Economie sociale

Energies renouvelables : les parcs éoliens citoyens ont le vent en poupe

Economie sociale

par Nolwenn Weiler

Le premier parc éolien citoyen français tourne depuis un an, dans le pays de Redon, entre Bretagne et Pays de la Loire. Son originalité : les quatre éoliennes de deux mégawatts chacune ont été financées par les investissements de plus d’un millier de citoyens.

Postées sur les hauteurs de la petite commune de Béganne, dans le Morbihan, quatre éoliennes cherchent les vents les plus propices avant de se mettre à tourner. Sur le haut des piliers, juste avant les pâles, on distingue le logo « éolien citoyen », qui signale que ce parc de huit mégawatts n’appartient pas à une entreprise privée, mais à un collectif. Elles alimentent en électricité l’équivalent de 8 000 foyers. Mais créer un parc éolien citoyen ne s’est pas fait sans obstacles malgré les discours officiels promouvant les énergies renouvelables : il a fallu convaincre les banques, se pencher sur les aspects techniques – et éthiques – des éoliennes à bâtir, et entendre ceux pour qui le bruit des pales constitue une gêne. Un projet de dix ans...

Un millier de personnes, au total, ont investi dans le projet, réunis au sein de 53 clubs d’investisseurs, détaille Michel Leclerc, membre fondateur de l’association Éoliennes en pays de Vilaine (EPV) qui a lancé le projet en 2002 (lire ici). « Ces clubs rassemblent 780 personnes. Nous avons ensuite le collège des membres fondateurs, l’association EPV et la SARL Site à watts, créée pour encadrer la demande de permis de construire. 250 autres personnes ont investi via le fonds Énergie partagée. » Énergie Partagée accompagne et finance des projets d’économie d’énergie et d’énergies renouvelables, maîtrisés par les citoyens et les collectivités. Parmi les financeurs du parc figurent aussi des entreprises locales de l’économie sociale et solidaire (un cinéma, une biocoop...) et la région Bretagne via un fonds d’investissement dédié aux énergies renouvelables.

Prêts des banques coopératives

Ces contributions multiples – 2,7 millions d’euros – ont été essentielles pour convaincre les banques afin d’obtenir un prêt. Le pool bancaire qui finance le parc est dirigé par Triodos, une banque belge éthique. D’autres établissements ont suivi : le crédit coopératif, la Nef, BPI France. Mais le projet a failli capoter : « En mars 2012, suite à l’action des anti-éoliens, le tarif de rachat garanti par le gouvernement a été remis en cause, rappelle Pierre Jourdain, directeur de Site à Watts. Cela a entraîné la fin de l’engagement de financement par les banques, et cela a failli signer l’arrêt total du parc coopératif sur lequel nous travaillions depuis presque 10 ans ! »

Pour sécuriser le projet, les clubs d’investisseurs décident donc d’engager leurs fonds propres. Et l’accord de prêt s’est finalisé juste avant que le permis de construire n’arrive à échéance. Les travaux commencent quelques mois plus tard, après de nouvelles tergiversations bancaires et administratives. « Le chantier était très animé, se souvient un financeur. Le week-end, on devait organiser le parcage des voitures sur le site, tellement il y avait de gens qui venaient voir ! Les gars chargés du gardiennage du site n’avaient jamais vu ça. »

Les salariés du chantier investissent dans le parc

Sur le site vallonné et boisé qui accueille les éoliennes, il faut défricher, bâtir des fondations spéciales qui tiennent compte de la prise au vent des engins, renflouer les chemins par lesquels vont passer les lourds camions chargés du matériel importé d’Allemagne. Le choix du fabricant d’éoliennes a suscité de vastes débats, se souvient Michel Leclerc. « Il est en effet très difficile de trouver des constructeurs d’éoliennes qui ne soient pas de près ou de loin liés à des énergéticiens, lesquels trempent aussi dans le charbon, ou le nucléaire. »

Il a finalement été décidé de laisser ces aspects là de côté, pour privilégier la qualité technique. « On ne pouvait pas se permettre d’emmener des centaines d’investisseurs au casse pipe en optant pour du matériel peu fiable. » Difficile aussi d’enquêter sur les conditions de travail des salariés dans les entreprises fabricantes. « Ce qui est intéressant, c’est que les salariés chargés de monter les éoliennes, puis de la maintenance, ont tenu à investir dans le parc. Ils ont donc créé leur propre club d’investisseurs. »

Une personne égale une voix

Aidée de tableaux comparatifs très précis réalisés par des bénévoles passionnés, l’assemblée générale a tranché en faveur de REpower, désormais renommé Senvion. Les éoliennes de Béganne ont été fabriquées dans une usine allemande. En janvier 2015, nouveau changement : Senvion, détenu par un groupe indien spécialisé dans l’énergie éolienne, est racheté par le fonds de capital-investissement américain Centerbridge Partners. « Nous avons changé plusieurs fois d’interlocuteurs côté constructeurs et bureaux d’études. Il y avait beaucoup moins de turnover chez nous », sourit Michel Leclerc.

