Répression

« Les massacres de manifestants doivent cesser » : intense mobilisation au Nigéria contre les violences policières

Répression

par Collectif

Depuis le 8 octobre, des milliers de Nigerian.e.s manifestent contre les violences policières dans le cadre du mouvement EndSARS. Alors qu’ils multiplient les occupations, au moins 56 personnes ont été tuées depuis le début de la mobilisation. Le collectif Black Tuesday interpelle dans cette tribune le gouvernement français, qui n’a encore fait aucune déclaration concernant cette répression.

Depuis le 8 octobre, des milliers de Nigerian.e.s manifestent contre les violences policières, incarnées par l’unité SARS (Special Anti-Robbery Squad) réputée pour sa violence et son haut niveau de corruption. Cette mobilisation, dans les rues des villes du pays ainsi que sur les réseaux sociaux (sous le hashtag #EndSARS), s’inscrit plus largement dans les protestations internationales de ces derniers mois contre les violences policières, dans un contexte de crise sanitaire doublée d’une crise économique profonde qui n’a pas manqué d’exacerber les exactions des policiers et des militaires nigérians à l’encontre des civils. Au début de l’épidémie de Covid-19 au Nigeria et pendant les deux premières semaines de confinement, soit entre le 30 mars et le 16 avril 2020, la brutalité policière a fait plus de morts que le virus.

« Assaut contre des civils non armés »

Déclenchée par l’assassinat d’un jeune homme dans l’État du Delta et la diffusion de la vidéo montrant l’officier prendre possession de son véhicule après l’avoir abattu, cette extraordinaire mobilisation a poussé le gouvernement à démanteler cette unité. Mais celui-ci n’a pas donné de réels gages sur les autres revendications du mouvement, parmi lesquelles la justice pour les victimes de violences policières, la mise en place d’une autorité indépendante pour faire la lumière sur les exactions policières ou encore l’amélioration des conditions salariales des forces de sécurité. Les manifestant.e.s ont donc choisi de poursuivre leur mobilisation, occupant des axes importants et des sites symboliques comme le centre administratif de Lagos, ou le péage de Lekki.

Le mardi 20 octobre en fin de journée, un millier de manifestant.e.s occupe encore le péage de Lekki, assis.es par terre ou sur des bornes en béton, téléphones et drapeaux nigérians à la main, dans une ambiance apaisée et pacifiste. Depuis l’après-midi pourtant, des techniciens étaient venus démonter les caméras de surveillance du péage. A 18 h, les écrans et l’éclairage public s’éteignent d’un coup, et 45 minutes plus tard, des hommes en armes ouvrent le feu sur la foule, comme le montrent clairement nombre de vidéos amatrices comme celle de DJ Switch, justement venue mixer sur les lieux. L’assaut aurait fait une dizaine de victimes et des centaines de blessés d’après Amnesty International ; des témoins ont signalé des barricades empêchant l’arrivée sur place des ambulances et la présence de camions venus ramasser les corps. L’objectif n’est pas de les soigner mais, comme pour les caméras de surveillance, d’effacer les preuves d’un assaut contre des civils non armés.

« Les jeunes Nigérians le disent aujourd’hui haut et fort : ils n’accepteront plus d’être tués en toute impunité »

La répression est une méthode classique de gestion des crises au Nigeria, comme l’avait montré les tueries dans le Nord-est en 2009 menées par la police et les militaires chargés de réprimer l’insurrection de Boko Haram ou encore le massacre de plus de 300 fidèles chiites en 2016, à la suite d’une altercation avec un convoi militaire. Les données recueillies par le projet NigeriaWatch à l’université d’Ibadan montrent ainsi que les forces gouvernementales tirent et tuent dans plus de la moitié des cas d’incidents létaux où elles interviennent.

Au quotidien, la brutalité des forces de sécurité nigérianes se manifeste par l’extorsion, les arrestations et détentions arbitraires de simples passants, le viol, la torture et le meurtre. Sachant que le contexte mondial actuel est propice à faire entendre leurs voix, et après des années de frustration grandissante à l’égard du comportement des forces de l’ordre, les jeunes Nigérians le disent aujourd’hui haut et fort : ils n’accepteront plus d’être tués en toute impunité, ils veulent de meilleurs conditions de vie, pour eux et pour les générations suivantes. Pour la première fois, toutes les classes sociales et toutes les régions du Nigeria sont à l’unisson.

Le gouvernement français ne peut rester silencieux

Dans un rapport daté du 21 octobre Amnesty International Nigeria estimait qu’au moins 56 personnes étaient mortes depuis le début de la mobilisation, dont 38 le mardi 20 octobre.

Face à de pareilles exactions à l’encontre de citoyen.ne.s, les partenaires économiques et politiques du Nigeria ne peuvent rester silencieux. Après l’Union européenne, l’Union africaine, le premier secrétaire d’État britannique et le candidat démocrate à la présidentielle des États-Unis Joe Biden, nous appelons le président français Emmanuel Macron à prendre à son tour la parole pour condamner les violences policières ainsi que la répression sanglante contre les manifestations au Nigeria. Nous demandons au président français d’appeler son homologue nigérian, Muhammadu Buhari à respecter le droit fondamental de manifester et à protéger ses citoyens. Les relations politiques entre la France et le Nigeria se sont resserrées ces derniers années, notamment dans le cadre de la lutte contre Boko Haram.

Mettre un terme à l’utilisation systémique de la violence par l’État nigérian contre sa propre population

Les partenariats économiques sont aussi nombreux et fructueux pour les deux pays, comme en témoigne le nombre de grandes entreprises françaises présentes au Nigeria. Enfin, lors de sa dernière visite au Nigeria en juillet 2018, le président Emmanuel Macron n’a pas manqué de rappeler son attachement à ce pays d’Afrique, son soutien à la jeunesse nigériane et son admiration pour l’un des plus illustres défenseurs des droits des Nigérians à vivre en sécurité et en démocratie : le musicien et activiste Fela Kuti. Si ces déclarations étaient sincères, celles-ci ne peuvent être contredites aujourd’hui par un silence coupable.

Alors que le gouvernement et l’armée nigérians nient leur responsabilité dans la répression du mouvement, se taire revient à faire leur jeu d’une confusion entre manifestants et criminels, au mépris des informations claires diffusées par les réseaux sociaux et vérifiées par des médias et organisations internationales. Les violences contre les manifestants EndSARS s’inscrivent dans une utilisation systémique de la violence par l’État nigérian contre sa propre population, qui doit aujourd’hui trouver son terme, comme le réclame à corps et à cris la jeunesse nigériane.

 Dr. Emilie Guitard, chercheure CNRS, laboratoire Prodig (Paris)
 Prof. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche à IRD, laboratoire CEPED (Paris)
 Dr. Elodie Apard, chercheure associée au laboratoire Les Afriques dans le Monde (Bordeaux)
 Prof. Laurent Fourchard, directeur de recherche au CERI (Science Po Paris) 

Pour le collectif « Black Tuesday : soutien au mouvement EndSARS au Nigéria » [1]., le 22 octobre 2020.

 Une pétition est en ligne, "Mouvement #EndSARS au Nigéria : Les massacres de manifestants doivent cesser", à retrouver en ligne ici

Photo de une : « Les dirigeants du Nigeria doivent être tenus pour responsables de l’assassinat de manifestants pacifiques : le changement commence maintenant. #EndSARS » CC twitter

Notes

[1Le collectif « Black Tuesday : soutien au mouvement EndSars au Nigéria » - rassemble des universitaires, mais également des citoyens français et nigérians ainsi que des associations