Habitat insalubre

Incendies d’immeubles à Paris : feu la justice ?

Habitat insalubre

par Julien Badaud

Le récent incendie dans le quartier de Ménilmontant (Paris) survient six ans après celui de l’hôtel Paris-Opéra, qui avait fait 25 morts. Et un mois après le procès sur l’incendie du boulevard Vincent-Auriol, brusquement interrompu. Aujourd’hui, des dizaines de familles qui ont tout perdu – à commencer par leurs proches – attendent toujours réparation. Mais pour ces familles, souvent modestes et d’origine étrangère, vivant dans ces logements insalubres, la justice ne semble pas pressée.

Et un de plus. C’est le malheureux constat que pourrait évoquer l’incendie d’immeuble du 14 avril dernier, dans le quartier de Ménilmontant (20e arrondissement de Paris). La piste criminelle est désormais privilégiée. Des morts, encore... Le bâtiment étant dépourvu de toute issue de secours, certains habitants ont préféré se défenestrer plutôt que d’avoir à affronter les flammes. Quatre d’entre eux ne s’en relèveront pas. Et cela malgré leur tentative d’amortir la chute, en jetant précipitamment des matelas au sol avant l’arrivée des secours. Plus tard, un dernier locataire sera retrouvé brûlé dans la cage d’escalier. Quant aux survivants, 57 d’entre eux sont blessés, dont six dans un état grave. Les 300 pompiers dépêchés sur place mettront plus de deux heures à venir à bout de cet incendie.

Un feu qui ravive de mauvais souvenirs

Mauvais tour du calendrier, l’épisode de Ménilmontant vient souffler la sixième bougie du dernier sinistre le plus meurtrier de la capitale. Sa date coïncide, presque jour pour jour, avec celle du drame de l’hôtel Paris-Opéra (9e arrondissement), le 15 avril 2005. Cette nuit-là, 76 habitants sont piégés par les flammes pendant leur sommeil. 25 personnes dont 11 enfants ont péri. Le feu est parti du premier étage, dans la loge du veilleur de nuit. Alors qu’il se dispute avec sa petite amie, cette dernière renverse par inadvertance une pile de vêtements sur une bougie allumée dans la pièce. En peu de temps, les escaliers en bois propagent le feu au reste du bâtiment.

Impitoyable loi des séries ? Quatre mois plus tard, le 26 août 2005, c’est au tour des habitants de l’immeuble situé au numéro 20 du boulevard Vincent Auriol (13e) de connaître le même et triste sort. Encore une fois, le bilan est lourd : 17 morts, dont 14 enfants, âgés de 2 à 13 ans. L’enquête judiciaire révèle que le sinistre est d’origine criminelle. Un incendiaire aurait allumé le feu depuis les étages inférieurs, en brûlant les poussettes laissées dans la cage d’escalier. À ce jour, aucun coupable n’a été identifié.

Des familles modestes dans des logements indécents

On voudrait s’arrêter là dans l’énumération de ces atrocités. Malheureusement, la même année encore, le 29 août 2005, le feu embrase l’immeuble n°4, rue du Roi-Doré (3e arrondissement), un des plus insalubres de Paris. Les familles, qui étaient pour la plupart en attente de régularisation de leur titre de séjour, n’avaient même pas accès à l’eau courante depuis leur habitation. Elles pleurent aujourd’hui la douleur de leurs sept disparus.

Au total, ce sont 49 personnes – dont plus de la moitié sont des enfants – qui ont trouvé la mort en l’espace de quatre mois, lors de cette terrible année 2005. Et comme pour le récent sinistre de l’immeuble de Ménilmontant, tous ces incendies déclarés en pleine nuit frappent des logements qui ne répondent pas aux normes de sécurité : absence d’extincteurs, aucune issue de secours, infrastructures vieillies, accès difficile pour les secours... Des bâtiments dans lesquels sont parquées des familles modestes et, pour la quasi-totalité, d’origines étrangères.

« Que justice soit rendue ! »

Samedi 16 avril, l’Association des victimes de l’incendie de l’hôtel Paris-Opéra (AVIHPO) appelait à un rassemblement. Chaque année, depuis le drame de 2005, les proches des victimes suivent le même rituel : des couronnes de fleurs sont déposées au pied du bâtiment dans lequel ils ont perdu les leurs, tandis que les enfants rescapés brandissent des roses blanches. Ils sont soutenus par des associations comme le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), le Droit au logement (DAL), ou encore l’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS). Le mot d’ordre de cette sixième commémoration est clair : « Que justice soit rendue ! » Car à l’heure actuelle, les familles attendent toujours l’ouverture du procès censé établir les responsabilités dans cette affaire.

