Energies

Gaz de schiste : le coup d’arrêt ?

Energies

par Nadia Djabali

C’est fait. Le gouvernement l’a annoncé le 7 avril : une loi interdisant l’exploitation des huiles et gaz de schiste sera prochainement soumise au vote, bénéficiant d’une procédure d’urgence. Après quelques mois de forte mobilisation, du Larzac au bassin parisien, le gouvernement semble donc faire marche arrière. Et se noie dans des explications confuses pour justifier son revirement.

« Le forage des gaz et huiles de schiste n’impacte pas la nappe phréatique, affirme Jean-Louis Schilanski, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP) [1], devant la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale. Regardons le potentiel géologique, on définira les précautions en même temps... » Le gouvernement n’a pas souhaité suivre son conseil. Le projet de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des huiles et gaz de schiste, déposé par Christian Jacob (UMP), bénéficiera de la procédure d’urgence. C’est ce qu’a annoncé le gouvernement vendredi 7 avril. Ce projet prévoit en outre l’abrogation des permis de recherche.

La situation pourrait paraître cocasse si la question des gaz et huiles de schiste n’était pas aussi importante. Ces dernières semaines, trois projets de lois demandant l’abrogation des permis délivrés ont été déposées à l’Assemblée nationale. Un premier par le groupe socialiste, un deuxième par Christian Jacob (UMP) et un troisième par Jean-Louis Borloo, qui avait pourtant accordé trois permis d’exploration en 2010 lorsqu’il était en charge du ministère de l’Écologie.

Quand le gouvernement fait marche arrière

C’est le projet de Christian Jacob qui devrait finalement être examiné. Bénéficiant d’une procédure d’urgence, il coiffera au poteau le texte des socialistes dont l’examen est prévu le 12 mai 2011. Le gouvernement UMP qui avait accordé, depuis 2004, neuf permis d’exploration pourra, à grand renfort de communication, faire sienne la loi interdisant la recherche et l’exploitation des gaz et huiles de schiste. Les élections présidentielles se rapprochent à grand pas...

Les gaz et huiles de schiste sont des hydrocarbures dits non conventionnels. Leur extraction nécessite des forages verticaux puis horizontaux à 3000 mètres de profondeur. Pour les récupérer : la technique de la fracturation hydraulique. Celle-ci consiste à effectuer des mini séismes en injectant des millions de litres d’eau et de sable sous pression, chargés de produits chimiques. La roche est éclatée pour libérer le gaz ou l’huile et le faire remonter à la surface.
Cette technique a de multiples conséquences : pollution des sols et de la nappe phréatique par des centaines de composés chimiques dont certains sont cancérigènes, mutagènes, radioactifs ou entraînant la stérilité.

Une alternative au nucléaire ?

Chaque fracturation nécessite plus de 15 millions de litres d’eau et un millier d’aller-retours de camions. Ces forages entraînent aussi la destruction du paysage par l’implantation de puits tous les 200 mètres et les mini séismes auront certainement des conséquences géologiques sur le long terme.

Face à ce constat délétère, pourquoi neuf permis ont-ils été accordés par le gouvernement depuis 2004 ? Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement a donné un certain nombre d’éléments de réponse aux députés le 29 mars 2011. « La question des gaz et huile de schiste est difficile du fait des enjeux économiques et énergétiques, a-t-elle indiqué. L’exploitation des gaz et huiles non conventionnels dans le monde serait susceptible de modifier profondément et durablement la carte de la production d’énergie. »

L’Agence internationale de l’énergie estime que les ressources exploitables de gaz non conventionnels pourraient être supérieures aux ressources prouvées de gaz conventionnel. Cela pourrait avoir des répercussions géopolitiques considérables puisque les gaz non conventionnels semblent être mieux répartis que le gaz conventionnel, dont la Russie, l’Iran et le Qatar détiennent à eux seuls plus de la moitié des réserves mondiales.
« Les gaz non conventionnels représentent plus de 50% de la production gazière américaine et freinent d’ailleurs le redémarrage du nucléaire dans ces pays. » Notre ministre de l’Écologie sous-entendrait-elle que ces gaz de schiste pourrait être une alternative au nucléaire ? Voilà qui devrait laisser sceptiques les militants antinucléaires.

Des explications confuses

Selon NKM, la France qui a beaucoup investi dans le nucléaire, l’hydraulique et plus récemment les énergies renouvelables, a toujours besoin de gaz naturel. Notamment pour remplacer le charbon, qui sert à produire de l’électricité en période de pointe.
Cette déclaration pose de façon singulière la question de la politique énergétique de la France. Malgré les accords internationaux signés pour réduire l’émission des gaz à effet de serre, le gouvernement compterait sur une énergie fossile dont l’extraction pollue les sols, menace la santé de l’ensemble du vivant et détruit les paysages pour remplacer une autre énergie fossile, le charbon !

Autre argument avancé par la ministre celui de la réduction du déficit commercial et de la dépendance énergétique : « Les gaz et huiles de schiste présentent de façon évidente un potentiel économique important, en même temps qu’une opportunité pour réduire notre dépendance énergétique. Nous avons acheté à l’étranger plus de 45 milliards d’euros d’hydrocarbures en 2010 » regrette-t-elle.

Déjà 100 millions d’euros investis dans le secteur

Est-il possible d’avoir une exploitation propre et sûre, sous contrôle rigoureux de l’administration, avec une réglementation protectrice de l’environnement ? s’interroge la ministre. Au regard de l’opacité dans laquelle a été accordé les permis d’exploration, on pourrait douter de cette « rigueur » administrative qui a fait fi du principe de précaution pourtant érigé en principe constitutionnel depuis 2005.

Mais que sont les principes face aux enjeux économiques ? La France détiendrait 25% des réserves européennes de gaz de schiste. Total et ses partenaires américains, ainsi que GDF-Suez et ses associés, ont déjà investi 100 millions d’euros dans le secteur. Selon l’Institut français du pétrole, les sédiments franciliens pourraient receler entre 60 et 100 milliards de barils d’huile de schiste. La France détiendrait entre 3000 et 4000 milliards de m3 de gaz de schiste dont seulement 40% en moyenne pourraient être extraits. Compte tenu de ces chiffres, le fait que les permis d’exploration aient été délivrés dans la plus grande discrétion sans concertation avec les élus locaux et nationaux et avec les associations de défense de l’environnement peut laisser songeur.

En Amérique du Nord, le bilan de l’utilisation de la technique de l’hydrofracturation suscite de grandes inquiétudes en terme écologiques et de santé publique. Le Québec, très en « pointe » dans l’extraction des gaz de schiste, a décidé récemment de suspendre les exploitations, au moins pour une période d’un an et demi. Pourtant à l’UFIP, on regarde la situation américaine avec envie. « Ce qui s’est passé aux États-Unis est extraordinaire, a expliqué Jean-Louis Schilanski aux députés. Cela a bouleversé la donne énergétique, non seulement des États-Unis mais du monde ». Le pétrole n’a décidément pas d’odeur, lorsqu’il est transformé en dividendes.

Nadia Djabali

Notes

[1Jean-Louis Schilanski est par ailleurs président du Medef Paris