chemin, et l’histoire se répète encore. Ma communauté est ici parce que c’est la seule option qu’elle a. Certains d’entre eux ont une empreinte digitale en Italie, sans leur consentement, et d’autres ont été emmenés ou transférés dans d’autres pays européens comme l’Allemagne et la Suisse, où malheureusement ils ont été rejetés. Ce qui nous rend malades, c’est que la plupart d’entre eux ont attendu 5 ou 6 ans pour que leur demande soit examinée et, ce qui est terrible, c’est qu’ils finissent par avoir une réponse négative, alors que cette attente leur a causé une grande angoisse.

Malgré nos grandes attentes des pays démocratiques européens qui ont été déçus et qui ont un peu brisé notre esprit de combat, nous nous sommes quand même rendus compte que l’abandon de notre objectif n’est pas une option pour nous ; nos objectifs n’ont pas encore été réalisés depuis que nous sommes partis de chez nous.

« Les CRS font de nos vies un enfer »

En ce moment, nous nous trouvons à Calais, notre seule intention est d’atteindre le Royaume-Uni par tout moyen. Ici, certaines personnes, y compris les organisations humanitaires, nous aident avec nos besoins de base. À part ces personnes, certaines autres comme les CRS font de nos vies un enfer.

Parfois ils nous suivent partout comme si nous étions des espions ou des criminels avec des casiers judiciaires. Certains membres des CRS font des choses terribles à notre communauté. Nous avons vu les membres de CRS gazer notre peuple avec des agents chimiques alors qu’ils tentaient de rentrer au lieu de vie. De nombreux membres de notre communauté en sont victimes. Les CRS agissent parfois au-dessus de la loi ; un pays démocratique ne peut pas être considéré comme tel s’il utilise la force physique de cette manière, et cela ne le rend pas civilisé et ne rend pas l’exercice de leur fonction plus acceptables. La dernière fois, ils ont frappé un de nos amis alors qu’il essayait de rentrer. Ce n’est pas juste de frapper quelqu’un sans motif en rentrant chez soi.

« Les CRS nous ont frappés comme si nous étions des animaux, pas des êtres humains »

Le 5 novembre 2020, sans préavis, ils sont venus dans notre lieu de vie et nous ont empêchés de sortir toute la journée. Puis vers 21 h 40, ils sont venus vers nos tentes et ils ont gazé toutes nos affaires personnelles et nous ont frappés comme si nous étions des animaux, pas des êtres humains. Le lendemain matin, ils nous attendaient autour de Sangatte. Ils nous ont frappés et nous ont fait retourner sur nos pas en nous gazant. À des moments différents, ils nous causent de petits et grands dommages et cela continue. Même quand nous marchons, ils ouvrent leur voiture et nous gazent, juste pour s’amuser.

Chacun a le droit d’aller où bon lui semble et à tout moment. Ces personnes qu’ils appellent CRS nous chassent en dehors de la zone Carrefour et nous empêchent de faire les courses. Pour eux, voir des Erythréens s’amuser ensemble les remplissent de colère et les rendent d’autant plus violents. Comme tous les clients, nous avons le droit d’acheter ce que nous voulons et nous avons aussi le droit de nous amuser comme nous voulons. Les agissements des CRS sont honteux ; ces personnes ont dépassé les limites. Pendant que nous dormions, certains membres des CRS ont essayé de nous chasser avec force. Une fois installés, ils nous gazent. Gazer des personnes qui dorment est bien au-delà de l’imaginable. Dans ces cas-là, en tant que communauté, nous avons le droit de nous défendre.

« Légalement, chaque citoyen a le droit de se défendre et de défendre les personnes qu’il aime »

Le 11 novembre, certains de nos frères provenaient du port et d’autres de la ville vers l’endroit où nous vivons, connu comme BMX. Nos frères ont été bloqués dans la zone du pont par des membres de CRS, qui ne voulaient pas les laisser passer pour atteindre l’endroit. Il y avait environ 6 voitures et 40 personnes. Nous avons vu que les agents CRS étaient contre eux, alors nous avons couru pour rejoindre nos frères et nous avons pu les rejoindre. Les agents ne pouvaient pas nous supporter parce que nous protégions nos frères. Selon les informations que j’ai recueillies et vues de mes propres yeux, six personnes ont été blessées. L’une des victimes est un homme qui a été grièvement blessé. Il a perdu beaucoup de sang. Selon nos sources, notre homme a reçu une balle dans la tête à bout portant. Finalement, les choses se sont calmées même si les agents de la CRS étaient prêts à nous frapper à nouveau. Nous avons essayé de résister, ne bougeant pas de notre endroit pour pouvoir défendre notre lieu de vie. Nous nous attendions à ce qu’ils frappent à tout moment car ils avaient frappé notre frère à bout portant. À ce moment-là, nous avons décidé de parler et de demander de l’aide.

