Droites extrêmes

« Fascisme Ikea » : en Scandinavie, un mouvement néonazi veut créer un État nordique pour les « Blancs »

Droites extrêmes

par Nicholas Potter (Belltower News)

C’est un mouvement nordique d’extrême droite qui vise la création d’un État néonazi pan-scandinave. Il a des sections en Suède, Finlande, Norvège, Islande et au Danemark et est responsable de plusieurs attentats et meurtres.

Ce texte a été initialement publié en anglais ici, sur le site Belltower News. Belltower News, portail allemand d’informations en ligne parrainé par la Fondation Amadeu Antonio. Nous en publions la traduction avec leur accord.

Finlande, ville de Jyväskylä, 2013 : trois néonazis poignardent un homme dans la ville étudiante après s’être vu refuser l’entrée à un événement sur l’extrémisme de droite à la bibliothèque municipale. Suède, Stockholm, 2013 : une manifestation pacifique antiraciste dans la banlieue de Kärrtorp est attaquée par 40 néonazis armés. Ils lancent des bouteilles et des feux d’artifice sur les manifestants. Suède, Göteborg, 2016 : deux hommes commettent un attentat à la bombe contre le Forum Syndikalistiskt, un centre d’information de gauche et lieu de rencontres antifascistes. Des attaques contre deux centres d’asile pour réfugiés suivent, un homme est gravement blessé. Finlande, Helsinki, 2016 : un néonazi finlandais agresse un militant antiraciste. Il meurt six jours plus tard des suites de blessures à la tête. Norvège, Oslo, 2019 : deux néonazis détournent une ambulance avec un Uzi et un fusil de chasse et frappent des passants. Finlande, Jämsä, 2020 : deux extrémistes de droite rendent visite à un politicien local du parti radical de droite populiste finlandais chez lui et l’attaquent avec un marteau. Il souffre de côtes cassées et de blessures à la tête. Les autorités traitent l’attaque comme une tentative de meurtre.

Derrière toutes ces attaques se cache un réseau néonazi pan-scandinave : le Mouvement de résistance nordique, en suédois « Nordiska Motståndsrörelsen », MRN en abrégé. Le mouvement a été fondé en Suède en 1997 par le néonazi Klas Lund sous le nom de « Svenska Motståndsrörelsen ». Lund était alors déjà un visage connu de l’extrême droite suédoise, en tant que membre dirigeant du groupe néonazi violent « Vitt Ariskt Motstånd » (« Résistance aryenne blanche »).

D’innombrables actes de violence racistes et homophobes, et même des meurtres

Depuis lors, des sections du MRN se sont créées en Norvège, en Finlande, en Islande et au Danemark, où elles s’appellent également « Mouvement de résistance nordique » dans leurs langues respectives. Au niveau international, le groupe est souvent désigné par la traduction anglaise, NRM, de son nom. Leur objectif : créer un État nordique néonazi pour les « Blancs ». D’innombrables actes de violence racistes et homophobes, des attaques et même quelques meurtres d’opposants politiques présumés peuvent être attribués à ce mouvement. Cependant, le réseau de MRN est actuellement en pleine crise. En Finlande, le groupe a été interdit en 2019, et en Suède, le mouvement est maintenant divisé après un différend stratégique sur la direction politique du groupe. Néanmoins, il reste une menace très réelle.

« De 2015 à 2019, le MRN a joué un rôle de premier plan dans l’extrême droite suédoise, explique Morgan Finnsiö, chercheur spécialiste de l’extrême droite à la Fondation antiraciste Expo de Stockholm, dans un entretien avec Belltower News. Leur accent mis sur la violence, leur idéologie ouvertement nazie, leur organisation quasi bureaucratique et leur propagande prolifique font référence sur la scène de l’extrême droite. » En 2019, plusieurs militants de premier plan, dont le fondateur du mouvement Klas Lund, ont quitté le MRN pour former le groupe « Nordisk Styrka » (« Force nordique »), une « organisation de combat » paramilitaire autoproclamée qui serait plus clandestine, plus élitiste et plus radicale que le MRN. D’autres nouveaux groupes d’extrême droite sont également apparus en Suède, avec une façade extérieure moins ouvertement marquée. « Même si ces groupes contestent le monopole du pouvoir du MRN, celui-ci reste l’acteur d’extrême droite le plus dangereux et le plus important en Suède », conclut Morgan Finnsiö.

