Corruption ?

Grèce : soupçons de détournement des fonds européens d’aide aux réfugiés

Corruption ?

par Anne-Sophie Simpere

Le ministre de la Défense grec a-t-il détourné des fonds européens destinés à l’accueil des réfugiés au profit de ses proches ? C’est ce que suggère une enquête de trois journalistes du journal chypriote Fileleftheros, qui affirment que des contrats de restauration ou de plomberie pour le camp de réfugiés de Moria, sur l’île de Lesbos, auraient été accordés sans appel d’offre régulier et à des prix gonflés au profit d’entreprises liées au ministre souverainiste Panos Kammenos, membre du gouvernement dirigé par Alexis Tsipras. Ces allégations ont valu à leurs auteurs d’être arrêtés et brièvement placés en détention pour diffamation.

Pourtant, l’Office européen de lutte anti-fraude a ouvert une enquête pour des faits similaires. En Grèce, la question de l’usage des fonds européens devient de plus en plus pressante : pourquoi, alors qu’Athènes a reçu 1,6 milliards d’euros d’aide pour les réfugiés depuis 2015, ceux-ci restent-ils parqués dans des camps insalubres ? Les autorités grecques semblent tout faire pour éviter d’y répondre. Ce jeudi, le directeur des centres d’accueil et d’identification des réfugiés du ministère des Migrations était limogé pour avoir réclamé l’intervention du procureur et dénoncé le chaos dans la gestion de l’accueil des réfugiés et migrants.

Des camps honteux malgré les millions d’euros reçus de l’Union européenne

Le problème est loin d’être nouveau. Dès septembre 2016, le secrétaire général chargé de l’accueil des migrants Odysseas Voudouris démissionnait, en critiquant la gestion des camps et leurs coûts anormalement élevés pour un résultat inefficace. L’année dernière, c’est l’ONG DemocracyNow qui soumettait une pétition au Parlement européen pour attirer son attention sur la mauvaise gestion des fonds européens par la Grèce. La pétition dénonçait l’opacité entourant leur usage, la part disproportionnée de ces fonds allouée à la sécurité des frontières et la déportation des migrants, mais aussi des choix de sous-traitants coûteux au détriment de propositions de services plus efficaces de la part d’ONG, laissant planer une suspicion de corruption dans les attributions de ces marchés publics.

Sur le terrain, la situation est dramatique. A Lesbos, le camp de Moria, la « honte de l’Europe » selon les ONG, est en train de devenir hors de contrôle. Alors que le camp était conçu pour accueillir 3000 personnes, plus de 8600 réfugiés s’y entassent. Ils ont fui le siège d’Afrin en Syrie, l’État islamique, la répression en République démocratique du Congo ou la guerre au Yémen. Les tentes et abris de fortune se multiplient autour du camp, il n’y a pas assez de couvertures ou d’eau potable. Les flux d’eaux usées, les souris et les rats rendent l’ensemble parfaitement insalubre. Dans la zone principale, Médecins sans frontières dénombre une toilette fonctionnelle pour 72 personnes et une douche pour 84 personnes. Le surpeuplement, la saleté, l’arrivée de populations traumatisées créent des situations explosives. Les violences et altercations sont quotidiennes, et les ONG alertent sur les tentatives de suicide d’enfants et les violences faites aux femmes.

Une récupération politique de la crise sur le dos des migrants

Le leader de l’opposition conservatrice Kyriakos Mitsotakis n’a pas manqué de se saisir des soupçons de corruption autour du ministre de la Défense Panos Kammenos pour s’indigner de la mauvaise gestion des fonds pour l’aide aux réfugiés par le gouvernement, et de la situation tragique à Moria. Le leder de droite passe cependant sous silence le fait que Kammenos est un ancien membre de son parti, et un allié « contre-nature », en tant que souverainiste, populiste, du parti de gauche Syriza, au pouvoir. À un an des prochaines élections législatives, cette préoccupation soudaine pour les conditions d’accueil des migrants ressemble à une récupération politique de la part du chef d’un parti dont la priorité est la sécurité des frontières.

Pendant que les politiques s’invectivent et que l’Union européenne enquête, les migrants sont condamnés à patienter, confinés dans des bidonvilles aux frontières de l’Europe. Selon l’International Rescue Committee, 30 % des réfugiés examinés à Lesbos ont déjà tenté de se suicider.

Anne-Sophie Simpere

Photo : un camp de réfugiés du HCR sur l’île de Lesbos / United Nations Photo

Lire notre enquête : Retenus dans des conditions indignes, les migrants veulent « dire au monde » ce que l’Europe leur fait subir à Lesbos