Nucléaire

Jaitapur, candidat à un second Fukushima ?

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par Rédaction

Dans une lettre au chef de l’Etat français, une centaine d’associations et de mouvements politiques du monde entier demandent officiellement à la France de ne pas financer le projet de centrale nucléaire en Inde à Jaitapur. Cette future installation atomique présente des risques majeurs pour la population mondiale.

Alors que la catastrophe nucléaire de Fukushima est encore en cours, nous vous écrivons pour vous exprimer notre profonde inquiétude concernant la décision à venir du gouvernement français d’accorder une garantie à l’exportation pour le projet de centrale nucléaire de Jaitapur en Inde.
Le site de Jaitapur est censé devenir le plus grand complexe nucléaire au monde, alors qu’il est situé dans une zone de haut risque sismique sur la côte ouest de l’Inde. Bien que trois failles tectoniques traversent la zone, ces risques ont été ignorés pendant la sélection du site de cette future centrale.

L’Inde dispose aujourd’hui de 19 réacteurs nucléaires opérationnels, parmi lesquels 17 sont des réacteurs de 220 MW et deux de 540 MW. Les réacteurs proposés pour Jaitapur sont d’une échelle sans commune mesure (1 650 MW) et sont conçus pour utiliser du combustible à taux de combustion élevé, ce qui requiert de bien plus importantes exigences de qualité de construction, de maintenance et de suivi. Toutefois, comme le montre le relevé des incidents nucléaires indiens, même la gestion de réacteurs relativement petits a été caractérisée en Inde par de faibles
standards de sécurité et d’immenses problèmes techniques – l’un des exemples les plus extrêmes étant l’effondrement de l’enceinte de la centrale de Kaiga en 1994.

Compte tenu de l’accident en cours sur quatre réacteurs à Fukushima et du fait que les régulateurs soient toujours en train d’évaluer les leçons à en tirer, il serait d’une extrême folie de soutenir la construction d’un des complexes nucléaires les plus importants au monde, et ce dans une zone à haut risque sismique, dans un pays ayant de faibles standards nucléaires, avec d’immenses problèmes de corruption, et ne disposant ni d’un régulateur indépendant, ni d’expérience dans la gestion de réacteurs de cette importance.

Alors que la législation européenne requiert que « les Etats-membres s’assurent que l’autorité de régulation compétente soit séparée fonctionnellement de tout autre organisme ou organisation lié à la promotion ou à l’utilisation de l’énergie nucléaire », le régulateur indien (l’AERB : Atomic Energy Regulatory Board) ne remplit pas ces critères. En effet, l’AERB est sous l’autorité du Département à l’Energie Atomique (DAE : Department of Atomic Energy), qui est responsable de la promotion de l’énergie nucléaire et est aussi le propriétaire de NPCIL, l’entreprise qui veut construire et gérer Jaitapur. Comme mentionné par le Dr. Gopalakrishnan, ancien président de l’AERB, ceci constitue une sérieuse menace à la sécurité nucléaire : « Cette dépendance est délibérément exploitée par la direction du DAE pour influencer directement et indirectement les évaluations de sécurité et les décisions de l’AERB. Cette interférence s’est manifestée par le fait que l’AERB ait revu à la baisse la gravité de certaines préoccupations de sécurité, acceptant le report de réparations essentielles (…) et permettant la continuité des opérations d’installations nucléaires alors que des considérations de sécurité publique auraient nécessité leur arrêt immédiat pour remise en état ». Bien que le gouvernement indien ait récemment indiqué son intention de créer une autorité de régulation nucléaire autonome
à l’avenir, celui-ci n’a cependant pas ralenti le processus d’approbation et de préparation de Jaitapur.

Dans ce contexte, nous voudrions également attirer votre attention sur le fait que les réacteurs prévus pour Jaitapur présentent un certain nombre de faiblesses dans leur conception, ce qui les rend vulnérables à des scénarios d’accidents similaires à celui de Fukushima. Les piscines de combustible usé sont par exemple localisées en dehors de l’enceinte de confinement, les rendant vulnérables à certains dommages, et une source potentielle d’émissions de radiations majeures dans l’environnement. Par ailleurs, la salle de contrôle est localisée proche du réacteur, la rendant inaccessible en cas de fuites radioactives importantes. Enfin, les générateurs de diesel de secours sont situés proches du sol, les rendant vulnérables en cas d’inondation.
Comme vous devez également le savoir, l’Inde est l’un des très rares pays à avoir refusé de signer le Traité de Non Prolifération Nucléaire. Cet état de fait ne permet donc pas de s’assurer que la technologie acquise et le matériel nucléaire ne seront pas utilisés à des fins militaires.

De plus, il est important de souligner que le processus d’autorisation environnementale pour Jaitapur a violé à la fois la loi indienne et les approches communes de l’OCDE pour les agences de crédit à l’exportation en niant l’accès aux populations affectées à l’Etude d’Impact Environnemental, et en réalisant des acquisitions forcées de terrains avant toute audition publique des communautés locales concernées. Le projet a ainsi conduit à d’importants conflits sociaux et à une forte opposition locale. Pas plus tard qu’en avril dernier, un manifestant a été tué par la police et plus de 1 500 personnes ont été détenues suite à des manifestations contre Jaitapur.

Pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus, le projet Jaitapur est extrêmement controversé. Les risques sismiques du projet ainsi que la faible qualité de la gestion et des standards de sécurité dans le secteur nucléaire en Inde font de Jaitapur un candidat de premier choix pour devenir un second Fukushima. Dans l’intérêt de la sécurité nucléaire, les organisations mentionnées ci-dessous vous demandent de n’octroyer aucune garantie de crédit à l’exportation pour ce projet.

Retrouvez l’ensemble des signataires en cliquant sur la lettre :

Lettre à Nicolas Sarkozy sur Jaitapur