Adama Koné, qui a perdu sa femme, alors enceinte, la nuit du drame, est président de l’AVIHPO. Dès qu’il a appris la nouvelle du récent incendie de Ménilmontant, il est allé sur les lieux. « C’était terrible, ça m’a fait revivre des choses que j’ai connues ici. Ce qui s’est passé prouve que la situation n’a pas changé ». Pour lui, il est urgent que le gouvernement impose des normes de sécurité décentes aux logements. « Le drame de Ménilmontant est la preuve que les incendies continuent, et que les familles sont en danger. S’ils veulent vraiment épargner des vies, il faut changer tout cela. »

Identifier les responsabilités

Après une minute de silence, un tour de parole est organisé auprès des 80 personnes présentes au rassemblement. Des familles de victimes, en pleurs, témoignent. Une militante du DAL dénonce la « responsabilité de la Mairie, et de l’État [qui] restreignent les budgets en matière de logements » et la non-application de la loi DALO, à laquelle la plupart de ces familles ont pourtant droit. La Mairie du 9e, justement, était présente en la personne de Pauline Véron, adjointe au maire du 9e, et déléguée, entre autres, de l’habitat. Chargée de représenter le maire Jacques Bravo (PS), absent « pour raison familiale », elle déclare : « On essaie de mettre tout notre poids d’élus pour que le procès ait lieu. Sachez que l’on est à vos côtés et qu’on ne vous oublie pas. [...] Nous avons également pour projet de dresser un lieu de souvenir dans le quartier, pour que vous puissiez vous recueillir. »

« Nous respectons la justice. Celle avec un grand J. Mais nous refusons la petite justice, comme celle mise en œuvre pour le procès de l’incendie du boulevard Vincent-Auriol », s’enflamme Aomar Ikhlef, vice-président et porte-parole de l’AVIHPO. Pour lui, il n’est pas question de vivre cela pour l’incendie de l’hôtel Paris-Opéra. « Nous voulons une justice responsable, qui sanctionne les marchands de sommeil véreux. Mais aussi une justice téméraire, pour rappeler aux politiques leurs devoirs », conclut-il. « Seule la mobilisation du plus grand nombre lors du procès pourra faire reculer l’injustice. »

« Un procès inadmissible »

En parlant de « petite justice », Aomar Ikhlef fait référence au procès de l’incendie du boulevard Vincent Auriol, qui s’est tenu les 6 et 7 mars derniers. Deux demi-journées étaient prévues pour ce procès. 46 proches des défunts se sont portés partie civile face à la Freha, bailleur social pour le compte d’Emmaüs et gestionnaire de l’immeuble, ainsi que la société Paris Banlieue Construction, chargée des travaux d’entretien dudit bâtiment. Tous deux étant sur le banc des accusés pour « homicides et blessures involontaires ». Mais au terme de ces deux jours, le procès a finalement été... reporté !

Des micros défaillants, une salle trop petite pour accueillir le public, et l’absence totale de temps de parole pour les familles des victimes ont provoqué la colère de ces dernières et de leurs soutiens. Face à l’embrasement de la salle, la juge a finalement décidé d’interrompre la procédure. Et renvoyé au 5 mai prochain une audience, afin de fixer la date d’un prochain procès qui ne devrait pas avoir lieu avant fin 2011.

Une mascarade qui bafoue la mémoire des victimes

Martine Doucouré, militante du MRAP et proche des familles, était présente. Elle se dit « scandalisée » par ce qu’elle a vu : « Par rapport à la teneur du drame et au nombre de victimes, deux demi-journées pour une telle affaire, c’est court. Ce n’est quand-même pas un incendie anodin et sans conséquence, 17 morts, dont 14 enfants ! ». Le procès n’est réservé qu’à la lecture d’un rapport technique sur les événements. « Personne n’y comprend rien. Et surtout, c’était à peine audible. » Les micros ne fonctionnent pas. Plusieurs suspensions de séance sont décrétées pour que les techniciens puissent réparer le matériel, mais rien ne change. « On nous a changé de salle le deuxième jour, mais c’était encore pire. Toujours ces problèmes de micros. On est allé voir les avocats, pour qu’ils arrêtent cette mascarade. La présidente a malgré tout voulu continuer. On a rétorqué que ce n’était pas possible. Elle a finalement baissé les armes. »

« Pour les proches des victimes, aucune prise de parole n’était organisée. Rien. Ce qui paraît aberrant. Ils ont quand même des choses à dire », explique Martine Doucouré. Pour elle, la mémoire des victimes a de nouveau été bafouée au milieu de toute cette procédure : « Ils ont vécu quatorze ans dans cet immeuble, dans des conditions lamentables. La justice doit les écouter. Même si ça ne fera pas revenir leurs défunts, qu’on les laisse s’exprimer. Ne serait-ce que par respect pour les victimes. »

Julien Badaud

Photo : Julien Badaud