Extrême-droite

Incitations à la haine, racisme, intox : des élus et cadres du FN se lâchent

Extrême-droite

par Sophie Chapelle

Depuis les attaques contre la rédaction de Charlie Hebdo, des policiers et le supermarché casher à Paris, des élus et des cadres du FN se lâchent : mensonges, propos islamophobes, incitations à la haine, voire même apologie de terrorisme se sont diffusés sur les réseaux sociaux, sur fond de tentative de récupération politique. Voici un petit florilège de ces messages qui prennent pour cible, en vrac, les « fellouzes », les « gamins de banlieue », Christiane Taubira ou « les fascistes de gauche ». L’apparente « dédiabolisation » vantée par certains médias semble bien lointaine…

Arrivera t-elle à tenir ses troupes ? Marine Le Pen, présidente du Front national, s’essaie à une certaine retenue dans ses propos depuis les attentats du 7 janvier qui ont frappé des journalistes, policiers et citoyens de confession juive. Dans un entretien au Monde, elle récuse «  tout amalgame » entre « nos compatriotes musulmans attachés à notre nation et à ses valeurs » et « ceux qui croient pouvoir tuer au nom de l’islam » [1]. Elle n’a pu cependant s’empêcher au lendemain du massacre de rappeler qu’elle proposerait, si elle était présidente, un référendum sur la peine de mort. Avant de ressortir l’arsenal de mesures prônées de longue date par le FN, à commencer par la réforme du code de la nationalité avec la suppression du droit du sol, la suspension « immédiate » de Schengen et la déchéance de nationalité pour « les binationaux condamnés pour des faits délictuels ou criminels ».

Qu’en est-il des propos des cadres, élus et candidats du FN, depuis le 7 janvier ? Sont-ils nombreux à tenir publiquement des discours islamophobes à l’instar d’Aymeric Chauprade, eurodéputé FN, qui a publié le 14 janvier une vidéo dans laquelle il affirme que « la France est en guerre avec des musulmans » ? « Une cinquième colonne puissante vit chez nous et peut à tout moment se retourner contre nous en cas de confrontation générale », ajoute t-il en se référant à la montée du nazisme dans les années 30. L’eurodéputé a été désavoué par Marine Le Pen qui a annoncé qu’Aymeric Chauprade n’était plus son conseiller international et demandé aux cadres du parti de ne pas relayer cette vidéo polémique [2]. Sa nièce, la députée Marion Maréchal-Le Pen, s’est cependant empressée de la diffuser sur twitter le 20 janvier.

Ce pied de nez à l’autorité de la présidente du FN cache en réalité bien d’autres propos islamophobes, antisémites ou xénophobes tenus par des élus, candidats et cadres du parti. Des membres qui n’ont de cesse de lier islam, immigration, délinquance et terrorisme. Un échantillon de ces réactions a été relevé par le site L’Entente, dont l’objet est d’observer le FN. Accrochez-vous...

Guerre d’Algérie, le retour

Dans la somme des propos simplistes et accusateurs, Nations Presse arrive en bonne position. Cet organe de presse cofondé par le vice président du parti Louis Aliot, se réjouit de la multiplication des reportages dans les médias « mainstream » qui pointent du doigt des élèves de Seine-Saint-Denis ayant perturbé la minute de silence en hommage aux victimes. « Les gamins des banlieues de l’islam ne sont pas "Charlie" ! », titre le 13 janvier le site frontiste. Or, selon la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, une centaine d’incidents directement liés à cette minute de silence ont été recensés, sur 64 000 établissements scolaires. « En braquant les caméras et les dictaphones sur une poignée de crétins, on oublie l’intelligence des autres et la sienne », fustige une prof du département [3].

Racine, le collectif d’enseignants associé au Rassemblement bleu marine, joue la surenchère. Il dénonce « un grand nombre d’élèves de confession musulmane », qui manifesteraient «  une parfaite maitrise des éléments de langage diffusés par le militantisme islamiste  » [4]. A cette logorrhée islamophobe succède des relents de guerre d’Algérie, la population musulmane servant de relais non plus au FLN mais aux islamistes : « Les islamistes trouvent dans une part importante de la population musulmane communautarisée une base arrière, morale sinon logistique ». Le collectif des « enseignants patriotes » (sic) préconise dans la foulée quelques mesures à prendre dans les écoles, comme la « relance volontariste du processus d’assimilation »... Le multiculturalisme ? Oubliez ce mot à l’école du FN. A quand les parachutistes dans les casbah franciliennes ou lyonnaises ?