Pour la gestion du parc, les citoyens ont créé une SAS, nommée Bégawatts.« Cette formule permet une gouvernance de type collectif. » Au sein du conseil de direction,
chaque représentant des collèges de financeurs a un nombre de voix réparties de façon à ce que personne ne puisse détenir la majorité absolue. Seul le collège des membres fondateurs a une minorité de blocage. Dans chaque collège, une personne égale une voix, quel que soit le niveau de sa participation. « C’est ainsi que le plus petit investisseur, qui a mis 23 € se retrouve avec le même pouvoir que le plus gros, qui a apporté un million d’euros [la SARL Site à watts, ndlr]. »

6,25 euros par mois et par foyer

Les éoliennes produisent 20 GWh par an, soit la consommation de 8000 foyers, tous postes confondus, grâce au faible taux d’équipement en chauffage électrique des habitants du pays de Redon. Ce type de chauffage pour des maisons ou appartements généralement mal isolés est en effet très gourmand en électricité. « Ici, une éolienne fournit l’électricité nécessaire à 2000 foyers, pour 20 ans – la durée de garantie des éoliennes. Étant donné qu’une éolienne coûte 3 millions d’euros, cela revient à 1500 euros par foyer », calcule Michel Leclerc. Soit 6,25 euros par mois et par foyer pour une alimentation de base en électricité.« Produire de l’électricité, ce n’est pas si cher, quand c’est renouvelable et citoyen ! » Les détracteurs de l’énergie éolienne déplorent souvent une rentabilité faussée par le tarif de rachat garanti par l’État. « Actuellement, EDF rachète le kWh éolien à 8,4 centimes d’euros, répond l’association Éoliennes en pays de Vilaine, alors que le prix de revient de l’électricité qui sera peut être produite par l’EPR est déjà estimé à 12 centimes d’euros ! »

On compte quelques mécontents, parmi les riverains, qui trouvent que les éoliennes font trop de bruit quand elles tournent. « Cela nous a obligés à en ralentir certaines, dit Pierre Jourdain. Ce qui exige de savants calculs, puisqu’il faut brider les pâles sans trop nuire à la production. » Certains mécontentements se sont estompés, d’autres persistent. Mais dans le pays de Redon, la dynamique éolienne coopérative se poursuit. Un second parc citoyen est actuellement en cours de construction à cheval sur deux communes – Séverac et Guenrouët. D’une puissance équivalente à celui de Béganne, il devrait alimenter 8 000 nouveaux foyers. Un troisième parc vient d’obtenir son permis de construire. La multiplication de parcs éoliens dans le Morbihan et, en général, dans l’Ouest, permettra de réduire l’intermittence de production.

Promouvoir la réduction de consommation

Deux structures se chargent de diffuser les savoir-faire appris ces dix dernières années en matière d’éolien citoyen : Site à Watts vend des conseils et soutient le développement de parcs éoliens coopératifs partout en France ; l’association Éoliennes en pays de Vilaine partage ses connaissances via ses participations à des salons, colloques et autres sollicitations. Surtout, loin des logiques des grands groupes industriels, les initiateurs des parcs éoliens citoyens cherchent à faire baisser... la consommation d’électricité.

« Il s’agit d’augmenter la production d’énergies renouvelables et de diminuer la consommation, souligne David Laurent, directeur d’EPV. Celles et ceux qui investissent le savent. Une partie du chiffre d’affaire encaissé par la société Bégawatts est reversé, chaque année, à l’association. Soit 25 000 euros par an. L’argent sert à financer du temps de travail des animateurs. » Ceux-ci organisent des ateliers de rénovation thermique, rendent visite aux particuliers pour étudier avec eux la pertinence d’un changement de mode de chauffage, ou d’une isolation, en complémentarité de ce que proposent les espaces info énergie de l’Ademe [1]. « On explique, on échange, détaille Nicolas Massé, en charge de ce volet à EPV. Le but est que les gens intègrent ces notions, qu’ils s’approprient les problématiques pour pouvoir ensuite faire des choix éclairés. »  Éclairés, c’est le mot.

Nolwenn Weiler

Photos : Michel Leclerc, membre fondateur de l’association Éoliennes en pays de Vilaine, devant le parc éolien citoyen de Béganne, éoliennes de Béganne / © Nathalie Crubézy et Jean-Paul Duarte, Collectif à-vif(s).

 Le reportage photo est tiré du projet en cours "Time for change : pour une production et une consommation soutenables des matières premières" porté par l’Aitec, en partenariat avec Attac, Bastamag et le collectif à-vif(s)

Notes

[1Financés par l’Ademe et les collectivités locales, les conseillers info énergie délivrent des conseils indépendants et gratuits aux particuliers.