Enquête

Une fondation d’utilité ultra privée

Enquête

par Nadia Sweeny (Politis), Nicolas Leroux

Basta! et l’hebdomadaire Politis publient une enquête commune et exclusive sur la Fondation pour l’école. Censée soutenir les écoles privées hors contrat en général, elle est reconnue d’utilité publique. Or, cette fondation est actuellement au centre d’une enquête de la brigade financière et définit son « utilité publique » de manière très particulière.

La Fondation pour l’école (FPE) est depuis le début des années 2010 au cœur du phénomène de résurgence des écoles hors contrat… et depuis 2019 au centre d’une enquête de la brigade financière pour des suspicions de faux, fraude fiscale, abus de confiance, escroquerie et blanchiment. Reconnue d’utilité publique en 2008 par le Premier ministre François Fillon, proche des milieux catholiques conservateurs, la FPE avait été créée un an plus tôt sous l’impulsion d’Anne Coffinier, énarque, diplomate et militante de l’« enseignement libre », avec la collaboration de Lionel Devic, avocat, président de la Fondation, et Éric Mestrallet, entrepreneur et fondateur du célèbre réseau Espérance banlieues.

La Fondation pour l’école se présente comme une organisation apartisane et aconfessionnelle, dont l’objectif est de promouvoir l’enseignement privé hors contrat en général. D’après son dernier rapport d’activité, elle a distribué directement en 2019 un million d’euros à 79 écoles. Lesquelles ? Difficile de le savoir : la FPE ne publie pas la liste de ses bénéficiaires. Cependant, nous avons pu nous procurer celle de 2017 et le constat est sans appel : plus des trois quarts d’entre elles sont confessionnelles catholiques, dont une bonne partie traditionalistes.

Née dans les entrailles des réseaux d’extrême droite contre-révolutionnaires – et donc antirépublicains – et contrairement à ce qu’elle affiche, la Fondation pour l’école participe au développement d’une vision bien spécifique de la société. Il n’est pas anodin qu’ait vu le jour en son sein le sulfureux réseau Espérance banlieues : 17 écoles hors contrat implantées dans des quartiers populaires, avec uniforme obligatoire et lever de drapeau quotidien. Huit cents élèves y étudient avec le soutien financier de grandes entreprises françaises ou de leurs fondations – dont les Mulliez et la Fondation Bettencourt – et l’appui politique de Jean-Michel Blanquer ou Bruno Le Maire [1]. Commentant la scolarisation d’une élève musulmane sortie d’une école d’Espérance banlieues, Éric Mestrallet se félicite : « Le processus d’acculturation est en cours » [2]

Ces réseaux nourrissent une forte contestation idéologique de la forme moderne de l’impôt et de l’État, voire de la République. De là émergent, comme un prolongement, des pratiques financières douteuses qui sont à l’origine de l’enquête ouverte par le parquet de Paris. Un ensemble d’éléments qui pourraient remettre en question l’« utilité publique » de la FPE : celle-là même qui lui permet d’offrir à ses donateurs soumis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI, ex-ISF) une réduction égale à 75 % des dons.

Nadia Sweeny et Nicolas Leroux

Lire le dossier :

Quand une fondation « d’utilité publique » finance des écoles privées hors contrats traditionalistes et intégristes

Pratiques financières douteuses, dirigeants proches des droites extrêmes : enquête sur la Fondation pour l’école

Notes

[1Présent à une soirée organisée par Espérance banlieues
à Versailles (78) le 31 janvier 2019.

[2« S’engager pour l’éducation de tous », Éric Mestrallet, www.aes-france.org.