Le sarrasin médiéval, voilà l’ennemi

Jean-Marie Le Pen remonte, lui, au Moyen Âge. Et se revendique « Charlie Martel ». Une référence à Charles Martel qui a incarné la victoire des chrétiens sur les musulmans, lors d’une bataille à Poitiers... en 732 ! Comme l’analyse le sociologue et philosophe Raphaël Liogier dans un entretien à Basta!, « pour le populiste, il est nécessaire de trouver un responsable, un ennemi contre lequel il faudrait défendre nos valeurs qui seraient attaquées. C’est tout l’intérêt de la focalisation sur l’islam : certains y voient une menace de la grande tradition judéo-chrétienne – l’image du sarrasin médiéval contre la chrétienté ».

Ce mauvais jeu de mots du président d’honneur du FN a été moyennement apprécié par la garde rapprochée de sa fille [5]. Pour Wallerand de Saint-Just, trésorier et avocat du FN, c’est « encore une démonstration de ce que Jean-Marie Le Pen ne comprend pas bien la société française actuelle, très compassionnelle et médiatique ». La référence a néanmoins été partagée par l’ancien président du Front national de la jeunesse et élu FN de Montélimar, Julien Rochedy, sur son compte twitter (voir notre article). Damien Rieu, directeur de la communication à la mairie FN de Beaucaire, affirme même qu’il faut « choisir son camp » entre « Je suis Kouachi » et « Je suis Charlie Martel ». Risque t-on, si l’on ne choisit pas, de finir « au bûcher » comme l’ont martelé les manifestants frontistes lors du rassemblement du 11 janvier à Beaucaire dans le Gard, où Marine Le Pen était présente ?

Propagande et intox

Après les gamins de banlieue ou le sarrasin infiltré dans la société française, il fallait choisir une cible au gouvernement. La candidate est toute trouvée, depuis les manifestations contre le mariage pour tous : Christiane Taubira. Certains élus FN usent de la propagande mensongère. A commencer par Marine Le Pen qui affirme qu’Amedy Coulibaly, auteur de l’attaque antisémite meurtrière de la porte de Vincennes, n’a purgé que quelques mois des cinq années auxquelles il était condamné. Comme Libération le décrypte ici, Coulibaly a bien purgé une peine de près de quatre ans, suivie d’une période au cours de laquelle il a porté un bracelet électronique. S’il a bénéficié d’une remise de peine d’environ un an, il est absurde d’établir un lien avec la réforme pénale de la Garde des Sceaux, puisque cette loi a été promulguée après la libération de Coulibaly.

Plusieurs cadres du FN, comme Philippe Martel ou Bruno Clavet [6], respectivement directeur de cabinet de Marine Le Pen et ancienne tête de liste du FN dans le 3e arrondissement de Paris, ont reproché le silence de Christiane Taubira après les attentats. Un silence qui n’existe tout simplement pas : après s’être exprimée le jour même, notamment sur les antennes de France Info, la ministre a visité le 8 janvier la section antiterroriste du parquet de Paris et réconforté les journalistes de l’Association de la presse judiciaire, dont le dessinateur Tignous était membre. Surfant sur l’intox, Nicolas Bay, député et secrétaire général du FN, a appelé le 14 janvier à la démission de Christiane Taubira pour son « laxisme judiciaire ». Illustrant son propos par la remise de peine d’Amedy Coulibaly dont la ministre serait responsable, Nicolas Bay va devoir peaufiner son argumentaire...

Récupération politique tout azimut

A peine les assauts terminés à Dammartin-en-Goële et à Vincennes, Jean-Marie Le Pen a publié le 9 janvier un message appelant à voter pour son parti. « Keep calm and vote Le Pen », peut-on lire dans ce tweet, avec en fond Marine Le Pen en noir et blanc. Ce slogan a été utilisé par le gouvernement britannique sur des affiches diffusées en 1939 pour remonter le moral des citoyens en pleine guerre contre l’Allemagne nazie. Accusé de récupération politique, Jean-Marie Le Pen a démenti : « On ne peut pas appeler à voter quand on veut ? Est-ce que je dois m’habiller en noir ? » D’autres élus du FN ont repris son message, comme Aymeric Perraud, secrétaire départemental du FNJ de Moselle [7]. Le vice-président du FN, Florian Philippot, a préféré ignorer la polémique, mettant l’accent sur le côté « inoffensif » du président d’honneur. Sauf que « l’inoffensif » Jean-Marie Le Pen sera le candidat du FN aux élections régionales en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’une des régions les plus prometteuses en matière de suffrages d’extrême droite.

