Hongrie

JCDecaux, afficheur officiel de la campagne de communication anti-migrants de Viktor Orbán

Hongrie

par Rachel Knaebel

Alors que les Hongrois sont appelés aux urnes ce dimanche 8 avril pour des élections législatives, le gouvernement du Premier ministre Viktor Orbán (extrême-droite) s’est lancé dans une campagne de communication répétant encore une fois son refus de toute immigration. L’une des affiches montre une foule de personnes au teint mat et aux cheveux bruns qui rappelle celle des milliers de réfugiés du Moyen-Orient tentant de rejoindre l’Europe de l’Ouest à pied, au plus fort de la crise migratoire de 2015. Devant eux, un panneau « Stop », rouge et blanc.

Sur une autre affiche : « L’Onu nous demande d’accepter des migrants de manière continue. La Hongrie décide, pas les Nations-unies. » Sur les photos, on peut voir, surmontant les images et les slogans, le sigle JCDecaux. C’est en effet l’entreprise française qui loue ses panneaux pour cette campagne du gouvernement Orbán, au pouvoir depuis 2010 et qui a eu tout loisir d’installer en Hongrie un régime néo-autoritaire fait d’attaques au contre-pouvoir judiciaire, de mise au pas des médias, de campagnes et de lois stigmatisant les organisations non gouvernementales, de refus de toute immigration, de criminalisation des réfugiés, et de discours haineux envers ces derniers.

Ainsi, en Hongrie, le simple passage de la frontière par des demandeurs d’asile est devenu un crime passible de trois années de prison. Le 14 mars dernier, une cour d’appel hongroise a confirmé la condamnation à sept ans de prison d’un Syrien accusé d’avoir commis un « acte terroriste » lors d’affrontements avec des gardes-frontières hongrois en septembre 2016. Des heurts avaient éclaté alors que des centaines de réfugiés étaient bloqués à la frontière serbo-hongroise après sa fermeture par la police. En février, le Premier ministre hongrois est allé jusqu’à déclarer : « Nous ne voulons pas être un pays multicolore ». Ce à quoi le Commissaire aux droits humains des Nations-unies a répondu en disant qu’Orbán était raciste et xénophobe. Ce dernier a néanmoins de grandes chances d’emporter encore une fois la majorité aux élections législatives.

« Campagne de haine »

« Les posters sont apparus il y a environ une semaine. Et pas seulement à Budapest. Il y en dans toute la Hongrie, rapporte Dóra Papp, de l’association Ahang, qui a lancé le 19 mars une pétition demandant à JCDecaux de les retirer. C’est une campagne haineuse. JCDecaux n’est pas obligé d’afficher ce que le client demande. L’entreprise peut très bien annuler cette campagne d’affichage. » La pétition a recueilli plusieurs milliers de signatures en moins d’une semaine, et des milliers de mails ont été envoyés aux responsables de l’entreprise pour leur demander le retrait des affiches. « En Hongrie, les campagnes d’affichage xénophobes du gouvernement ont commencé en 2015, poursuit Dóra Papp. L’année dernière, il y a aussi eu une campagne contre Georges Soros ». Celle-ci accusait notamment le milliardaire états-unien d’origine hongroise de soutenir l’immigration. Et déjà, les affiches anti-Soros avaient pris place sur les espaces de JCDecaux.

« Sortie du marché hongrois en 2009, l’entreprise française y a fait son retour en 2012 en rachetant la totalité des actifs hongrois du numéro un du mobilier urbain dans ce pays, Epamedia. Les messages du gouvernement qui saturent l’espace urbain depuis de longs mois sont particulièrement visibles tout au long du principal boulevard de Budapest, sur des espaces d’affichage déroulant éclairés flambant neufs », précise le site d’information francophone Le Courrier d’Europe centrale, basé à Budapest.

En plus d’une pétition, des milliers de signalements

Que répond JCDecaux à cette mise en cause ? Contacté par Basta!, le service communication de l’entreprise écrit : « Sachez que contrairement à la France, les campagnes politiques sont autorisées en affichage en Hongrie et nos espaces publicitaires sont disponibles pour l’ensemble des partis politiques. JCDecaux ne peut censurer les messages des uns ou des autres. » Cela serait inexact, d’après l’organisation Ahang. Selon cette dernière, même si elle a lieu au moment des élections, il s’agit bien d’une campagne d’affichage du gouvernement hongrois, mais pas d’affiches électorales.

Dans son document de référence 2016, l’entreprise JCDecaux annonce : « Depuis plusieurs années, soucieux de respecter les règlementations locales et de ne pas heurter la sensibilité du grand public, JCDecaux a mis en place une procédure de controle de conformité des visuels publicitaires. Chaque entité de JCDecaux veille à mettre en œuvre une procédure de conformité des visuels avec les lois et règlementations applicables et s’assurer que les visuels abordant certains thèmes spécifiques (alcool, nudité-lingerie, violence, pornographie indirecte, vertus écologiques de produits, tabac...) soient examinés avec une attention particulière ». Manifestement, l’entreprise juge que la nouvelle campagne xénophobe de Victor Orbán n’est pas en contradiction avec ces règles éthiques, et ce, même si des milliers de Hongrois ont déjà signalé à l’entreprise française que cette campagne les heurtent, eux, bel et bien.

Rachel Knaebel