Habitat

Expulsions accélérées, peines de prison : la loi « Elan » sur le logement s’apprête à criminaliser les plus précaires

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par Rachel Knaebel

La loi sur l’« évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » doit être définitivement adoptée par le Parlement en septembre. En l’état, après son durcissement par le Sénat, cette loi va conduire à privatiser des dizaines de milliers de logements sociaux chaque année, et à réduire le nombre de logements accessibles aux personnes handicapées. Elle va aussi criminaliser les occupants sans-titre, locataires non déclarés, victimes de marchands de sommeil ou squatteurs, tout en accélérant les expulsions et la destruction des habitats auto-construits. Les défenseurs du droit au logement dénoncent une « loi anti-pauvres ».

Il est loin le temps des intentions affichées par la loi sur le logement de Cécile Duflot qui, en 2014, envisageait, parmi d’autres mesures, d’encadrer les loyers et de promouvoir l’habitat coopératif. Définitivement enterrée aussi la belle promesse du président Emmanuel Macron, formulée après son élection : « D’ici la fin de l’année, je ne veux plus personne dans les rues, dans les bois ». « La première bataille : loger tout le monde dignement », lançait-il.

La loi sur le logement du gouvernement d’Édouard Philippe, baptisée Elan pour « évolution du logement, de l’aménagement et du numérique », va, au contraire, privatiser les logements sociaux (voir notre article), pénaliser les occupants sans-titre et faciliter les expulsions locatives. Elle a été votée juste avant l’été par l’Assemblée nationale avant de passer au Sénat en pleine pause estivale, fin juillet. Or, les sénateurs ont encore durci le texte. Celui-ci doit définitivement être adopté mi-septembre [1].

Le Sénat, qui compte une large majorité de droite, a, entre autres, voté une mesure criminalisant les occupants sans-titres. L’occupation sans titre d’un local à usage d’habitation sera désormais passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. « Aujourd’hui, seule l’entrée par effraction dans le domicile d’autrui est ainsi pénalisée », explique Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au logement (DAL). Cette peine d’un an d’emprisonnement pourra également viser les occupants de logements vacants, ou même les locataires au noir qui ne squattent pas le domicile de quelqu’un mais habitent dans un logement sans contrat. « Les sénateurs veulent une “loi anti-squat” depuis des années déjà, quitte à faire la confusion entre domicile d’autrui et logement vacant », poursuit Jean-Baptiste Eyraud.

Occuper un immeuble vide pour abriter des familles pourra mener en prison

Occuper des immeubles vides pour y mettre à l’abri des familles à la rue va donc devenir de plus en plus risqué. Les 80 personnes qui ont été expulsées fin août d’un ancien immeuble de l’armée à Dijon [2], ces sans abris qui occupent une maison de retraite municipale désaffectée à Rouen ou ces familles qui occupent avec le DAL un bâtiment hospitalier vacant dans le centre de Toulouse seront donc passibles d’emprisonnement.

Cette mesure pourrait aussi viser les squats artistiques. « Cet article va concerner toutes les réquisitions du DAL, mais aussi les victimes de marchands de sommeil si le propriétaire porte plainte contre les locataires, les locataires au noir victimes d’un bailleur indélicat… tous ceux qui ne pourront pas prouver qu’ils sont locataires. La mesure sera applicable à toutes les occupations déjà en cours », précise le porte-parole de l’association. « Ces occupants sans titre, ce sont en général des gens qui sont dans des situations dramatiques », souligne aussi Eddie Jacquemart, président de la Confédération nationale du logement (CNL). L’article 58 permet aussi d’expulser ces occupants sans titres même pendant la trêve hivernale ! Le Sénat a aussi voté la réduction des délais des procédures d’expulsion, en les divisant par deux, de deux à un mois.

Les consommateurs de stupéfiants et leur famille pourront être expulsés

Troisième mesure ajoutée par les sénateurs : la résiliation du bail locatif lorsqu’un des habitants a été condamné pour usage ou trafic de stupéfiants. Il suffit qu’un des membres d’une famille soit condamné pour que toute la famille se voit obliger de quitter son logement. Comme la mesure concerne aussi la détention de stupéfiants, les simples consommateurs peuvent être visés. Près de la moitié des adultes de 18 à 64 ans en France qui ont déjà consommé du cannabis au cours de leurs vie sont potentiellement concernés s’ils sont locataires [3] !

« Nous ne défendons pas les dealers, assure à ce sujet le porte-parole du DAL. Il y en a qui terrorisent les locataires, qui leur rendent la vie impossible. Mais est-ce que l’expulsion locative de toute la famille est la bonne réponse au problème ? Et en plus, quand cela vise aussi les simples consommateurs ? Cela va conduire à des situations dramatiques dans les quartiers », avec des familles entières mises à la rue, avertit le DAL.