Parmi les diverses activités du MRN figurent les passe-temps habituels de l’extrême droite : entraînement aux arts martiaux, exercices paramilitaires, promenades dans les bois avec leurs frères d’armes et marches en uniforme. La diffusion de leur propagande joue également un rôle important : les sections locales du MRN prévoient, par exemple, des sorties dans d’autres villes où elles passent des heures à coller des autocollants, à distribuer des tracts, à accrocher des banderoles et à hisser des drapeaux – le tout portant le logo et le nom du mouvement. Certains de ces matériels contiennent des menaces. Un autocollant, par exemple, représente un nœud coulant avec la phrase : « Voici ce que nous ferons aux traîtres du peuple ». Les personnes qui critiquent ou tentent d’empêcher ces tournées de promotion peuvent s’attendre à une confrontation violente.

Selon la Fondation Expo, il y a eu 2801 tournées de propagande de ce type du MRN rien qu’en 2018. En 2019, il y en a eu 1658. En outre, le mouvement organise chaque année 125 à 265 manifestations et rassemblements en Suède. L’Expo estime qu’il y avait entre 150 et 300 membres actifs du MRN avant la scission du mouvement en 2019, ainsi que de nombreux autres sympathisants. Il n’existe pas de chiffres officiels du gouvernement sur la taille du mouvement. « Au plus fort du mouvement, le MRN était capable de mobiliser 600 à 700 personnes pour ses manifestations », estime Morgan Finnsiö.

« J’appelle cette internationalisation "le fascisme Ikea" »

Le MRN de Suède a également des ambitions parlementaires. En 2014, deux membres du mouvement ont été élus sur la liste des Démocrates suédois, un parti d’extrême droite, dans les conseils municipaux de Ludvika et Borlänge. En 2015, le MRN a été enregistré en tant que parti politique. Ce changement de cap est dû à Simon Lindberg, responsable du MRN en Suède depuis 2015 et ancien membre du parti néonazi « Nationalsocialistisk Front » (NSF). Cependant, la percée parlementaire du mouvement ne s’est pas encore concrétisée : aux élections générales de 2018, le parti a obtenu 0,03 % des voix avec environ 2100 votes – moins que tous les autres petits partis. Cette focalisation sur la politique parlementaire est probablement aussi l’une des raisons de la scission du mouvement. Un an plus tard, après la création du Nordisk Styrka, le parti a obtenu 644 voix seulement aux élections européennes.

Mais la scission peut aussi avoir des raisons idéologiques. L’historien suédois Henrik Arnstad, auteur du livre Älskade fascism, (Fascisme bien-aimé), décrit la Suède comme un terrain fertile pour le fascisme après 1945. Dans un entretien accordé à Belltower News, il explique : « Après la Seconde Guerre mondiale, la Suède était l’un des rares pays où les fascistes pouvaient encore se rencontrer et s’organiser – pour la plupart ouvertement. En conséquence, le fascisme a prospéré dans le pays. »

Mais contrairement à de nombreuses variantes nationalistes du fascisme dans le monde, le fascisme suédois est avant tout caractérisé par le transnationalisme : il vise à créer une nation fasciste paneuropéenne. « J’appelle cette internationalisation "le fascisme Ikea" », explique Henrik Arnstad. Ce n’est pas un simple jeu de mots : le fondateur d’Ikea, Ingvar Kamprad, était un membre actif des organisations fascistes « Nysvenska Rörelsen » (Nouveau mouvement suédois) et du parti néonazi « Svensk Socialistisk Samling » (Union socialiste suédoise), le parti qui a succédé au « Nationalsocialistiska Arbetarepartiet » (Parti national socialiste des travailleurs).

Un mouvement fasciné par le fascisme roumain

Bien qu’Hitler soit également idolâtré dans une certaine mesure dans le mouvement nordique, il est également considéré comme un perdant, explique Arnstad. Plutôt que le nazisme, c’est le mouvement fasciste roumain de la Garde de fer, dirigé par Corneliu Zelea Codreanu, qui sert d’inspiration au MRN. « Les deux mouvements utilisent les couleurs verte et blanche, et s’organisent en "nids", note Henrik Arnstad. La Garde de fer était encore plus antisémite que le NSDAP. Hitler les a qualifiés de radicaux ». Le culte de la personnalité autour de Codreanu attire également le MRN : « Il est mort de façon héroïque : il a été exécuté par le gouvernement roumain en 1938 et est considéré comme une sorte de "saint" ».

Manifestation du MRN à Stockholm en décembre 2016. CC Frankie Fouganthin via Wikimedia Commons.

