Crise du logement

« L’habitat participatif reste encore marginal en France, mais il fait bouger les lignes »

Crise du logement

par Rachel Knaebel

Un quart du budget familial ! C’est ce que les ménages dépensent en moyenne en France pour se loger. Ce coût élevé pour se loger, l’un des plus chers d’Europe, explique en partie que 4 millions de personnes vivent toujours en situation de mal-logement. L’habitat participatif et coopératif pourrait-il contribuer à résoudre cette crise ? Constitue-t-il un frein à la spéculation immobilière ? Pourquoi reste-t-il marginal en France alors qu’il s’est répandu en Allemagne, en Suisse ou au Québec ? Entretien avec Camille Devaux, professeure spécialisée en aménagement et urbanisme à l’université de Caen.

En Suisse, 5 % des logements relèvent de l’habitat coopératif. A Zurich, la plus grande ville du pays, la proportion monte même à 20%, soit environ 40 000 logements. Quant à l’Allemagne, le pays compte plus de deux millions de logements coopératifs. Leur particularité ? Ils sont gérés collectivement par leurs occupants, qui sont à la fois propriétaires, en tant qu’associés de la coopérative, et locataires, à travers une structure dans laquelle les décisions sont prises en application du principe « une personne, une voix ». Les groupes de construction, qui permettent à des particuliers de construire un immeuble en commun, sont aussi tout à fait courants outre-Rhin. L’habitat participatif est également répandu au Québec.

En France, il existe également des logements coopératifs, qui ont même leur fédération, Habicoop. Mais son implantation reste encore timide. En 2014, la loi logement de l’ancienne ministre écologiste Cécile Duflot – loi « pour l’accès au logement et un urbanisme rénové », dite Alur – a créé deux nouveaux statuts juridique pour aider les projets d’habitats participatifs et coopératifs. Le mouvement a-t-il pris ? Comment fonctionne le logement participatif ?

Basta! : Pourquoi l’habitat coopératif ne s’est-il pas davantage développé en France comme cela a été le cas dans d’autres pays, tels l’Allemagne ou la Suisse ?

Camille Devaux [1] : Une des raisons touche au mode de production du logement en France, avec une présence forte de l’État et des collectivités locales. Si on prend l’exemple de la Suisse ou du Québec, les initiatives d’habitat participatif s’y sont particulièrement développées à un moment de désengagement de l’État. Comme dans les années 70 au Québec.

Ce qui n’a pas été le cas en France, où le parc locatif social est important [18 % des ménages sont logées dans le parc locatif social, en particulier les plus modestes, contre 20 % pour le secteur privé, ndlr]. Il y règne aussi une culture plus forte de l’accès à la propriété, et l’on y est culturellement plus attaché à son logement. En France, près de 60 % de la population est propriétaire de son logement. Cela monte même à 70 % pour les plus de 75 ans. La mentalité y est peut-être aussi plus individualiste.

Il existe cependant un mouvement du logement coopératif français, au sein même du mouvement HLM...

Il y a eu des initiatives qui sont parties d’organismes HLM, aux côtés d’organismes publics. Et le sujet a gagné en importance aux sein du mouvement HLM. Il a été porté au niveau de l’Union sociale de l’habitat il y a une dizaine d’années. Aux côtés d’Habicoop, association porteuse du modèle de coopératives d’habitants, il s’agissait de relancer l’habitat coopératif et notamment de lui donner un cadre juridique. En parallèle, une des fédérations du mouvement HLM a travaillé à la mise en œuvre d’un statut d’habitat social coopératif, dit de Société civile immobilière d’accession progressive à la propriété (Sciapp).

Ce statut avait été créé par la loi « d’engagement national pour le logement » de 2006. Mais les décrets ne sont arrivés que plusieurs années après. Il y a quelques projets aujourd’hui qui sont sous ce statut. Le principe de la Sciapp, c’est que comme locataire-associé du projet, vous pouvez devenir propriétaire à terme. Ici, payer le loyer, c’est comme rembourser un emprunt à l’organisme HLM. Cela reste dans une logique d’accession sociale à la propriété, avec une forme de codécision coopérative.

Sous quels statuts les opérations d’habitat participatif peuvent-elles se monter, aujourd’hui ?

Il y a d’abord les SCIA (sociétés civiles immobilières d’attribution) et les SCC (sociétés coopératives de construction). Ces deux statuts existent depuis longtemps. Ensuite, la loi Alur de 2014 a créé deux nouveaux statut : la société coopérative d’habitants, et la société d’autopromotion. La création du statut de société coopérative d’habitants, c’est ce que demandait la fédération Habicoop depuis longtemps. Cela crée un véritable régime de propriété collective [2]. Le statut de société d’autopromotion a, de son côté, vocation à sécuriser les groupes qui veulent construire ensemble, mais pas forcément sous une forme coopérative. Les participants peuvent ensuite moduler les règles de prise de décision pour avoir une forme plus ou moins collective et participative.