Les maisons auto-construites de Guyane et Mayotte pourront être détruites sur ordre du préfet

Déjà, lors du vote de la loi à l’Assemblée nationale, les députés avaient adopté plusieurs mesures qui placent les locataires les plus pauvres dans des situations encore plus difficiles. La loi permettra une expulsion plus rapide des locataires endettés qui ne sont pas en mesure de reprendre le paiement du loyer. Les députés avaient aussi voté une mesure pour l’expulsion et la destruction rapide des quartiers dits informels dans les territoires de Mayotte et de Guyane. Le préfet pourra « par arrêté, ordonner aux occupants de ces locaux et installations d’évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder à leur démolition à l’issue de l’évacuation » (article 57 bis). De quels type d’habitat s’agit-il ? Un habitat informel est selon la loi française un logement construit sans permis de construire, ou « dénués d’alimentation en eau potable ou de réseaux de collecte des eaux usées et des eaux pluviales, ou de voiries ou d’équipements collectifs propres à en assurer la desserte, la salubrité et la sécurité dans des conditions satisfaisantes » [4].

« La définition de l’habitat informel est assez vaste. En Guyane, ce sont des milliers de famille qui sont concernées, sur des quartiers construits parfois depuis plus 15 ans, témoigne Jean-Baptiste Eyraud qui s’est rendu dans le département d’outre-mer en juin dernier. Il y a en Guyane une tension foncière très forte, donc une spéculation foncière importante. Les gens n’arrive pas à trouver de terrains à bâtir, trop chers, alors ils s’installent où ils peuvent. Je me suis rendu dans un quartier informel où les gens habitaient depuis 1968, mais que la commune n’a jamais voulu régulariser. » En mai dernier, des habitants d’un quartiers informel de Guyane avaient d’ailleurs manifesté contre leur expulsion programmée (voir ici). Des politiques de reconnaissance et de viabilisation des quartiers informels sont pourtant à l’œuvre au Brésil voisin, avec notamment la régularisation de plusieurs favelas qui ont poussé avec l’exode rural. La France de Macron prend donc la direction inverse, en autorisant la destruction sur ordre du préfet, sans processus judiciaire.

Une maison construite de manière informelle en Guyane. Elle pourrait être visée par les menaces d’expulsions et de destruction sur ordre du préfet comme le prévoit la loi Elan. ©Jean-Baptistes Eyraud.

Un nouveau bail ultra-précaire pour les jeunes travailleurs

Autant de mesures qui risquent de mettre encore plus de gens à la rue en métropole et outre-mer. La loi Elan va également réduire le parc de logements sociaux, en poussant à la privatisation de dizaines de milliers de logements publics à loyer accessible chaque année, et en affaiblissant les obligations des communes en matière de logement social. Elle doit aussi créer un nouveau type de bail locatif, le « bail mobilité ». Ce bail ultra-court, destiné aux étudiants, aux apprentis, aux stagiaires, aux services civiques, et à n’importe quel travailleur en contrat temporaire depuis que le texte est passé au Sénat, est de dix mois maximum, non renouvelable, non reconductible. Un bail, en somme, encore plus précaire que le contrat de location d’un appartement meublé !

« Cette loi renforce les sanctions, comme les procédures d’expulsion, mais ne propose aucune solution à la crise du logement. Il faut des mesures en amont. Nous proposons une sécurité sociale du logement : un dispositif de solidarité nationale financé par les bailleurs, les locataires, l’État, les collectivités, qui permettrait de maintenir des personnes dans leur logement en cas d’accident de la vie, de perte de revenus suite à un accident par exemple » [5]. Selon Eddie Jacquemart, le principal problème en matière de logement demeure le niveau des loyers, contre lequel la loi Elan ne propose rien, bien au contraire.

« Le début de la fin de l’encadrement des loyers »

« Macron et son gouvernement ont même décidé d’attaquer le seul véritable amortisseur qui existe aujourd’hui face à la cherté du logement, c’est à dire le logement social. En plus, le gouvernement continue de restreindre les aides au logement. En faisant cela, il contribue à la non-solvabilité des locataires », accuse le président de la Confédération nationale du logement. Le gouvernement avait déjà baissé de 5 euros toutes les APL en 2017. Le budget annoncé pour 2019 prévoit de ne plus les revaloriser au niveau de l’inflation, ce qui signifie de facto une nouvelle entaille dans les aides pour les locataires…

Quid de l’encadrement des loyers prévus par la loi sur le logement de 2014 ? La loi Elan en parle, mais comme d’un dispositif « expérimental », alors que le principe existe depuis déjà quatre ans. Le terme, inscrit dans l’article 49 de la loi, signe pour Jean-Baptiste Eyraud « le début de la fin de l’encadrement des loyers ». Comment la nouvelle loi Elan compte-t-elle lutter contre le mal-logement, qui touche 3,9 millions de personnes selon le dernier rapport de la fondation Abbé-Pierre [6] ? Mystère.

Rachel Knaebel

Photo de une : CC Arslan via Flickr

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Notes

[1Voir ici le texte de loi après son passage au Sénat. Il doit passer mi-septembre en commission mixte paritaire, composée de sénateur et députés. Si la commission ne trouve pas d’accord, le texte sera adopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale.

[2Voir cet article

[3Voir sur le site de l’Office français des drogues et des toxicomanies.

[4Voir ici.

[5Lire plus le modèle de sécurité sociale du logement de la CNL ici.

[6Voir ici.