JO 2024

« De la rage, de la tristesse, de la révolte » : la destruction des jardins ouvriers d’Aubervilliers a commencé

JO 2024

par Anne Paq, Pierre Jequier-Zalc

Les Jardins ouvriers d’Aubervilliers, devenus depuis quelques mois une JAD (jardins à défendre) ont été expulsés ce jeudi matin. Un « événement traumatique » pour les collectifs qui occupaient la zone. Ils appellent à poursuivre la mobilisation.

Peu avant 7 h du matin ce jeudi. La police pénètre sur les « Jardins à défendre » d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), occupés depuis plusieurs mois par des militants qui s’opposent à leur destruction. « C’était jour de rentrée, je préparais ma fille quand j’ai appris la nouvelle », raconte Viviane Griveau-Genest, du Collectif de défense des jardins des Vertus et qui y cultive une parcelle. Sur place, une poignée de militants sont délogés, deux seront emmenés au commissariat avant d’être libérés l’après-midi. « On n’a rien pu faire, on avait mis en place des choses pour s’alerter en cas d’évacuation, mais là on a juste eu le temps de se réveiller », témoigne Ibis* [1], un militant très présent sur la JAD. Sitôt les jardins évacués, une pelleteuse démolit les cabanes aménagées par les occupants. Plusieurs arbres et potagers sont, eux aussi, détruits.

« Il saccage la biodiversité, les ressources, la capacité des citoyens à prendre en main leur destin »

Pour protester, quelques 200 personnes se sont retrouvées devant la mairie d’Aubervilliers ce jeudi soir. Sur la petite place, l’émotion est présente, des larmes coulent sur les joues des militants qui s’enlacent. « C’est un moment plus que difficile, c’est traumatique, révoltant. Lundi, on a déposé un référé pour suspendre les travaux. Jeudi, jour de rentrée, l’aménageur continue dans son projet criminel. Criminel car il saccage la biodiversité, les ressources en terme de résilience alimentaire, la capacité des citoyens à prendre en main leur destin pour faire vivre les territoires », lance Viviane Griveau-Genest sous les applaudissements de la foule. « Il y a de la rage, de la tristesse de perdre ces lieux. Mais ça donne envie de relancer pleinement la mobilisation. Il y a aussi de la révolte », confie Ibis.

« C’était jour de rentrée, je préparais ma fille quand j’ai appris la nouvelle. » Ce 2 septembre, des dizaines de CRS investissent les jardins ouvriers d’Aubervilliers pour en expulser les occupants et préparer le terrain aux pelleteuses / © Anne Paq

Cette parcelle de plusieurs hectares des Jardins des Vertus était occupée depuis plusieurs mois pour lutter contre le projet d’aménagement du Grand Paris en vue des Jeux olympiques de 2024. Une piscine, un solarium, un écoquartier et une gare de métro doivent ainsi sortir de terre. La piscine olympique est prévue dès 2024. Elle devrait servir de bassin d’entraînement pour les athlètes. Ce projet imaginé par Grand Paris Aménagement (GPA) empiète sur une partie des jardins ouvriers d’Aubervilliers, un lieu historique depuis près de 90 ans. Poumon vert de la ville, espace de biodiversité, de création de tissu social, c’est pour toutes ses raisons que le collectif pour défendre les Jardins des Vertus s’est créé pour lutter contre sa destruction.

« Ce que je trouve profondément hypocrite, c’est d’utiliser le prétexte des JO pour faire ce projet. Ils profitent de la popularité de l’évènement pour construire des choses qui vont détruire le tissu social. La piscine sera chère. Ce projet vise un public qui n’est pas ceux des quartiers populaires », assène Ibis. « C’est totalement absurde », renchérit Amine*, un militant d’Aubervilliers, « la municipalité ne fait rien pour aider concrètement les habitants, sur la mise en place d’équipements utiles, sur l’encadrement des loyers. On le voit bien avec ce projet, il n’est pas fait pour les plus précaires. C’est la voie à une gentrification rapide du quartier. »

Une manifestation le 18 septembre

Devant la mairie, on commence aussi à préparer la suite de la mobilisation. Ce jeudi, une plainte a été déposée pour destruction illégale. Une demande de suspension des travaux en référé avait été déposée lundi. Le tribunal a un mois pour se prononcer. Un autre recours juridique contre le permis de construire est également en cours. Outre les leviers d’actions judiciaires, les militants veulent continuer à se mobiliser sur le terrain. Une manifestation est prévue le 18 septembre, devant la mairie.