Légalement, chaque citoyen a le droit de se défendre et de défendre les personnes qu’il aime, ce qu’on appelle la légitime défense.

« Tout ce que nous voulons, c’est la justice »

Tout ce dont nous avons besoin est d’ informer ceux qui peuvent être concernés par cela. Dans ce pays de liberté et de démocratie nos droits de l’Homme doivent être respectés. Sinon, nous nous défendrons et notre lieu de vie, par tous les moyens. Nous savons que la police travaille pour la sécurité des personnes. Nous, les Érythréens, respectons la loi, nous sommes heureux de les aider et de faire ce qu’ils nous demandent légalement. Si quelqu’un nous dit que nous faisons des choses illégales, qu’il présente ses preuves de la bonne manière. Nous demandons donc de l’aide pour que les CRS arrêtent tout ce qu’ils nous font.

En tant que communauté, nous voulons simplement informer de ce qui nous arrive. Nous aurions pu aller au tribunal pour un procès, mais nous n’avons pas les papiers de séjour pour défendre notre cause. Tout ce que nous voulons, c’est la justice. Tout ce que nous demandons, c’est la justice et l’aide de la société. Dans une cour de justice, nous sommes tous égaux et nous attendons que les autorités nous rendent justice, afin que notre peuple puisse vivre en paix comme tout le monde. »

Rédigé par la communauté érythréenne, le 16 novembre à Calais, à l’attention du préfet du Pas-de-Calais, du sous-directeur de l’inspection et de la réglementation de la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité, des médias qui veulent s’en saisir, et de toutes personnes concernées.

« Voici une liste non exhaustive d’actes violents auxquels des membres de la communauté érythréenne ont été soumis récemment. Tous ces événements ont eu lieu à Calais et ont été commis par des agents de CRS depuis le début du confinement :
 Des CRS viennent régulièrement chasser les exilé.e.s de la pelouse du Carrefour, et les empêchent d’accéder au magasin.
 Des CRS dans des fourgons ont à plusieurs reprises accéléré fortement en voyant les personnes marcher le long de la route, comme pour les écraser.
 Des CRS empêchent régulièrement les habitants de se rendre au centre-ville, ou d’en rentrer. Ils les ont empêchés plusieurs fois en utilisant des gaz lacrymogènes et en les frappant avec leurs tonfas.
 Des CRS gazent les habitants lorsqu’ils marchent le long de la route, en ouvrant la portière de leurs fourgons.
 La nuit du 5 novembre, vers 21 h : des CRS sont venus sur leur lieu de vie et les ont gazés et frappés.
 Le matin du 6 novembre vers 6 h : des CRS ont attaqué une personne qui se rendait aux toilettes ; ils ont ensuite gazé le campement. Ils ont aussi passé à tabac et gazé des habitants qui se rendaient à Sangatte.
 La nuit du 10 novembre : des CRS ont lacéré des tentes. Toutes ces violences ont atteint un point culminant l’après-midi du 11 novembre : selon de multiples témoignages, les habitants ont été gazés à plusieurs reprises ; un homme a été grièvement blessé au visage par un tir de LBD40 à moins de 10 mètres de distance. La victime est hospitalisée et n’est pas en état de donner son accord quant à la communication de son état de santé. Au moins six personnes de la communauté ont été par ailleurs blessées lors de cet événement. La communauté érythréenne demande à pouvoir dialoguer avec les personnes qui donnent les ordres aux CRS. » Source : Human Rights Observers

Photo de une : Après la fouille et vérification des identités, quatre jeunes exilés sont arrêtés par la police (24 septembre 2020, Paris). © Anne Paq