Ordre moral

Harry Potter contre les évêques

Ordre moral

Le 9 avril prochain, les élections législatives italiennes verront peut-être la fin du règne berlusconien. Mais les mois qui précèdent la campagne sont marqués par l’ingérence de plus en plus pesante du Vatican dans la vie politique et la vie privée des Italiens. Basta! a rencontré Andrea Benedino, porte-parole de Gayleft, un mouvement qui s’insurge contre le retour de l’ordre moral.

« L’amour, nous l’avons rencontré sans attendre l’autorisation de l’état-civil ! », lance Agata sur le podium dressé Piazza Farnese, à Rome. Une vague impressionnante d’applaudissements la salue. Comme neuf autres couples non mariés, ce 14 janvier 2006, elle est venue témoigner des liens qui l’unissent à sa compagne Angela et sceller symboliquement leur union en présence d’un magistrat. Amoureux hétérosexuels et homosexuels, ils s’insurgent par ce geste contre le régime discriminatoire subi en Italie par les couples qui vivent ensemble sans être mariés. Le matin-même, l’assemblée générale de la Ligue italienne des familles de fait (Liff), composée de ménages non mariés, s’était largement faite l’écho des discriminations et dénis de droits vécus par ces couples aujourd’hui. Tous contestent une sorte de diktat moral sur le couple, la famille et l’amour, de la part du Vatican. Tous pointent du doigt la collusion toujours plus importante entre les autorités ecclésiastiques et le personnel politique italien.

« Bas les pattes de l’Etat laïc ! », lancait déjà aux évêques italiens, en septembre 2005, Andrea Benedino, porte-parole de Gayleft, groupe homosexuel au sein du parti de gauche Democrati di sinistra (DS, le PS italien). Petites lunettes rondes et pull marin, son air naïf lui donne l’allure d’un Harry Potter poupin. Méfiance ! Le jeune trentenaire possède l’assurance du tribun. Et ne mâche pas ses mots : « L’ingérence des évêques dans la vie politique italienne est énorme. Ils dictent l’agenda des élus et prétendent édicter l’ordre du jour du parlement. Le cardinal Ruini est même intervenu au sujet des écoutes téléphoniques dans l’affaire Mediobanca, qui met en cause un directeur de banque catholique ! Quand s’arrêteront-ils ? ». Simple rhétorique anti-cléricale ? Que nenni. Les tensions n’ont cessé de croître depuis l’adoption d’une loi sur la Procréation médicalement assistée (PMA), votée en 2004. Elle a fédéré contre elle une partie de la communauté scientifique, les mouvements féministes et des droits des femmes ainsi que les mouvements LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans). Et pour cause ! Non seulement cette loi est la plus restrictive en termes de choix des embryons en Europe, mais elle octroie des droits au fœtus qui priment sur ceux la mère. Pour finir, elle revient à normer la famille. Ne peuvent avoir accès à la PMA qu’un certain type de couple : hétérosexuel, marié, stable. CQFD. A la mobilisation des mouvements féministes et gays pour sensibiliser l’opinion publique, la conférence des évêques a répondu en invitant les catholiques à ne pas voter lors du référendum sur l’abrogation de cette loi. Une première depuis les lois sur le divorce et l’avortement au début des années 1970. L’échec du référendum n’a fait qu’accentuer le poids de l’Eglise dans les vies politique et privée des Italiens. Mais la bataille ne fait que commencer.

Faîtes l’amour pas la messe

A 31 ans, Andrea Benedino a déjà presque passé la moitié de sa vie en politique. Militant d’abord dans les rangs des syndicats estudiantins, à 23 ans il est élu conseiller municipal d’Ivrea, à côté de Turin. Deux ans plus tard, en 2000, il est élu président du conseil municipal et décide de faire son coming out. Soit, quelques mois après le World Pride à Rome. La nouvelle a fait du bruit jusque dans les colonnes des journaux locaux. « Mais il n’y a eu aucune réaction négative », relève-t-il avec satisfaction. Il prend du galon au sein des DS et le voilà élu porte-parole national de la coordination homosexuelle du parti, qui depuis a pris le nom de « Gayleft » : « Mon rôle est de coordonner un réseau d’hommes et de femmes homosexuels, adhérents, dirigeants ou sympathisants DS, avec pour objectif d’amener le parti à adopter les revendications et les combats du mouvement Lesbien, Gay, Bi et Trans. » Sa priorité ? L’approbation d’une loi sur le Pacs, que Gayleft a fini par imposer à son propre camp politique après bien des tergiversations. « On nous avait ignoré jusqu’à présent, mais le Pacs est devenu l’un des thèmes de la campagne électorale. », se réjouit-il.

Les évêques n’ont qu’à bien se tenir. Le collectif « Tutti in pacs » (« tous pacsés ») a rempli la Piazza Farnese de Rome tandis que la manifestation « Usciamo dal silenzio » (« sortons du silence ») a réuni 100 000 personnes à Milan le même jour. Concommittantes, les deux manifestations en faveur du pacs et de la liberté de choix des femmes convergeaient dans leur refus d’une ingérence de l’Eglise catholique dans leur vie. Les revendications en faveur de l’égalité des droits y voisinaient avec des critiques acerbes du Vatican. La défense de la laïcité de l’Etat, avec l’interdiction faite à « Ratzinger » de mettre son nez dans la vie privée des Italiens. Pour accélérer la prise de conscience de l’opinion publique sur les discriminations que subissent les couples non mariés en Italie, la Ligue italienne des unions de fait, qui travaille de concert avec Gayleft, a de son côté mis sur pied un registre des unions civiles : un document parallèle au très officiel registre des unions tenu par les pouvoirs publics. Le but ? Montrer l’ampleur du phénomène et le décalage entre les discours moralisateurs et la vie quotidienne.

Le 14 janvier dernier, Andrea était bien sûr de la manifestation romaine. Il est désormais responsable politique au siége régional des DS du Piémont, et conseiller municipal à l’éducation dans sa commune. Il a été reconduit dans ses fonctions de porte-parole de Gayleft aux côtés d’une femme - parité oblige - Paola Concia. Son programme pour les mois à venir ? « L’adoption d’une loi contre l’homophobie et les discriminations. Sur ce terrain-là, l’Italie a encore beaucoup à faire comparé à d’autres pays européens ».

Stéphanie Marseille