Bolivie

Le fantôme de Pinochet plane sur le Chaco

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Une guerre civile menace-t-elle la Bolivie ? Le conflit qui oppose depuis plusieurs mois Evo Morales et l’oligarchie blanche est monté d’un cran.

Depuis le 9 septembre, émeutes, saccages de bâtiments publics et pillages de postes militaires agitent quatre provinces boliviennes. L’acheminement de gaz naturel, principale ressource du pays, vers l’Argentine et le Brésil a été fortement perturbé suite à des sabotages de gazoducs. Des affrontements à l’arme à feu entre milices proches des partis conservateurs et partisans du président socialiste Evo Morales ont fait entre huit et trente morts, selon les sources, au nord du pays. Ces incidents ont été qualifiés par le président bolivien de « tentative de coup d’Etat fasciste et raciste ».

L’opposition latente entre les gouverneurs autonomistes des quatre provinces orientales - Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija - et le pouvoir central de La Paz s’aggrave depuis un an. Les quatre provinces amazoniennes abritent un tiers des dix millions de Boliviens mais sont les plus richement dotées en hydrocarbures, minerais et en potentiel agricole. Contrôlées par l’oligarchie blanche issue de la colonisation, les autorités locales s’opposent aux politiques de redistribution des richesses initiées par Morales. Une partie de la manne financière tirée de l’exportation de gaz naturel sert à financer des programmes sociaux à destination des 62 % de Boliviens qui vivent sous le seuil de pauvreté. Les quatre gouverneurs contestent également le projet de réforme agraire et souhaitent que leur statut d’autonomie soit intégré à la nouvelle constitution qui doit être soumise à référendum le 7 décembre.

Bataille de référendums

Les protagonistes s’étaient jusque là affrontés par référendums interposés. Des scrutins locaux - et jugés illégaux par La Paz - ont consacré, malgré un fort taux d’abstention, la volonté d’autonomie des quatre provinces. Evo Morales y a répondu par un « référendum révocatoire » le 10 août, portant sur sa propre présidence et l’action des gouverneurs élus des neuf provinces boliviennes. Si le président indien a remporté haut-la-main le scrutin, avec plus de 67% de « oui », les quatres gouverneurs dissidents également (entre 56% et 66%). Le gouverneur de Santa Cruz, Ruben Costas, en a alors profité pour qualifier Morales de « dictateur » et de « macaque »... L’antagonisme entre classes moyennes et aisée, blanches ou métisses, des plaines orientales, et indiens et paysans pauvres des plateaux andins n’a fait que s’aggraver. Le dialogue n’est pas interrompu pour autant. Le porte-parole des autonomistes, le gouverneur de la province de Tarija, Mario Cosso, reprend cette semaine les discussions avec la présidence.

Sommet latino-américain

La crise a pris une tournure continentale. L’ambassadeur des Etats-Unis, accusés de soutenir la sécession, est expulsé le 14 septembre de Bolivie, la Maison Blanche faisant de même avec l’émissaire bolivien. Cet acte aura des « conséquences sérieuses » a menacé le diplomate, évoquant les 100 millions de dollars que versent chaque année Washington à La Paz pour lutter contre le trafic de cocaïne. Le président vénézuélien Hugo Chavez s’en est mêlé, expulsant à son tour l’ambassadeur états-unien de Caracas, et qualifiant l’hyper-puissance de « yanquis de mierda ». En proposant son soutien militaire à Evo Morales, il a provoqué le malaise de l’état-major bolivien qui a rejeté toute « immixtion étrangère ».

Plus que l’agitation verbale du turbulent Chavez, l’attitude des pays sud-américains, tous gouvernés par la gauche à l’exception de la Colombie, et notamment du Brésil, premier partenaire économique de la Bolivie, sera décisive. Un sommet extraordinaire de la jeune Union des Nations sud-américaines (Unasur, créée le 23 mai à Brasilia) s’est tenu le 12 septembre à Santiago (Chili) pour aider le gouvernement bolivien à résoudre la crise. Tout un symbole, alors que le président équatorien Rafael Correa a déclaré que « ni l’Equateur, ni une autre nation latino-américaine, ne permettra un nouveau Augusto Pinochet dans la région, ni un coup d’Etat en Bolivie ou une sécession dans ce pays. »

Ivan du Roy