Santé

Franchises médicales : « Injuste et immoral »

Santé

par Ivan du Roy

Christian Lehmann est médecin généraliste en banlieue parisienne
et auteur de Patients si vous saviez (Point Seuil). Il dénonce la lente mais dangereuse privatisation de notre système de protection sociale.

Cet article a été initialement publié dans l’hebdomadaire Témoignage Chrétien

Les franchises médicales sont plafonnées à 50 euros par an et par patient. Nicolas Sarkozy évoque une « somme qui reste modique ». Qu’en pensez-vous ?

Ces 50 euros ont été fixés par décret. Seul le principe du plafond a été voté par l’Assemblée. Mais ce plafond peut très bien passer à 100 euros demain - c’est d’ailleurs ce que souhaitait Sarkozy - si l’argent manque. Il ajoute que les franchises peuvent être prises en charge par les mutuelles ou les assurances complémentaires. C’est faux. Une mutuelle qui le ferait serait obligée d’augmenter les montants de ses cotisations. Le discours de Sarkozy visait initialement à responsabiliser les malades. Quand ses communicants ont constaté que ce discours ne prenait pas, ils ont inventé le financement de la lutte contre la maladie d’Alzheimer. Pour trouver de l’argent, le président de la Cour des Comptes, Philippe Séguin, qui n’est pas le sous-commandant Marcos, envisageait de taxer davantage les stock-options. Les franchises médicales sont une mesure injuste et immorale.

Les victimes de pathologies lourdes sont-elles le plus touchées par l’accumulation de franchises ?

Pas seulement. Plus du quart des étudiants renonce, par exemple, à des soins dentaires. Je rencontre des femmes, avec des pensions de veuves, qui doivent choisir entre se nourrir et se soigner. Il arrive que nous attendions pendant des mois un électrocardiogramme ou tout autre examen que nous avons demandé à des personnes souffrant d’hypertension. Tout simplement parce qu’ils ne peuvent pas le payer. Que les patients ne puissent pas payer ne pose pas de problème à certains médecins. C’est ce que j’appelle la médecine L’Oréal, « parce que je le vaux bien ». Personnellement, je ne veux pas me retrouver dans la situation où je dois gérer des patients qui n’ont plus accès aux soins. Nicolas Sarkozy a beau parler des valeurs chrétiennes, il s’assied sur la solidarité pour construire un monde où les plus pauvres, les handicapés, les malades sont laissés sur le bord de la route.

Se dirige-t-on vers le démantèlement de la sécurité sociale au profit des assurances privées ?

Oui. La logique est de nous convaincre que nous sommes arrivés au bout du système de solidarité qui ne peut plus tenir. À un moment les gens vont se demander : à quoi cela sert-il d’avoir une sécurité sociale si l’on paie de plus en plus de franchises ? Si demain, le plafond passe à 100 euros, un tiers des Français devront renoncer aux soins, en particulier les plus jeunes. Ceux-ci se diront : je cotise mais je ne touche rien, la Sécurité sociale est une arnaque. Cela donnera crédit au discours des assurances complémentaires qui promettent de vous rembourser dès le premier euro dépensé, si vous êtes jeune et bien portant... Les dépenses de santé sont considérées comme insupportables quand elles sont payées par la solidarité. Quand elles rapporteront de l’argent aux actionnaires, on dira que c’est bien. L’ensemble des fonds de pension états-uniens sont d’ailleurs en train de racheter toutes les cliniques de France. Ce n’est pas pour rien.

La mobilisation actuelle peut-elle faire bouger les choses ?

Beaucoup de députés-maires UMP sont inquiets. Les médias commencent à traiter le sujet alors que, dans leur grande majorité, ils ne l’avaient pas fait. Quelque chose qui peut donner espoir est en train d’émerger. Alors que Sarkozy cherche à créer des clivages entre les gens, un patient, Bruno Pascal Chevalier (en grève des soins) qui entame une action importante arrive à rassembler praticiens, malades et citoyens, et de leur faire prendre conscience de notre chance d’avoir un système de protection sociale. Il est tout à fait possible que le président décide de faire une loi pour exonérer les gens qui se situent en dessous du seuil de pauvreté.

Recueilli par Ivan du Roy

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