Indignés africains

La jeunesse sénégalaise recourt à l’émeute pour faire plier l’oligarchie

Indignés africains

par Benjamin Sourice

Une série de manifestations contre un projet de manipulation de la constitution par le président Abdoulaye Wade a dégénéré en émeutes dans les rue de Dakar, ce 23 juin 2011. Sur la pression de la rue et du collectif
« Y en a marre » animé par des rappeurs, le projet a finalement été abandonné. Mais ces émeutes sont le signe de l’immense exaspération sociale des Sénégalais.

Photos : © Benjamin Sourice

Jeudi 23 juin 2011, un rassemblement spontané de milliers de personnes s’est tenu devant les grilles du Parlement sénégalais. Les manifestants sont venus exprimer leur opposition au vote d’une modification constitutionnelle demandée par le président Abdoulaye Wade, en prévision de l’élection présidentielle de 2012. Une modification qui devait permettre d’élire simultanément un président et un vice-président avec un minimum de 25% des suffrages exprimés au premier tour. Cette réforme lancée par le président sans débat préalable, et déjà adoptée en Conseil des ministres le 16 juin, a mis le feu aux poudres, alors que depuis des mois les Sénégalais craignent une dérive monarchique du régime. Abdoulaye Wade, 85 ans, cherche visiblement à organiser la succession en faveur de son fils Karim, 42 ans, déjà à la tête de 4 ministères, dont celui de l’Énergie.

Dès mercredi, la jeunesse dakaroise et l’opposition sont sorties dans la rue. Plusieurs leaders de la jeunesse, dont des membres du collectif « Y en a Marre », fondé par des rappeurs et des animateurs de rue, ont été détenus dans la nuit. Leur libération n’a pas encore été confirmée. La presse dakaroise faisait état dans la matinée de possibles poursuites pour « trouble public et atteinte à la sûreté de l’État » contre ces rappeurs populaires, sans pour autant qu’une procédure ait été officiellement lancée par les pouvoirs publics.

Jeudi 23 juin, dès le début de matinée, la manifestation s’est enflammée dans les rues adjacentes à la place Soweto, où siège l’Assemblée nationale. La police a fait usage de gaz lacrymogènes et de grenades défensives pour disperser les manifestants, qui érigeaient des barricades et brûlaient des poubelles. Vers 10 heures, un millier de manifestants a tenté d’envahir le ministère de l’Intérieur. La police a alors répliqué par des tirs à balles de caoutchouc, depuis des pick-up chargeant la foule. Vers midi, des échauffourées ont éclaté dans les rues contiguës au Parlement. Une maison, décrite comme étant celle de l’ex-ministre Farba Senghor, connu comme le nervi de Wade, a été prise d’assaut par la foule. Plusieurs manifestants ont fait état de tirs à balles réelles, en provenance de la maison. Des blessés ont été évacués. Une voiture qui tentait de fuir la résidence a été incendiée. C’est ensuite toute la rue de l’Assemblée nationale qui s’est embrasée, enveloppant le Parlement dans une épaisse fumée noire.

Les députés, pris au piège des émeutes, ont finalement fait marche arrière sur le vote de la loi. Le président Wade a demandé à son ministre de la Justice d’annuler la modification de l’article 33 de la Constitution, objet de la controverse, stipulant que « nul n’est élu au premier tour s’il n’a obtenu la majorité des suffrages exprimés », et que « si aucun candidat n’a obtenu la majorité requise, il est procédé à un second tour de scrutin ». Le projet proposant d’abaisser à 25% le seuil requis pour être élu dès le premier tour est donc abandonné. Mais cette énième provocation de Wade dans un contexte social ultra-tendu (lire par exemple nos articles sur les quartiers populaires de Dakar et sur la contestation étudiante) pourrait bien pousser l’ensemble des Sénégalais à descendre dans la rue pour mettre fin au « règne de la Wadie ». Et à suivre l’exemple de leurs cousins du Maghreb.

Benjamin Sourice