Travailler autrement

Jeunesse en quête d’utilité sociale

Travailler autrement

par Simon Gouin (Grand Format)

Expérimenter de nouveaux rapports au travail, de nouvelles relations entre producteurs et consommateurs, privilégier l’utilité sociale et non le profit. C’est ce que propose le Réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires (Repas) à des jeunes, à travers un compagnonnage de trois mois, pour s’initier à l’économie solidaire et au travail collectif. On y apprend, entre autres, la gestion, la coopération, la confiance en soi et les autres. Une formation originale qui donne envie de travailler autrement.

Nicolas Formet était développeur de logiciels dans une entreprise parisienne. « Après la fin de mon école d’ingénieurs, j’ai enchaîné les boulots, sans vraiment trouver de sens à mon travail », explique-t-il. À 28 ans, il décide de tout arrêter. Changer de cadre de travail, de vie. Faire une pause. En février 2011, il a commencé le compagnonnage du réseau Repas (Réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires). Une formation atypique, créée il y a quinze ans, qui propose chaque année à une vingtaine de jeunes de 18 à 35 ans de découvrir le fonctionnement et de s’impliquer dans la vie d’une dizaine d’entreprises/structures alternatives fonctionnant en collectif (voir la liste des structures).

À partir de février 2011, Nicolas Formet a passé trois semaines au centre de formation agroécologique et culturel du Battement d’ailes, en Corrèze. Avant de découvrir le Gaec de la Feve, une ferme expérimentale à vocation environnementale sur le plateau de Millevaches dans le Limousin, puis une ferme pédagogique dans le Doubs (la ferme La Batailleuse [1]), et une en polyculture élevage dans l’Orne. Le parcours de trois mois est d’abord imposé : « L’idée est que toutes les structures peuvent apporter quelque chose et susciter des échanges entre nous », explique l’ancien informaticien.

Apprendre à travailler en collectif

À trois reprises au cours du compagnonnage, les jeunes se regroupent, souvent au hameau coopératif du Viel Audon, en Ardèche, pour faire le bilan de leurs expériences. C’est l’occasion d’apprendre à s’exprimer en public, à formuler sa pensée, son jugement. Et de choisir la suite du parcours : pour les cinq dernières semaines, le compagnon fait le choix du lieu et de son mode de participation – immersion dans la vie de la structure ou projet particulier – en fonction de ses objectifs.

Nicolas Formet souhaite, sur le plan personnel, retrouver confiance en lui-même et trouver sa place dans un groupe. Et sur le plan professionnel, réfléchir à son projet de devenir boulanger. « Mais le compagnonnage nous apprend une philosophie de travail, pas des compétences techniques », précise Nicolas Formet. Pour lui, cette nouvelle philosophie est une vraie rupture avec son ancien métier : coopération, créativité, échanges d’idées, absence de rapports hiérarchiques... On lui fait confiance. « L’important, c’est de faire les choses autrement », décrit le compagnon, qui, au côté de jeunes de tous horizons, a été conquis par les cadres de vie et de travail qu’il a découverts.

Un mode de vie qui attire de plus en plus de jeunes

Laurent Bouyneau est l’un des sept associés du collectif de la Bourdinière, membre du réseau Repas. L’exploitation, par où est passé Nicolas Formet, rassemble un vacher, deux fromagers, un maraîcher, un herboriste et deux paysans boulangers. Au départ, ils étaient quatre. Quatre à vouloir « mutualiser des idées et des forces », « vivre une aventure humaine passionnante » où le partage des tâches évite la monotonie et réduit la pénibilité – grâce à un roulement, chaque associé travaille un week-end sur sept. À la Bourdinière, la recherche d’autonomie, notamment alimentaire, est une priorité. Et la convivialité, entre autres par des repas collectifs ou des soirées musicales, est omniprésente. Un mode de vie qui attire aujourd’hui de nombreux jeunes. Tellement que le réseau Repas est obligé d’effectuer une sélection parmi les candidatures qu’il reçoit, pour n’en garder qu’une vingtaine.

« La dynamique de ce réseau nous a beaucoup plu, explique Laurent Bouyneau, qui fait aussi partie du comité de pilotage du compagnonnage. « C’est un accompagnement privilégié de jeunes en recherche de changement. » Un engagement pour ces structures qui passent du temps lors des regroupements et dans le comité de pilotage : environ quatre semaines de travail par an en dehors de la ferme. Et une transmission de savoir-faire, de savoir-vivre, de notions d’économie et de gestion. Un enseignement, mais pas uniquement : « Les compagnons ont des questionnements qui nous mettent en face de nos convictions et de nos idées, explique-t-il. Qui nous font avancer. Un réseau d’amitiés, d’esprit d’alternatives, de solidarités, se crée. »

Quel statut pour les compagnons ?

Côté réseau, la formation d’un compagnon revient à 3 800 euros pour assurer la gestion administrative et pédagogique de la formation, les déplacements, une partie de l’hébergement, des frais d’assurance, etc. Soit au total entre 65 000 et 80 000 euros par an pour l’ensemble des jeunes qui suivent la formation. Pendant longtemps, les régions Rhône-Alpes et Limousin, où sont présentes plusieurs structures du réseau, assuraient une grande part de ce budget. Puis la région Rhône-Alpes s’est désengagée… mais pourrait renouveler son soutien en 2012. Le financement de la formation est de plus en plus difficile. « Les structures font aujourd’hui du bénévolat, explique Laurent Bouyneau. On cherche désormais d’autres partenaires publics ou privés, comme des fondations. »

Côté compagnons, si l’hébergement est offert par les structures, les frais de nourriture et de déplacement sont à leur charge. Et il faut débourser 300 euros pour les trois périodes de regroupement, afin d’assurer une partie des frais d’hébergement et de nourriture. Des sommes relativement faibles pour ceux qui ont la chance de toucher le chômage et d’avoir un statut. Car si la formation a longtemps été reconnue par Pôle emploi, ce n’est souvent plus le cas aujourd’hui. « Ils ne voient pas l’intérêt d’une formation qui n’est, a priori, ni qualifiante ni diplômante, explique Nicolas Formet. Pourtant, c’est tout l’inverse ! »

Le goût d’entreprendre autrement

En groupe, les compagnons trouvent des solutions pour assurer le quotidien, en fonction des ressources de chacun. « Dès le début, on se met autour de la table et on décide de notre façon d’agir, indique Nicolas Formet. On met de l’argent en commun, on paie en fonction de nos revenus. Et on se déconnecte de ce problème d’argent, pour pouvoir avancer. »

Depuis début septembre, l’ancien informaticien a entrepris un Brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole (BPREA), option paysan boulanger, à Montmorot dans le Jura, pour acquérir des connaissances dans la culture des céréales et la fabrication du pain. Et pour son premier stage, il est revenu chez une paysanne boulangère, à la ferme de la Bourdinière, dans l’Orne, qu’il avait rencontrée lors de son compagnonnage. Avant, peut-être, de se lancer dans un projet collectif avec d’autres compagnons avec qui le courant est passé.

Simon Gouin

Photo : source

P.-S.

Le site du réseau REPAS

Les éditions Repas publient des livres, témoignages d’expériences alternatives et solidaires, notamment la collection « Pratiques utopiques ».

Notes

[1Lire cet article de L’Utopik.