Emissions de CO2

Le protocole de Kyoto est-il menacé de disparition ?

Emissions de CO2

par Sophie Chapelle

Les joutes diplomatiques s’intensifient au « Bella Center », le centre de conférence de Copenhague. L’enjeu du moment : le maintien ou non du Protocole de Kyoto, seul instrument un minimum contraignant pour obliger les pays riches à réduire leur niveau de pollution au CO2. Ceux-ci, dont l’Union européenne, sont accusés par les pays dits en développement (G77, du Brésil à l’Indonésie), le continent africain et les Îles Etats menacés par la montée des eaux, de vouloir l’enterrer.

© crédits : jean de Peña / Collectif à-vif(s) [1]

« Le protocole de Kyoto doit continuer. » Kemal Djemouai, au nom du continent africain, exprime ses craintes et sa ferme opposition « à la renégociation de la Convention cadre des Nations-unies sur le changement climatique qui pourrait entrainer un effondrement de l’accord international ». Un sentiment que partagent les petits Etats insulaires, particulièrement menacés par la montée des eaux, et regroupés au sein d’une alliance de 39 îles pays (AOSIS) qui s’étend sur les océans de Cuba à Vanuatu, des Maldives à Haïti, et qui souhaitent un accord juridiquement contraignant, notamment pour les Etats industrialisés.

Pourquoi cette crainte ? Le maintien, ou non, du Protocole de Kyoto, est l’un des enjeux du sommet. Deux processus sont discutés en parallèle, entremêlés dans un embrouillamini diplomatique et juridique. D’un côté, la « Conférence des parties » (COP), réunit l’ensemble des Etats signataires de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (UNFCCC). De l’autre côté, la Conférence des parties signataires du Protocole de Kyoto (CMP), que les Etats-Unis ont refusé de ratifier, va plus loin que la « COP » : elle établit un accord juridique contraignant avec des objectifs chiffrés.

« Beaucoup ont dit que le Protocole de Kyoto expirait en 2012 et que la conférence à Copenhague allait poser les fondations d’un nouveau traité pour le remplacer, c’est faux », s’indigne Lim Lee Lin du Third World Network. La première période d’engagement des pays « de l’Annexe 1 » – les pays industrialisés - a commencé en 2008 et se termine en 2012. En parallèle, les négociations sur la deuxième période d’engagements, après 2012, ont débuté. Copenhague doit en être l’aboutissement pour que de nouveaux objectifs entrent en vigueur en 2013. Un amendement au Protocole de Kyoto précise le montant des réductions d’émissions appliqué aux pays industrialisés à partir de 2013.

Ces derniers souhaitent y échapper en fusionnant les deux processus pour aboutir à un seul instrument placé sous l’égide de la convention onusienne. Cette position est défendue par plusieurs pays développés, dont le Japon, l’Australie mais aussi l’Union Européenne. Les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 21 octobre 2009 mettent l’accent sur le besoin d’un « accord juridiquement contraignant pour la période débutant le 1er janvier 2013 qui s’appuie sur le Protocole de Kyoto et intègre ses fondamentaux ». Lim Lee Lin craint que « l’Union européenne appelle à la fin du Protocole de Kyoto au terme de la première période d’engagements ».

Argument de ceux qui souhaitent la fin du Protocole de Kyoto : forcer les « principaux émetteurs » - comme les États-Unis - ou les pays « émergents » comme la Chine, l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud, à prendre des engagements internationaux contraignants pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Ces pays-là ne sont pas contraints à des engagements chiffrés par le Protocole de Kyoto. Rappelons que les États-Unis ne l’ont pas ratifié et que les pays émergents ne figurent pas dans la liste des pays contraints juridiquement à réduire leurs émissions (l’Annexe 1). Mais en coulisse, on suspecte une autre motivation, bien moins honorable : réduire le niveau d’engagements ou éviter de s’avancer sur des réductions d’émissions collectives. « Cela reflète la position des États-Unis, qui a récemment tenu à prendre des engagements de réduction d’émission sur une base unilatérale interne », explique Lin. Les engagements ne seraient rendus contraignants que par des législations nationales de réductions d’émissions. En clair : chacun déciderait dans son coin du niveau de pollution qu’il se permet, sans négocier avec les autres États.

« Aujourd’hui, nous risquons de perdre un accord juridique qui pose des objectifs contraignants aux pays développés », alerte Lim. Les négociations doivent se poursuivre sur le principe de ce que les pays devraient faire en conformité avec les prévisions scientifiques et pas sur ce qu’ils déclarent pouvoir faire ». Lors des négociations à Barcelone en novembre 2009, l’Afrique, soutenue par une partie du G77 (qui regroupe les pays dits "en développement", dont le Brésil et l’Inde) et la Chine, avait menacé de quitter la table des négociations si les pays développés ne s’engageaient pas sur des objectifs chiffrés ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

A Copenhague, le groupe africain a d’ores et déjà lancé un premier signal et semble être suivi par l’Alliance des petits États insulaires. Ce qui n’a pas empêché le Danemark de rendre public son projet de texte final, sans faire référence au Protocole de Kyoto. Ce qui a particulièrement agacé le Sud de la planète.

Sophie Chapelle

Notes

[1Du 6 au 19 décembre 2009, les photographes du collectif à-vif(s) sont à Copenhague pour la Conférence des Nations Unies sur le climat. En publiant quotidiennement des reportages photographiques et sonores, ils portent un regard subjectif sur une ville, théâtre d’un évènement planétaire surmédiatisé. Chaque jour, en collaboration avec les sites mouvements.info,
Mediapart.fr et m-e-dium.net des collectifs et des organisations participant à l’événement, l’équipe d’à-vif(s) vous convie à suivre en ligne le sommet du climat sous un angle original et décalé.