« Il y a de la rage, de la tristesse de perdre ces lieux. Mais ça donne envie de relancer pleinement la mobilisation. Il y a aussi de la révolte. » Environ 200 personnes ont manifesté dès le soir en réaction à la destruction des jardins / © Anne Paq

Après les prises de parole, la plupart des personnes sur place décident de prendre le chemin des Jardins, à Fort d’Aubervilliers. En clamant « Nous sommes tous des enfants de la JAD » ou « Auber, debout, soulève-toi », les dizaines de manifestants déambulent dans la commune pacifiquement. Sur place, plusieurs dizaines de CRS barrent l’accès aux jardins. Manifestants et force de l’ordre se font face. Le tout, sous les yeux de nombreux habitants du quartier. « C’est pour les jardins ? » demande cette Albertivillarienne. « Tout ça pour une piscine ! Les jardins ça fait presque 100 ans qu’ils sont là », lâche-t-elle en partant. Un autre vient au nouvelle. « Ils vont créer une terrasse pour bronzer » ironise Viviane Griveau-Genest. « Ah ouais... mais ça fait depuis toujours qu’ils sont là les jardins, je vais rester un peu avec vous alors », glisse un jeune d’une vingtaine d’années.

Cette « terrasse pour bronzer » c’est le solarium, cette extension de la piscine avec hammam et spa prévu dans le projet. C’est notamment ce solarium qui empiètera sur une partie des Jardins des Vertus. « La piscine sortira de terre à la place d’un ancien parking, nous on ne s’oppose pas spécialement à ça. C’est ce solarium qui est vraiment problématique », souligne Viviane, « il est inutile et va détruire la biodiversité d’un des rarissimes espaces verts de la ville ». Les opposants au projet ont proposé une alternative : construire le solarium sur le toit de la piscine plutôt qu’à côté. « C’est totalement réalisable, c’est un architecte qui a dessiné les plans », confie-t-elle. Proposé en préfecture, le projet alternatif a été « balayé » [2]

Des militants ont passé la nuit devant la JAD

La plupart des habitants venus voir ce qu’il se passe sont plutôt réfractaires au projet du Grand Paris. « On m’a dit que la piscine coûtera 18 euros, c’est beaucoup trop cher, je n’irai jamais » glisse Karima* qui habite sur l’avenue de la Division-Leclerc, qui longe les Jardins. « Et puis les jardins c’étaient bien. Moi je n’y allais pas mais je trouve ça joli, ça sent bon et surtout ça sert beaucoup pour les personnes âgées. Certaines y allaient souvent. »

Face à face entre manifestants et forces de l’ordre devant les jardins.« Tout ça pour une piscine ! Les jardins ça fait presque 100 ans qu’ils sont là », glisse un habitant. Une manifestation est prévue à Aubervilliers le 18 septembre. / © Anne Paq

« Au début de l’occupation, on sentait les gens assez méfiants à notre égard » raconte Ibis, « mais au fil des semaines, les relations se sont vraiment améliorées. Avant les vacances d’été, les écoles ont organisé des visites dans les Jardins dont la JAD. On faisait les visites aux enfants. Selon leur âge, on leur montrait la nature, on leur racontait des histoires, des contes quand ils étaient petits. C’était vraiment bien. »

Aux alentours de 21 h, les manifestants sont repoussés jusqu’au métro par les nombreux policiers. Une personne est interpellée. Durant les heures qui suivent, certains essayent encore d’accéder à la JAD. Une militante, en fauteuil roulant, qui se fait appeler Colibri, a décidé de passer la nuit devant l’une des entrées des Jardins. Elle est accompagnée de plusieurs personnes. Au petit matin, triste spectacle, les pelleteuses ont repris leur office. Les cabanes continuent d’être rasées, et les cultures, écrasées.

Pierre Jequier-Zalc
Photo de une : Destruction en cours d’une parcelle des Jardins des Vertus. © Anne Paq

Notes

[1Certains prénoms ont été modifiés

[2Voir le rapport produit par le Collectif de défense des Jardins des Vertus.