Aurélie Trouvé

« La crise financière est peu présente au sein de ce Forum social »

Aurélie Trouvé

par Ivan du Roy

C’est l’une des surprises de ce FSM 2009. Les débats sur la crise financière sont peu nombreux. Ils sont essentiellement animés par les organisations altermondialistes des pays riches. Logique : les conséquences de la crise ne sont pas encore perceptibles en Amérique latine, tant les autres urgences sociales sont déjà importantes. Des propositions communes pour y répondre ont cependant vu le jour. Entretien avec Aurélie Trouvé, co-présidente de l’association Attac.

C’est le premier FSM auquel vous participez, quelles sont vos premières impressions ?

C’est un immense bazar. Nous sommes obligés d’improviser en permanence. Mais les nombreux imprévus ont un côté positif : des rencontres non programmées se produisent et des dialogues se nouent. J’ai l’impression qu’un important mouvement amazonien et latino-américain se construit et se renforce, avec une présence particulièrement forte du Mouvement des sans terre. La proximité de l’Amazonie permet de lier enjeux écologiques et questions sociales, de faire émerger des idées comme l’éco-socialisme, de croiser les réponses à la crise alimentaire, écologique et financière.

La prise de conscience des impacts de la crise financière est-elle partagée ?

La crise financière et économique est finalement peu présente. C’est un des points négatifs. Sur les 2.000 séminaires, je n’en ai compté qu’une trentaine qui l’abordent et réfléchissent sur un nouveau système bancaire et financier. La seule assemblée thématique sur la question a été proposée par Attac [1]. Ce Forum social arrive peut-être un peu tôt. L’année 2009 va être très dure pour le Brésil qui vit sur ses exportations agricoles. Les pays du Nord risquent de fortement restreindre leurs importations. Nous en constatons déjà les répercussions en Chine, elles ne sont pas encore perceptibles ici. En Amérique latine, la crise est pour l’instant vécue comme celle des pays riches, pas comme une crise mondiale dont les économies émergentes et les pays pauvres vont aussi souffrir.

Quelles sont les propositions qui émergent de ce Forum pour y répondre ?

Nous avons travaillé au sein d’un réseau d’une vingtaine d’organisations internationales, ONG, mouvements d’églises ou réseaux associatifs, comme le Crid, Action Aid, War on want… Mais en l’absence des syndicats. Ils n’ont pas demandé à organiser des rencontres spécifiques sur le sujet. C’est révélateur d’un manque. La crise fait cependant avancer la prise de conscience. Plusieurs propositions font désormais consensus. La monnaie est un bien public qui ne doit pas être gérée selon les valeurs des actionnaires mais selon les besoins des populations. Il s’agit aussi de promouvoir l’émergence de systèmes monétaires régionaux. Une Onu réformée devrait être l’organisme de supervision du système économique et financier international.

Et pour réguler le système bancaire ?

Plusieurs pistes sont possibles. Il n’y a pas seulement la nationalisation ; également la création de banques coopératives avec une participation plus grande des salariés et des usagers dans leur gestion ; l’orientation des investissements bancaires vers des projets dits de développement durable et favorables à l’emploi ; un contrôle extérieur serré du secteur financier pour supprimer la spéculation et les effets de levier des hedge funds, les fonds d’investissement spéculatif. Nous proposons également une taxation exceptionnelle sur les hauts revenus en faveur des populations les plus pauvres victimes de la crise. Enfin, la suppression des paradis fiscaux et la taxation des transactions financières ne sont plus seulement portées par Attac. Ces propositions sont aujourd’hui largement partagées par les grands réseaux d’ONG. Des acteurs importants, y compris dans le monde anglo-saxon, convergent pour que le système bancaire soit contrôlé par la collectivité. C’est une avancée sensible. Mais nous devons associer les organisations du Sud, pas seulement les grandes ONG des pays riches.

Comment Attac et ses partenaires comptent-ils porter ces propositions pour qu’elles se concrétisent ?

Le prochain G20 du 2 avril à Londres sera un moment important de mobilisation, avec le contre-sommet du 28 mars. Nous disposons d’un réseau européen assez solide de 150 associations, ONG, syndicats. Nous comptons publier dans les semaines qui viennent un texte d’analyse commune. Un nouveau réseau de réflexion sur la crise financière et la globalisation – le Global Crisis Network - s’est créé contre le G20. D’autres réseaux continentaux existent. L’objectif est de mettre un peu de cohérence là-dedans.

L’Amérique du sud, et ses nombreux gouvernements de gauche, est-elle un terrain favorable pour initier ces propositions, à l’image de la Banque du Sud créée il y a un an pour contrer la Banque mondiale ?

Au cous d’une discussion, Chico Whitaker [2] a reconnu que la crise économique mondiale n’était pas la préoccupation centrale des participants brésiliens. Cette question n’est pas encore fédératrice au sein des mouvements sociaux. L’idée d’un système monétaire régional est plus fortement portée. Il faut savoir que les grands mouvements internationaux n’en sont qu’au début du dialogue sur la crise financière. En France aussi, nous venons d’entamer les discussions entre syndicats, mouvements écologistes ou organisations fondatrices d’Attac. Beaucoup découvrent ce que l’autre pense. Nous avons besoin d’une mise à plat et de débats sur cette question, face à la politique de socialisation des pertes et de privatisation des bénéfices des détenteurs de capitaux que propose le gouvernement. Attac a un rôle d’éducation populaire et de convergence des mouvements sociaux à jouer.

Recueilli par Ivan du Roy

Photo : Alain Elorza

Notes

[1Les assemblées thématiques sont des espaces (grande tente, auditorium) dédiés pendant trois ou quatre jours à un sujet. Il y a par exemple l’espace inter-religieux, sur le monde du travail, l’afro-négritude, les peuples indigènes, les droits humains et écologiques, la réforme urbaine…

[2Il est l’un des fondateurs du Forum social mondial, et responsable de la Commisson justice et paix au Brésil.