Documentaire

« Game girls », une histoire d’amour dans les rues d’un quartier populaire de Los Angeles

Documentaire

par Les lucioles du doc

Le documentaire Game girls, de la réalisatrice Alina Skrzeszewska, raconte une histoire d’amour entre deux femmes, Teri et Tiahna, dans le quartier pauvre et marginalisé de Skid row, à Los Angeles. Le film accompagne intimement un morceau de la vie des deux personnages, qui aspirent à des destinées différentes, tout en dressant un portrait du quartier et de ses rues, reflets d’une Amérique structurée par l’exclusion. Game Girls, ce sont ces femmes qui, malgré tout, « restent dans le jeu », et n’abandonnent jamais.

Le documentaire Game girls, dans les salles depuis le 21 novembre, est avant tout une histoire d’amour entre deux femmes. La réalisatrice Alina Skrzeszewska montre sans fard ni préjugé qu’il est difficile de construire une relation intime dans la rue où l’on a déjà tant à combattre pour survivre. Le film est tissé des moments d’humour et de beauté, de violences physique et sociale, de brutalité dans la vie de ces femmes noires à Skid row, un quartier au quotidien trash et chaotique de Los Angeles. La scène d’ouverture de Game girls montre Teri, aux prises avec sa maladie mentale, titubant seule, de nuit, dans une rue peuplée de nombreux sans-abri. Sa petite amie Tiahna est emprisonnée pour trafic de drogue.

Un conte de fée impossible

Les femmes de Skid Row semblent n’avoir jamais connu l’amour, comme en témoignent leurs discussions au sein des ateliers d’expression mis en place par la réalisatrice. La plupart ont toujours vécu dans la violence et le rejet. Pour Tiahna et Teri, l’amour est une forme d’échappatoire, pour survivre à Skid row. Elles pensent savoir comment s’aimer, et c’est là que réside la quête, et parfois le duel, qui opposent les deux personnages. Elles se poussent et s’insultent, s’enlacent et se désirent. Ces situations de violence conduisent parfois le spectateur dans une position inconfortable, comme le moment où Alina Skrzeszewska laisse la caméra tourner pendant que le couple s’engage dans un combat physique.

 
Alina Skrzeszewska met en lumière ce qu’on n’a pas l’habitude de voir. Ces femmes portées à l’écran sont relativement invisibles dans la société américaine, mais leur vie quotidienne se joue dans l’espace public, tandis que leur espace privé, intime, y est limité. Le film questionne aussi les normes de genre, jusque dans les paradoxes à travers lesquels elles peuvent être vécues : si les deux femmes semblent être libres d’exprimer leur homosexualité dans le quartier de Skid row, elles restent également attachées aux rôles construits autour du couple. Lors d’un mariage d’amis, Tiahna surjoue la féminité avec sa robe, tandis que Teri, en costume, se fond dans les codes masculins de la personne responsable, sur qui l’autre peut s’appuyer. La reprise de ces normes serait-elle une manière, momentanée, de tenter d’échapper à la marginalité à laquelle la société les tient enfermées ?

Juste distance

Alina Skrzeszewska voulait faire un film sur les femmes de Skid row. Elle avait déjà travaillé au sein de ces quartiers pauvres à Los Angeles, comme terrain d’enquête dans son précédent film Songs from the Nickel (2009). Pour Game girls, elle a créé un atelier d’expression artistique ouvert à toutes les femmes de Skid row. Parmi elles se trouvait Teri, pour qui les ateliers se sont révélés de plus en plus importants et constructifs. Teri a finalement accepté de faire partie du film.

La relation entre Alina Skrzeszewska et les personnages semble habitée d’une grande confiance. Teri et Tiahna se laissant entraîner dans leurs joies, leurs douleurs et leurs folies. La réalisatrice interfère le moins possible dans la relation entre les deux femmes, tout en restant proche d’elles. Elle filme le couple dans ses moments les plus sombres, mais toujours avec compassion. C’est peut-être là que réside la justesse du film. Le spectateur ne se sent jamais pris à partie, ni entraîné dans un voyeurisme déplacé. Skrzeszewska montre des espaces peu communs dans le cinéma documentaire, au sein d’un couple, dans une intimité forte, mais aussi dans la rue, espace incertain, inattendu, où tout peut advenir.

Plus qu’un quartier, un mode de vie

Skid row signifie, en français, « zone de dérapage ». Aux États-Unis, cette expression est employée pour décrire une zone urbaine où la pauvreté et la toxicomanie sont omniprésentes, dont les habitants sont « en dérapage ». La population y est précisément pauvre, composée de sans-abri ou d’autres personnes marginalisées que la société juge « peu recommandables » ou « oubliées ».

Game girls dévoile le vrai visage de Skid row : au delà du terme souvent associé au trafic de drogue et à la prostitution, un véritable mode de vie. Mais si la réalisatrice se positionne comme observatrice de la vie des deux femmes, qu’elle suit dans leur évolution, elle n’en dénonce pas moins les responsables de la pauvreté à Los Angeles : la société américaine, qui rend un lieu comme Skid row possible. Skid row est un lieu de souffrances, et le film représente avec justesse le sentiment de « collectivité » généré par cette souffrance commune. La pauvreté, la discrimination et les violences policières composent la toile de fond de l’histoire d’amour racontée par le film.

Skid row est aussi un poison, comme celui d’un serpent venimeux, explique Teri lors d’un atelier d’expression. Tout au long du documentaire, celle-ci se bat pour fuir le quartier. Mais le poison continue de lui coller à la peau, comme des stigmates. Les femmes de Skid row sont marquées par la vie, en témoignent les cicatrices sur leur peau – les visages, dans le film, sont souvent filmés en plans rapprochés. Mais Skid row est aussi un refuge, pour celles et ceux qui ont quitté leur maison, leur famille, et choisissent de se mettre « à l’abri » dans la rue. A travers l’histoire d’amour entre Teri et Tiahna, Game girls révèle un visage de l’humanité – et de la réalité des quartiers pauvres de Los Angeles – de manière à la fois très crue, mais aussi très belle. Une beauté incarnée par les personnages du film.

Game girls
Sortie en salles le 21 novembre 2018
Réalisation : Alina Skrzeszewska
Production/distribution : Films de force majeure, Vendredi distribution
Plus d’informations sur le film ici.
Pour en savoir plus sur les ateliers mis en place par la réalisatrice, voir également cette interview réalisée par Arte.


Les Lucioles du Doc

Ces chroniques mensuelles publiées par Basta! sont réalisées par le collectif des Lucioles du Doc, une association qui travaille autour du cinéma documentaire, à travers sa diffusion et l’organisation d’ateliers de réalisation auprès d’un large public, afin de mettre en place des espaces d’éducation populaire politique. Voir le site internet de l’association.

P.-S.

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