Pendant les marches en hommage aux victimes, le Front national de la jeunesse (FNJ) de Lille a organisé une campagne d’affichage. « Des affiches de propagande politique y disaient que pour être en sécurité, il valait mieux voter Marine Le Pen », rapporte La Voix du Nord. Face aux critiques, l’élu FN Eric Dillies a rétorqué : « Qui peut décréter que le deuil doit durer trois jours ? Pourquoi pas trois mois ou trois ans ? Il suffit d’allumer la radio et d’écouter les appels des auditeurs pour savoir que la question de la sécurité se pose aujourd’hui. » Des citoyens se sont chargés de lui répondre pacifiquement : au lendemain de la campagne d’affichage, les affiches étaient largement déchirées. En milieu d’après midi, elles avaient disparu.

Moutons, charlots et fascistes de gauche

Dans les rangs du FN, il y a aussi ceux qui affichent un profond mépris pour les citoyens. Et absolument pas de subtilité. « Pour tous ces moutons, c’était soit aller faire les guignols avec « charlie » ou alors se cailler la laitance avec bobonne chez Ikea. Au moins, là, ils auront pris l’air dehors avec les fellouzes (partisans de l’indépendance de l’Algérie, ndlr) », lance, sur sa page Facebook, Christian Fournier, candidat aux élections cantonales pour le FN en 2011 dans l’Yonne.

Jean-Marie Le Pen, décidément très inspiré, a par ailleurs qualifié « tous ces gens [qui] marchent avec la pancarte "Je suis Charlie" de charlots qui sont responsables de la décadence de la France » [8]. Les quatre millions de personnes descendues dans la rue le 11 janvier apprécieront.

L’équipe décimée de Charlie Hebdo n’échappe pas aux insultes. « Ce sont des fascistes de gauche qui ont été assassinés, tonne Alain Trouillé, candidat aux cantonales de 2011 à Mérignac (Gironde) dans un post sur Facebook. Leurs caricatures étaient ignobles et on ne les verra plus. C’est la mort d’idoles de l’extrême gauche qui doit en être durement affectée. » Quand Didier Labaune, qui a cherché à présenter une liste FN aux municipales à Saint-Denis en 2014, considère plutôt que ce sont « le stalinisme » et « l’hitlérisme » qui « ont ouvert la voie à ces apprentis sorciers de la communication ». Dans les deux cas, le mépris affiché est consternant.

Incitation à la haine et apologie de terrorisme

Le vivre ensemble n’est décidément pas du goût des membres du FN. En la matière, Florent Braun, candidat aux dernières élections cantonales de 2011 dans l’Essonne, dépasse les limites. « J’ai juste envie de me faire une synagogue ou une mosquée » poste t-il sur la page Facebook à son nom, le 11 janvier 2014.

Ce type de propos viendra t-il s’ajouter à la liste des 69 procédures judiciaires ouvertes pour apologie et menaces d’actions terroristes, depuis les attaques contre Charlie Hebdo et le supermarché casher, selon le décompte de la chancellerie au 14 janvier ? Dans un précédent papier sur l’antisémitisme au FN, le site L’Entente avait épinglé Florent Braun qui avait déclaré : « Qu’on me demande si j’aime les juifs et bien oui, au four bien cuit avec du beurre et du rhum, c’est très bon. » N’ayant pas encore été convoqué par la direction générale de la sécurité intérieure, précise t-il le 12 janvier 2014, « je me lâche ». Avant de relayer le morceau « Killing an arab » des Cure...

Francis Maginot, candidat aux dernières législatives dans la 10e circonscription des Français établis hors de France, a lui déclaré sur sa page Facebook, n’avoir « aucune compassion pour ces ordures de « journalistes scatophages ». Avant d’ajouter : « Ils ont cru qu’on pouvait impunément bafouer pendant des années, les croyances et les valeurs des autres... Ils en ont payé la facture ! Que cela serve de leçon aux autres collabos de journaleux nécrophages ». Après un tel florilège d’appels à la haine, la conclusion revient à Marc-Antoine Andréani, candidat aux prochaines élections départementales pour le FN en Loir-et-Cher. « Si le Front National ne fait pas un bon en avant aux cantonales, c’est que les français en redemandent encore et dans ce cas cela ne servira à rien de venir se plaindre », affirme t-il. Et après ? Entendra-t-on des appels à refonder l’OAS, l’Organisation armée secrète, groupe terroriste d’extrême droite responsable de l’attentat le plus meurtrier en France depuis la Seconde guerre mondiale : le 18 juin 1961, une bombe posée par l’OAS sous le train Strasbourg-Paris à hauteur de Vitry-le-François le fait dérailler. Bilan : 28 morts.

Sophie Chapelle
@Sophie_Chapelle sur twitter

Photos de Une et ci-dessous : CC Vincent Jarousseau / Front national : à Beaucaire, le rassemblement de l’autre France (celles et ceux qui ont refusé la récupération politique du FN).