Loi Blanquer #2

La création de méga-établissements regroupant écoles primaires et collèges inquiète élus et enseignants

Loi Blanquer #2

par Nolwenn Weiler

C’est un amendement au projet de loi « Pour une école de la confiance », soutenu par la majorité parlementaire : il prévoit la création d’établissements regroupant collèges et écoles primaires d’un même secteur, sous l’autorité du principal du collège. En milieu rural, cette réorganisation de l’Éducation nationale risque d’accélérer le rythme des fermetures de classes. La disparition des directeurs d’école pourrait fragiliser les liens entre les équipes d’enseignants, les communes et les familles. Deuxième volet de notre série d’articles pour décrypter plusieurs aspects de la réforme en cours qui suscite nombre d’interrogations.

L’amendement était-il prémédité ou fortuit ? Dans le cadre de l’examen du projet de loi « Pour une école de la confiance » du ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer, la députée du Val d’Oise Cécile Rilhac (LREM) a déposé un amendement, voté par la majorité, créant des « établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux » (article 6 quater de la loi). Il s’agit de regrouper, sur un même secteur, le collège et les écoles élémentaires. En clair, l’amendement ouvre la possibilité de créer un méga-établissement, dont le cœur serait le collège et les dépendances les écoles élémentaires. L’ensemble sera placé sous l’autorité du principal du collège. Il sera assisté de plusieurs « adjoints » en charge du premier degré, qui remplaceront donc les actuels directeurs et directrices d’écoles.

Ces méga-établissements entraîneront « une modification profonde de l’organisation scolaire », prévient le syndicat enseignant Snuipp-FSU. Mais comme ils sont instaurés par un amendement, et ne figurent pas dans le projet de loi initial, ces futurs établissements publics locaux d’enseignement échappent à l’avis du Conseil d’État, contournent la discussion en commission parlementaire et évitent l’étude d’impact. Ce qui se révèle bien utile au vu de la réorganisation « profonde » que cela pourra engendrer dans le premier degré.

« Une nouvelle fois, ce sont les familles les plus éloignées de la culture scolaire qui en souffriront le plus »

Il n’y aura donc plus forcément un directeur ou une directrice par école élémentaire. « Lorsque l’établissement regroupe 10 écoles pour un total de 40 classes, il pourra y avoir 4 adjoints et non plus un directeur ou une directrice par école. Il y a donc bien économies de postes », estime le Snuipp-FSU. Les parents dont les enfants sont en difficulté, habitués à obtenir un rendez-vous rapide avec le directeur ou la directrice de leur école, devront apprendre la patience : les « adjoints » en charge du premier degré, moins nombreux et pas forcément sur place – leurs bureaux seront sans doute situés dans les locaux des collèges – seront probablement moins disponibles. Idem pour les élus qui ont l’habitude de dialoguer avec les responsables des écoles élémentaires pour évoquer les temps périscolaires ou des projets éducatifs comme l’aménagement des cours d’écoles.

« Les parents et le maire perdront leur interlocuteur familier, proche, incarnant l’éducation nationale. Au lieu d’avoir des réponses immédiates, comme celles que leur donnent actuellement les milliers de directrices et directeurs d’école dévoués à leurs tâches, ils se verront renvoyés, parfois, à plusieurs dizaines de kilomètres. Une nouvelle fois, ce sont les familles les plus éloignées de la culture scolaire qui en souffriront le plus », déplorent Sébastien Rome, directeur d’école à Lodève (Hérault) et Sylvie Plane, professeure émérite de sciences du langage, ancienne vice-présidente du Conseil supérieur des programmes (CSP), dans une tribune publiée par Le Monde.

Regrouper primaires et collège dans de grands établissements sera « bien tentant pour l’administration centrale »

La disparition des directrices et directeurs d’écoles élémentaires inquiète également les équipes enseignantes. « Pour le moment, ce n’est pas un supérieur hiérarchique, témoigne Céline, enseignante depuis 15 ans dans une école rurale de l’ouest de la France. C’est un collègue qui connaît les mêmes galères, et les mêmes difficultés que nous. Il comprend quand on se bat pour un gamin ou pour acheter du matériel. Là, nous aurons des intendants, qui se déplaceront de site en site. Ils ne connaîtront pas forcément la réalité de notre travail quotidien. » « S’il y a bien une certitude qu’ont les professeurs des écoles aujourd’hui, c’est qu’ils et elles ont besoin de moyens supplémentaires, de classes à effectif réduit, de remplaçants mais certainement pas d’un nouvel échelon hiérarchique », renchérit l’Union syndicale Solidaires.

Dans certains territoires, les classes de CM1 et de CM2 – voire celles des cours élémentaires et du CP – pourraient être progressivement regroupées dans les locaux du collège. « Au niveau national, le profit escompté n’est pas mince puisque 46,6 % des écoles primaires publiques comportent actuellement de deux à quatre classes, et les regrouper dans de grands établissements est donc bien tentant pour l’administration centrale », craint Sylvie Plane. Autant de petites écoles menacées, à terme, de disparaître. « En promouvant ce type d’établissements publics, les écoles éloignées d’un collège risquent de perdre en attractivité », remarque l’association des maires ruraux de France.

Disparition d’écoles ? « En aucun cas », assure le ministre

Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer tente de rassurer ces inquiétudes. Dans un courrier envoyé à tous les enseignants fin mars, il explique que « la création de cet établissement repose sur l’accord de tous les acteurs locaux, c’est-à-dire de la communauté éducative et des élus. Il représente une liberté nouvelle et non une obligation. En aucun cas, il n’a vocation à faire disparaître des écoles et encore moins leurs directeurs, contrairement à ce qui peut être écrit ici ou là. C’est tout l’inverse. Avec ces nouvelles dispositions, les directeurs seront davantage encore les acteurs locaux de l’école. »

« Nous ne fermerons pas d’école primaire », a encore assuré le ministre ce 27 avril, au micro d’Europe 1, confirmant ainsi l’engagement d’Emmanuel Macron. Il y apporte cependant quelques nuances, laissant ouverte la possibilité de fermer des classes – ou de les regrouper au sein des établissements plus grands esquissés par son projet de loi : « Aucun ministre de l’Éducation ne pourrait vous dire qu’il n’y a jamais de fermetures de classes », a-t-il précisé.

L’association des maires ruraux de France demeure sceptique. « Même si le dispositif n’est pas obligatoire et se fera sur la base du volontariat, comment ne pas voir dans ce modèle d’école-socle une incitation – in fine – à la concentration scolaire ?, répond-elle. La dynamique initiée par la mise en place de l’école-socle semble aller à l’encontre d’un aménagement équilibré du territoire scolaire ». Les édiles exigent que soient « gravés dans la loi » la nécessité d’un maillage scolaire pensé avec tous les élus, l’assurance que l’aménagement scolaire ne passe pas par une concentration territoriale sur un même site et la garantie que la proximité indispensable du directeur dans une école rurale sera conservée. Aucune de ces garanties n’a été ajoutée au texte de loi qui sera examiné par le Sénat en mai.

Nolwenn Weiler

Dessin : Rodho

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