Bolivie

Evo Morales face à la fronde de l’oligarchie blanche

Bolivie

par Ivan du Roy

Au virage à gauche qu’a pris l’Amérique latine, répond un sursaut conservateur que doivent affonter les présidents élus. Après le Vénézuéla et le Brésil, c’est au tour du bolivien Evo Morales de subir les assauts d’une droite radicalisée.

Au Vénézuéla, la révolte conservatrice avait pris la forme de grandes grèves et d’une tentative de coup d’Etat en 2002, alors qu’au Brésil, Lula doit faire face depuis 2005 à d’incessantes et hostiles campagnes de presse - souvent diffamatoires - orchestrées par les puissants groupes de médias privés. En Bolivie, l’offensive prend la forme de revendications séparatistes des provinces de l’Est. Le 4 mai, le département de Santa-Cruz organisait son propre référendum local. Le « oui » à un statut d’autonomie élargie l’a emporté avec 82% des voix, sur fond de violences dans les quartiers populaires, bastion des partisan du premier président indien d’Amérique latine. Un succès pour ses détracteurs, malgré une abstention de 36%, qui légitiment ainsi éléctoralement, même si le scrutin n’a aucune valeur légale, leur opposition au gouvernement central de La Paz.

« La réforme structurelle la plus importante de l’histoire du pays est en marche. Nous écrivons une nouvelle page glorieuse pour la Bolivie », s’est enthousiasmé Ruben Costas, préfet (élu) du département et leader du Comité civique pour Santa-Cruz. « Nous ne voulons pas d’un Etat communiste qui nous prenne à la gorge », renchérit sans ambigüité Carlos Dadboub, son porte-parole. Ce comité rassemble la droite - « Podemos », le parti de l’ancien président néo-libéral Jorge Quiroga, l’Action démocratique nationaliste, le parti de droite extrême de l’ancien dictateur Hugo Banzer, ou les activistes blancs et anti-indiens de l’Union de la jeunesse de Santa Cruz - et les oligarchies locales, grands propriétaires terriens et industriels de la région. Ce référendum est « illégal et anticonstitutionnel » leur a répondu Evo Morales. Il lui faudra davantage que des discours sur la légalité et l’unité du pays pour surmonter la crise. Trois autres provinces de l’Est, Tarija, Beni et Pando, s’apprêtent à organiser leur propre référendum.

Politiques redistributives

Entre Amazonie et Cordillère des Andes, les vastes plaines du Chaco constituent le poumon économique du pays. La région de Santa Cruz - la ville la plus peuplée avec 1.5 millions d’habitants - pèse un tiers du PIB, fournit près de la moité de la production agricole et abrite d’importants gisements de fer et de manganèse. Au Sud, le département de Tarija représente 80% des réserves de gaz naturel bolivien, dont l’exploitation a été nationalisée par Morales. L’exportation des hydrocarbures rapporte annuellement un milliard d’euros à l’Etat bolivien, alors que le pays est le plus mal placé du sous-continent en terme de développement humain. Cette manne permet au gouvernement d’initier des politiques sociales et redistributives, comme la « rente dignité » versée depuis février au Boliviens de plus de 60 ans sans revenus.

La nationalisation des gisements en octobre 2007 avait échaudé les classes dominantes, liées aux intérêts des multinationales. Elles s’opposent désormais à la réforme agraire, qui prévoit la redistribution des terres non mises en valeur aux paysans pauvres, et amerindiens en majorité (87% des terres cultivables appartiennent à 7% des propriétaires). « La réforme agraire amènera la guerre civile », prévenait Branko Marinkovic après l’investiture de Morales en 2006. Cet homme d’affaire d’origine croate ayant fait ses études au Texas préside la Fédération des industries privées de Santa Cruz et possède l’une des principales fortunes du pays.

Face à la fronde, Evo Morales a accepté la tenue d’un référendum révocatoire dans les trois mois. La campagne électorale lui permettra de souder la gauche et le centre-droit face à la menace séparatiste et d’adoucir les critiques des mouvements sociaux qui lui reprochent la lenteur des réformes redistributives. Pour ne pas démissionner, le président devra faire au moins aussi bien que les 53,7% qui lui ont permis d’être élu en décembre 2005. Un pari risqué mais loin d’être irréalisable. En juillet 2006 déjà, le pays avait dit non à plus de 57% à une autonomie élargie des départements.

Ivan du Roy

Photo : Dado Galdieri