Cette fascination pour le fascisme roumain témoigne d’un certain intellectualisme au sein du MRN, selon l’historien : « Ils sont très cultivés et bien informés en matière d’histoire. Dans leur magazine Nordfront, il y a souvent des discussions très élaborées sur les différentes marques de fascisme. Ils ont même fait l’éloge de mon livre parce que j’ai apparemment compris leur idéologie ». Henrik Arnstad voit aussi dans leur focalisation théorique une raison possible de la scission du mouvement : « Les partisans du Nordisk Styrka ont peut-être aussi considéré le mouvement de résistance nordique comme trop intellectuel et académique. »

L’idéologie pan-scandinave du MRN a aussi ses limites : certaines branches du mouvement suédois ne considèrent pas leurs compagnons d’armes finlandais comme des « aryens » égaux, mais comme des « hybrides ethniques » sans appartenance à la culture scandinave. Cette attitude, à son tour, laisse des traces dans l’idéologie de la section finlandaise du mouvement. Oula Silvennoinen, historien à l’université d’Helsinki, qui étudie l’extrémisme de droite en Finlande, l’explique à Belltower News : « C’est une autre raison pour laquelle le MRN en Finlande n’attache pas une si grande importance à cette idée d’un "État nazi" en Scandinavie. Ils ne communiquent aussi qu’en finnois, bien que le suédois soit également une deuxième langue officielle dans le pays ». Le groupe entretient néanmoins des liens étroits avec ses homologues suédois. Mais il y a aussi des différences de stratégie politique : la branche finlandaise n’a que peu de considération pour les ambitions parlementaires de la branche suédoise.

Oula Silvennoinen estime que la branche finlandaise du MRN compte entre 200 et 400 membres. « Le mouvement en Finlande est certainement plus petit et moins influent qu’en Suède », dit-il. Le chef du MRN finlandais est Antti Niemi, un leader moins charismatique et moins médiatique que son homologue suédois, Simon Lindberg. Mais cela ne rend pas le MRN finlandais moins dangereux : l’ambassade israélienne à Helsinki a été vandalisée plus de 20 fois depuis 2017 par des néonazis avec des croix gammées, des images d’Hitler et des autocollants MRN. Selon la chaîne de la radio publique finlandaise Yle, deux tiers des membres du MRN finlandais ont déjà été condamnés pour des crimes violents.

Britanniques, Ukrainiens, Grecs ou Italiens : les amis de l’étranger

L’une des actions les plus remarquées du mouvement en Finlande a été le « 612 mars » – une marche nationaliste annuelle à Helsinki, le jour de l’indépendance finlandaise. Le parcours de la manifestation se termine au cimetière de Hietaniemi, où se trouve un monument en l’honneur du bataillon de volontaires finlandais de la Waffen SS. Avant la pandémie de Covid-19, la manifestation a attiré jusqu’à 3000 participants chaque année. Elle fonctionne comme un lieu de rencontre pour la scène d’extrême droite : les néonazis scandinaves du MRN et les soldats d’Odin [une milice d’autodéfense finlandaise ndt] y participent, mais aussi des extrémistes de droite internationaux, par exemple du Royaume-Uni, de Grèce et d’Allemagne, qui affluent à Helsinki pour la manifestation.

Sur le plan international, le MRN est extrêmement bien connecté : selon le média Yle, entre 2011 et 2017, une vingtaine de membres du mouvement ont été des utilisateurs du forum international néonazi Iron March. Le MRN y est entré en contact avec des partis néonazis tels qu’Aube dorée en Grèce et Casa Pound en Italie, mais aussi avec des groupes terroristes d’extrême droite comme la National Action, désormais interdit au Royaume-Uni.

En 2015, des membres britanniques de la National Action ont rendu visite à la section finlandaise du MRN. Dans une entrée de blog sur le site web du groupe terroriste britannique, qui a depuis été mis hors ligne, le chef de la National Action, Benjamin Raymond, décrit un long séjour en Finlande. Il a séjourné dans l’un des appartements partagés du mouvement MRN, a prononcé un discours au siège du MRN finlandais dans la ville de Turku, et a participé aux randonnées du groupe. Sur une photo prise à Helsinki avec des membres du MRN, on peut voir Benjamin Raymond poser avec un fusil d’assaut. Il fait l’éloge de l’organisation, de la discipline et du « sens de la communauté » des sections suédoise et finlandaise du MRN. Le Britanno-Finlandais Mikko Vehvilainen, ancien sergent de l’armée britannique, a également servi de lien important entre les deux groupes : il a été membre de la National Action et du MRN finlandais avant d’être condamné à huit ans de prison en 2018 pour son appartenance au groupe britannique.

