Interview

Guadeloupe : « Le Medef craint une propagation du mouvement dans toute la France »

Interview

par Françoise Galland

Jean-Jacob Bicep est vice-président de l’Association métropolitaine des élus originaires de l’outre-mer (Amedom) et conseiller municipal écologiste de la capitale. Aujourd’hui, alors que la situation reste confuse dans les Antilles, il livre pour Basta! son analyse sur le LKP et la grève « pleine d’espoir pour l’avenir », sur l’attitude du patronat guadeloupéen et la situation économique et sociale de l’île.

En photo : Manifestation contre "la vie chère" à Cayenne en Guyane, le 18 février 2009 (©Daniel Maunoury).

L’élu parisien a été à bonne école avec son père, militant du Parti communiste guadeloupéen, très actif en son temps. Il l’a suivi dans les réunions et les meetings électoraux. La vie publique ne lui fait pas peur. Si Jean-Jacob Bicep doit à la transmission familiale la conscience forte d’une nécessaire transformation sociale, c’est le fait de vivre dans une île qui lui a fait prendre conscience de l’importance du combat écologiste. « Une île, c’est fragile. On ne peut oublier la nature. En Guadeloupe, les tempêtes et les cyclones, les tremblements de terre et la Soufrière - un volcan actif - donnent un sentiment de précarité. Le réchauffement climatique qui s’annonce, aura des conséquences immédiatement visibles. Une montée des eaux se traduira, par exemple, par l’immersion de la zone industrielle de Jarry (commune de Baie-Mahault), le coeur de l’économie. L’idéal de transformation de la société va selon moi de pair avec une vision écologique du monde », confie le vice-président de l’Association métropolitaine des élus originaires de l’outre-mer.

Basta! : Jeudi 26 février, le Figaro fait paraître un sondage-choc où l’on apprend que « 51% des Français sont pour l’indépendance de la Guadeloupe ». Qu’en pensez-vous ?

Le courant indépendantiste est faible en Guadeloupe. Il existe, mais on ne peut pas dire qu’il a fait une percée significative lors des élections. La grève qui se développe depuis un mois ne met pas en avant une quelconque revendication indépendantiste. Ce sondage ne reflète donc pas une solidarité avec ce qu’expriment les luttes actuelles. Parmi ceux qui se disent favorables à l’indépendance, il y a des anticolonialistes sincères qui voient dans l’indépendance une véritable solution. Mais d’autres ont plutôt envie de se débarrasser de l’île, jugeant qu’elle coûte plus cher qu’elle ne rapporte. Ce que demandent les Guadeloupéens, c’est plus de responsabilités. C’est particulièrement vrai de la nouvelle génération, généralement très diplômée, et qui a fait ses études en métropole. C’est l’autonomie qui est recherchée. Il est possible pour cela de profiter de la commission Balladur, qui a pour mission de proposer une recomposition du paysage administratif et politique de la France. Cette commission propose une assemblée territoriale, avec un exécutif local, où les lois votées en France s’appliquent en Guadeloupe. Mais les élus de l’île optent pour un statut comme celui de Saint-Barthélemy ou Saint-Martin devenues collectivités d’outre-mer. Cela permet à l’assemblée territoriale d’adapter les lois votées par la métropole, et de disposer d’un petit pouvoir législatif.

La Guadeloupe a-t-elle une économie viable, hors d’un système néo-colonialiste ?

Il faut reprendre un peu l’histoire de la Guadeloupe. Avant 1946, c’est à dire avant la départementalisation, le modèle économique était basé sur l’exportation de la canne à sucre, un modèle déjà en déclin à cette époque. La crise de cette culture amène son remplacement par la banane… Et une nouvelle crise. La banane antillaise est concurrencée par la « banane dollar », puis la banane d’Afrique. Le système vit sous le système des subventions.
La réponse à cette crise est la création, en 1967, du Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer). C’est un organisme public, français, qui était chargé de proposer aux Ultramarins d’émigrer vers la métropole. La France a besoin de main-d’oeuvre. Les immigrés travaillent en usines. Les Antillais, de nationalité française, sont embauchés dans les services publics (Poste, Ratp, hôpitaux…). Cette émigration provoque une hémorragie humaine qu’Aimé Césaire qualifie de « génocide par substitution ». Les organisations sociales et politiques naissantes sont privées de leurs forces vives et les luttes sont réprimées avec une grande violence, en particulier en 1967 [1].

C’est alors qu’un nouveau modèle économique est mis en place, fondé cette fois-ci sur la consommation. La production est ruinée. La départementalisation apporte les minimaux sociaux et de nouveaux fonctionnaires arrivent (avec prime de vie chère). Cette masse monétaire favorise l’importation, tenue par les békés [2], et symbolisée par l’ouverture d’une grande surface, gigantesque temple de la consommation. Les produits venus de métropole inondent l’île, empêchant toute production locale. Il faut donc relancer une production diversifiée, soutenir les artisans et les petites entreprises, et repenser l’économie en fonction d’un développement soutenable.

Des accords ont été signés entre le LKP et certaines organisations patronales représentatives des petites ou des très petites entreprises. Le Medef et la CGPME n’ont pas signé. Pourquoi ?

Le Medef guadeloupéen prend ses ordres directement du Medef de la métropole. Willy Angèle ne dit que ce que lui a soufflé Laurence Parisot. Le Medef craint une propagation du mouvement dans toutes les Antilles et plus largement dans toute la France. D’où ce refus de s’intégrer dans le processus qui se joue à la table des négociations.
Le patronat local, lui, est plus enclin à jouer le jeu. Les artisans, les producteurs agricoles soutiennent dans leur grande majorité le LKP. La position du Médef guadeloupéen relève aussi d’un autre enjeu. A travers ce bras de fer, il espère reprendre ou conserver sa place prépondérante, place contestée par une bourgeoisie montante et composée de tous ceux qui ont bénéficié ces dernières années de la manne de la métropole ou qui ont su tiré profit du système.

Que représente le LKP ?

C’est une structure très intéressante. Le LKP, liyannaj kont pwofitasyon (collectif contre l’exploitation), regroupe toutes les couches de la société à travers de multiples d’organisations : des syndicats, qui en Guadeloupe sont très forts, des associations qui luttent contre la pollution de sites (à La Boucan par exemple) et des comités de locataires, dont beaucoup ne peuvent plus payer leurs loyers. Artisans, producteurs agricoles, enseignants, parents d’élèves y sont également très présents. Et les jeunes sont massivement derrière Akiyo, Voukoum ou Mas ka Klé, des groupes de musiques extrêmement populaires. Il faut ajouter les partis politiques, tels les Verts, le Parti communiste guadeloupéen (PCG), l’Union pour la libération de la Guadeloupe (UPLG), la Convention pour une Guadeloupe nouvelle... La direction est collégiale et tout le monde participe aux négociations.

Cette lutte va laisser une empreinte durable : elle est d’une ampleur exceptionnelle. Elle s’est dotée de structures qui ont démontré leur capacité à mobiliser et à négocier. Elle a mis à l’ordre du jour de nombreux thèmes : la vie chère, bien sûr, mais aussi les questions institutionnelles, économiques, écologiques, culturelles. Les Guadeloupéens ont retrouvé des solidarités et des formes d’organisation propres à contester le système en place. Cette grève est pleine d’espoir pour l’avenir.

Recueilli par Françoise Galland

Notes

[1Les 26 et 27 mai, les affrontements entre forces de l’ordre et manifestants font entre 7 et 87 morts selon les sources.

[2descendants des colons ou des émigrés eurpéens