Concrètement, ces nouveaux statuts créés par la loi Alur garantissent une existence au niveau institutionnel des projets, et une sécurisation juridique. Cela incite aussi en théorie à lancer des projets, parce que les choses sont plus claires et donc plus faciles. La constitution des projets relèvera moins du bricolage. Mais après la loi Alur aussi, les décrets ont mis du temps à être publiés. Cécile Duflot, qui avait porté la loi, a quitté le ministère, et la ministre suivante [Sylvia Pinel, Parti radical de gauche, ndlr] n’était pas très impliquée sur le sujet.

Quel est l’ampleur du logement participatif aujourd’hui en France ?

Il est très compliqué de la chiffrer exactement. J’estime qu’il existe environ 500 projets d’habitat participatif, au sens large. Et 100 à 150, parmi eux, qui ont déjà abouti. Mais c’est un ordre de grandeur. Ce chiffre englobe des projets variés dans leur nature. Les organismes HLM peuvent par exemple décider de changer le mode de gestion d’un complexe de logements. Concrètement, il peut s’agir d’organiser des réunions avec l’ensemble des locataires, de donner un budget pour un projet de compost en pied d’un immeuble, ou pour mettre à disposition un local à tous les locataires pour des réunions.

Néanmoins, bien que l’habitat participatif reste marginal en France sur le plan quantitatif, le principe de la participation se répand. Par exemple, le fait d’envisager des salles de réunion dans un projet neuf de logement social, cela se fait de plus en plus. Le mouvement de l’habitat participatif fait bouger les lignes au niveau des opérateurs traditionnels. Il les fait réfléchir.

De quelle taille sont les projets participatifs lancés à l’initiative non pas d’organismes HLM, mais de particuliers ?

Il y a des projets avec une vingtaine de ménages, qui fabriquent autant de logements. C’est le cas du projet du Village vertical, qui est adossé à un organisme HLM (voir notre article). On est rarement sur des opérations qui montent par exemple à 100 logements. À Toulouse, il y a bien eu une opération avec 80-90 logements, dans l’écoquartier de la Cartoucherie. Mais c’est une opération mandatée par Toulouse métropole, avec à l’intérieur un projet coopératif de 17 appartements [3].

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Quel est le profil des personnes qui participent à ce type de projet ? S’agit-il de gens plutôt aisés et diplômés, ou pas tant que cela ?

Au début, les pionniers relevaient plutôt des classes moyennes supérieures, effectivement. Ces acteurs avaient souvent des liens avec le secteur de l’habitat, comme des architectes, ou des personnels des collectivités. Mais c’est de moins en moins le cas. Certes, les participants aux nouveaux projets ont souvent un capital culturel plutôt élevé, mais pas forcément sur le plan financier.

Le public se diversifie aussi du fait de la volonté des organismes HLM de s’impliquer dans l’habitat participatif. Il y a eu un tournant en 2010, quand les acteurs de l’habitat participatif ont décidé qu’il fallait s’ouvrir d’avantage, qu’il fallait démocratiser le mouvement. Ce qui est passé par des partenariats plus volontaires avec les bailleurs sociaux.

Les locataires-coopérateurs n’ont-ils pas besoin d’apporter un minium de capital au début des projets ?

Cela dépend des projets. Si c’est un projet adossé à un organisme HLM, en général non. Cela dépend aussi de son statut juridique, des groupes qui le montent. Ainsi que des mécanismes de péréquation, c’est à dire de redistribution en fonction des moyens de chacun, qui peuvent être mise en place au sein des groupes. La difficulté à monter de tels projets est en partie financière. Elle concerne également la disponibilité des terrains. Mais elle réside aussi dans la disponibilité des participants, en termes de temps. S’impliquer dans un projet d’habitat participatif, c’est un gros engagements, sur le long terme. Et comme dans tous les projets collectifs, parfois, le groupe ne fonctionne pas, tout simplement.

Propos recueillis par Rachel Knaebel

Photo : CC meaduva

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Notes

[1Camille Devaux est maîtresse de conférences en aménagement et urbanisme à l’université de Caen, auteure de L’habitat participatif, de l’initiative habitante à l’action publique, Presses universitaires de Rennes, 2015.

[2Ce qui est différent de la copropriété : dans une coopérative d’habitants, une personne équivaut à une voix dans la prise de décision, quelque soit la taille de son logement ou le capital investi. Les coopérateurs y sont locataires des logements, dont la coopérative est propriétaire.

[3Voir ici.