Le MRN a également des liens avec le régiment ukrainien Azov (une unité paramilitaire d’extrême droite chargée de lutter contre les séparatistes pro-russes, ndt). Le podcast d’extrême droite FashCast a publié une interview entre un membre du MRN finlandais et Olena Semenyaka, la soi-disant « première dame » et porte-parole du bataillon de volontaires paramilitaires d’extrême droite en Ukraine. Dans l’interview, Semenyaka mentionne une « légion étrangère » en Ukraine que les volontaires internationaux pourraient rejoindre, ainsi que des camps d’entraînement militaire au camp d’Azov dans l’est de l’Ukraine. Une délégation du MRN finlandais a visité le régiment d’Azov à Kiev en 2019.

Cela ne veut pas dire pour autant que le MRN dans son ensemble est partisan d’un seul des protagonistes du conflit ukrainien. Deux membres du MRN suédois, responsables de la série d’attentats à Göteborg en 2016 et 2017 mentionnée au début de cet article, ont participé à un camp d’entraînement organisé par le mouvement paramilitaire d’extrême droite et pro-russe « Empire russe » en 2016 dans l’est de l’Ukraine, qui a combattu les forces ukrainiennes – dont le régiment Azov.

Échanges avec des néonazis allemands

En Allemagne, le parti néonazi « Der Dritte Weg » (la « Troisième voie ») est un partenaire important du MRN. Les membres du MRN ont rendu visite à leurs amis d’extrême droite en Allemagne à plusieurs reprises. Lors d’une démonstration de La Troisième voie dans le quartier berlinois de Hohenschönhausen le 3 octobre 2020, Fredrik Vejdeland, une figure de proue de la section suédoise du MRN, a prononcé un discours en allemand. À Würzburg en 2017, le leader du RMN Simon Lindberg a pris la parole lors d’une des manifestations du parti.

L’échange a été mutuel. Des membres de la Troisième voie se sont également rendus en Finlande. En 2019, le fondateur du parti, Klaus Armstroff, a rendu visite au chef du MRN suédois, Simon Lindberg, à Helsinki. Avec une délégation de ses collègues du parti, Armstroff a également participé au « 612 mars ». Des photos de leur voyage à Helsinki sont même disponibles sur le site web du parti. La délégation a visité un musée de chars et le cimetière militaire germano-finlandais (la Finlande était alliée au 3e Reich contre l’URSS pendant la seconde guerre mondiale, ndt). Il semble également y avoir des liens entre le RMN et les Junge Nationalisten (Jeunes nationalistes, JN), l’organisation de jeunesse du parti allemand d’extrême droite NPD. En 2017, les JN ont aussi participé à la manifestation « 612 mars » à Helsinki.

Malgré l’implantation du MRN dans toute la Scandinavie, l’avenir du mouvement est incertain. En 2019, le MRN finlandais a subi un revers majeur après avoir été interdit par la Cour suprême. Reste à savoir dans quelle mesure l’interdiction sera couronnée de succès. L’historien Oula Silvennoinen est sceptique – avec raison. Le lendemain même de l’interdiction, le MRN finlandais a organisé une manifestation à Tampere, dans le sud de la Finlande. Les drapeaux vert et blanc étaient les mêmes que d’habitude, seul le logo du groupe, désormais interdit, manquait. « Pour les observateurs de la scène d’extrême droite, il était tout à fait clair que c’était la marche du MRN », dit Oula Silvennoinen. Même avant la décision de justice, le MRN finlandais a formé plusieurs nouvelles organisations avec des symboles différents en cas d’interdiction – comme « Suomi Herää » (Finlande Réveillez-vous), « Kohti Vapautta » (Vers la liberté) et « Kansallisradikaalia Toimintaa » (Action radicale nationale).

En Suède, la scission du MRN a également affaibli le groupe, mais le Nordisk Styrka, nouvellement formé, est considéré comme plus violent, plus radical et opère dans la clandestinité. Comme le résume le chercheur Morgan Finnsiö : « Même si le MRN semble être en déclin, il reste l’acteur d’extrême droite le plus important et le plus dangereux en Suède. Mais la question reste ouverte de savoir s’ils parviendront à s’adapter et à conserver leur position de pouvoir à l’extrême droite ». Les tendances actuelles en Suède et en Finlande indiquent la fin d’un « fascisme Ikea » exportable en Scandinavie. Mais même dans la clandestinité, le mouvement continuera à entretenir ses liens internationaux étroits.

Nicholas Potter

Traduction : Rachel Knaebel

Ce texte a été initialement publié en anglais ici, sur le site Belltower News. Belltower News est un portail allemand d’informations en ligne indépendant, parrainé par la Fondation Amadeu Antonio, fondation qui a pour objectif de renforcer une société civile démocratique et s’oppose à l’extrémisme de droite, au racisme et à l’antisémitisme.

Photo de une : Manifestation du mouvement MRN à Göteborg, en Suède, en septembre 2017. CC Carl Ridderstråle via Wikimedia Commons.