Médias libres

Le Dakar Bondy Blog ou l’info à contre-courant

Médias libres

par Jean de Peña, Sophie Chapelle

Le Sud aussi a ses médias alternatifs. Traiter l’actualité africaine en décalé, sans langue de bois ? C’est le défi que se sont lancés une vingtaine d’étudiants en journalisme de Dakar. Ils animent une édition du Bondy Blog, le Dakar Bondy Blog, créé en 2008, et tentent de se démarquer d’une culture de l’info, encore très institutionnelle. Un quotidien pas toujours facile pour ces jeunes journalistes bloggers. Reportage.

Photos : © Jean de Pena / Collectif à vif(s)

Une ville dans la ville. C’est l’impression donnée par le campus universitaire Cheikh Anta Diop de Dakar. 172 hectares dans lesquels s’entrecoupent de grandes avenues, des cités U, des cafés-restaurants, des stades. Là, les militants venus des quatre coins du monde pour le Forum social mondial viennent se fondre aux 65.000 étudiants. Devant l’entrée du Cesti, l’école de journalisme située au cœur du campus, les étudiants défilent, caméra au poing. À l’intérieur du bâtiment, l’ambiance studieuse contraste avec le bouillonnement de la rue. Dans une salle équipée avec deux Mac dernier cri, l’équipe du Dakar Bondy Blog est aux avant-postes. Ils viennent entre autres du Sénégal, du Cameroun, de Guinée, du Togo. Chacun leur tour, ils se présentent avec une once de fierté comme journaliste blogger.

Tout juste sorti du Cesti, Mamadou est investi dans l’aventure du Dakar Bondy Blog depuis mai 2008. « C’était le 10 mai, précise-t-il. L’occasion, c’était la remise pour la première fois en Afrique du prix Albert-Londres de journalisme ». À l’époque, le Bondy Blog compte déjà quatre éditions : la maison-mère en Seine-Saint-Denis et ses éditions locales à Marseille, Neuilly et Lyon. Créé en novembre 2005, le Bondy Blog raconte les quartiers populaires et fait entendre leur voix dans le grand débat national. À Dakar, ce sont les étudiants en journalisme du Cesti qui créent l’édition africaine. « J’étais là pour l’ouverture du Bondy avec Serge Michel et Nordine Nabili, les journalistes fondateurs du Bondy Blog, se souvient Mamadou. Notre premier sujet, c’était sur Albert Londres lui-même. » La figure tutélaire du grand reporter va dès 2008 poser les contours du projet. « Présenter la face cachée des événements, avoir le talent de l’impertinence, briser les murs de l’institution », autant de défis portés dès le début par Eugénie Aw-Ndiaye, la directrice du Cesti.

Sujets sensibles s’abstenir

Deux ans et demi plus tard, l’enthousiasme des premiers jours autour d’une parole libérée est en partie retombé. « On est limités dans le traitement de l’info », explique Alpha qui a récemment rejoint l’équipe comme directeur de publication. «  La ligne éditoriale n’est pas contrôlée de manière politicienne mais... la politique, la religion, c’est sensible. Et ne parlons pas de l’homosexualité ! » « C’est du journalisme institutionnel, classique, renchérit Idelette, jusque-là sur la réserve. On n’a pas encore réussi à changer cette culture. »

La place du journaliste et de sa reconnaissance donne lieu à de vifs échanges. Comme en France, la précarité guette le journaliste sorti de l’école. Nombreux sont ceux qui cumulent les stages et les CDD. Même s’ils sont tous passionnés par le métier, ils n’ont pas d’autre mot pour définir cette situation qu’« exploitation ». Pour eux, le journaliste est encore vu comme l’ennemi de pouvoir. L’assassinat la veille de notre rencontre de la journaliste Adja Diané, à Abidjan, spécialiste des hydrocarbures, résonne encore dans toutes les têtes.

L’actu, celle de la vie du campus

Contraints de faire du « politiquement correct » et de traiter des sujets qui ne fâchent pas, les bloggers puisent une bonne partie de leur sujet dans le campus. « Ici c’est une mine d’or, confirme Mamadou. Prends ton appareil et tu ne vas pas t’ennuyer ! » Les mobilisations étudiantes font partie des sujets quotidiens qui virent parfois au drame. Le bâtiment du Cesti donne sur ce qui est appelé dans le campus « le couloir de la mort ». Ce sont des affrontements violents entre les forces de polices et les étudiants de l’université qui lui ont valu son triste nom.

Mais la vie de l’université est aussi rythmée par les histoires quotidiennes de ses milliers d’étudiants. Chaque mercredi, les bloggers se réunissent pour définir les événements prioritaires du moment. « Nous sommes une vingtaine à être rédacteurs du blog, mais le noyau dur c’est un peu moins de dix personnes », explique Mamadou, récemment promu rédacteur en chef du Dakar Bondy Blog. « Avec les charges à l’extérieur, c’est difficile, on a moins de temps à consacrer au blog. » Pourtant Mamadou reste. Diplôme du Cesti en poche depuis l’année dernière, il tient à ce projet dans lequel il s’investit dès qu’il trouve un peu de temps. Le Dakar Bondy Blog poursuit sa narration de l’Afrique avec la fraîcheur de la jeunesse du continent.

Sophie Chapelle

Photos : © Jean de Pena / Collectif à vif(s)