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En Colombie, après un demi-siècle de guerre civile, les guérilleros aspirent à la paix

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par Nadège Mazars

La Colombie est-elle sur le point de connaître la paix, pour la première fois depuis un demi-siècle ? Décryptage accompagné d’un diaporama photo inédit auprès des FARC.

Les guérilleros des « Forces Armées Révolutionnaires de Colombie – Armée Populaire » (FARC) vont-ils bientôt sortir des jungles montagneuses et retrouver une vie civile, et pacifique ? Depuis deux ans et demi, la Colombie est entrée dans une nouvelle phase de son histoire avec l’ouverture de négociations à La Havane (Cuba) entre les FARC, principale guérilla comptant plus de 8000 combattants, et le gouvernement. Ces négociations déjà bien entamées pourraient mettre fin à la guerre civile qui s’éternise depuis plus de 50 ans.

Les portraits présentés dans le diaporama ci-dessous sont ceux de guérilleros d’un groupe de base des FARC. C’est l’occasion ici de découvrir le visage de celles et ceux qui peut-être dans peu de temps se démobiliseront pour s’intégrer à la vie sociale et politique. Reste que le pays et ceux qui le dirigent actuellement devront accepter de jouer le jeu du retour à la vie civile de ces combattants, dont certains pourraient s’engager dans la vie politique démocratique.

220 000 morts, six millions de déplacés

Au cours des deux derniers mois, le processus de paix a traversé une difficile phase d’instabilité avec l’intensification du conflit sur le terrain pendant que les négociations continuaient tant bien que mal à La Havane. Les FARC ont cependant surpris il y a une dizaine de jours en annonçant qu’elles décrèteraient le 20 juillet, fête nationale colombienne, un nouveau cessez-le-feu unilatéral, prenant à contre-pied la tendance à l’escalade du conflit et appelant le gouvernement à suivre ce chemin en signant un cessez-le-feu bilatéral. Où en est-on aujourd’hui ? Quels sont les obstacles à un tel cessez-le-feu bilatéral ? Dans l’histoire du pays, un processus de paix n’a jamais été aussi près d’aboutir.


Photos : © Nadège Mazars / hanslucas.com


Entre 1958 et 2012, 220 000 personnes ont été tuées, dont 80 % de victimes civiles, selon le rapport émis en 2013 par le Groupe de Mémoire Historique [1]. À ce terrible bilan s’ajoutent les six millions de personnes déplacées, soit 12% de la population, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). La guerre civile a commencé il y a un demi siècle par la confrontation entre libéraux et conservateurs. Dans les campagnes, une partie des libéraux prend alors les armes et se constitue en groupes d’auto-défense face à la répression des conservateurs. Avec le temps les guérillas se transforment, d’autres acteurs armés se constituent, la question du narcotrafic – le contrôle de la production de cocaïne – s’y ajoute, rendant complexe la compréhension du conflit.

Dans les sphères du pouvoir, une « tendance à la pensée unique » [2] perçoit toute opposition comme une menace à éliminer. Et c’est la tendance la plus dure – les courants les plus à droite de l’échiquier politique colombien – qui l’emporte, prônant les armes comme seule solution au conflit. Le président Alvaro Uribe a persévéré dans cette voie durant ses deux mandats entre 2002 et 2010, en dépit de son échec et du coût humain monumental. A partir de 2012, le constat par les deux parties que la voie militaire ne mène nulle part ouvre le chemin des négociations. Une position réaffirmée par le président Juan Manuel Santos (conservateur) il y a quelques jours, quand il explique qu’il faudrait au moins 20 ans pour terminer la guerre sur le terrain.

Des négociations de paix sous l’égide de Cuba et de la Norvège

Les négociations de paix commencés fin 2012 se déroulent à La Havane (Cuba) et intègrent six grands points de discussions. Un accord partiel a déjà été obtenu sur la « politique de développement agraire intégral », la « participation politique » et sur « une solution au problème des drogues illicites ». Avant de passer à la « validation de l’accord », les deux autres derniers points, sur les victimes et la fin du conflit, restent les plus difficiles à conclure. Deux règles président au bon déroulement des négociations. Tout d’abord, rien n’est décidé jusqu’à l’accord final. Ensuite, les discussions se poursuivent alors que la guerre continue.

Celle-ci a connu un répit. Les FARC décrètent un cessez-le-feu unilatéral le 20 décembre 2014. Début mars, c’est au tour du gouvernement d’arrêter les bombardements par l’Armée sur les campements de la guérilla. Il devient alors possible d’imaginer à court terme la fin des affrontements. Au cours des cinq mois de trêve unilatéral des FARC, la Fondation Paix et Réconciliation [3] confirme que l’intensité des confrontations s’est réduite de 90 %, épargnant les effets de la guerre à 15 000 personnes.

Nécessaire cessez-le-feu bilatéral

Mais, courant avril, un affrontement conduit à la mort de 11 soldats dans le sud-ouest colombien, et incite le gouvernement à reprendre les bombardements. Le 21 mai, 27 guérilleros meurent après une attaque sur leur campement. Parmi eux se trouve l’un des négociateurs de La Havane, Jairo Martinez, revenu sur le terrain pour informer et « éduquer » sur le processus de paix. Le jour suivant, les FARC reprennent leurs offensives dans tout le pays. Les deux mois qui suivent voient la guerre regagner l’intensité de ses pires moments, avec des morts quotidiens, des attaques sur les infrastructures et sur les cibles économiques tels les transports de pétrole. Beaucoup pensent alors que les négociations de La Havane vont échouer. Mais à contre-courant de ces affirmations, les FARC décrètent un nouveau cessez-le feu unilatéral le 20 juillet, un jour après avoir remis à la Croix Rouge un récent prisonnier, le capitaine Cristian Moscoso.

Ce revirement de situation intervient alors que, parallèlement, les coulisses des négociations s’agitent. Le 7 juillet déjà, les pays garants du processus, Cuba et la Norvège, et les deux pays accompagnateurs, le Chili et le Venezuela, demandent aux négociateurs de trouver un chemin rapide vers le cessez-le-feu bilatéral. Quelques jours plus tard, ce sont au tour de deux notables colombiens, Eduardo Montealegre, chef du parquet, et Ernesto Samper, ancien président de la République aujourd’hui secrétaire général de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), d’appeler à l’arrêt bilatéral des hostilités. Le pape François quant à lui encourage à ce que les dialogues de paix se poursuivent.

Cessez-le-feu : pourquoi la droite dure s’en inquiète ?

Le 12 juillet, la délégation du gouvernement et celle des FARC arrivent à un accord de désescalade du conflit. Pour la première fois, le gouvernement accepte de réduire l’intensité de ses opérations. Mais la prononciation d’un cessez-le-feu bilatéral se fait attendre. Au contraire, Santos temporise en annonçant un plan sur quatre mois, plutôt qu’un pas en avant franc vers l’arrêt des combats. Prétextant vouloir tester la réelle volonté des FARC, Santos cherche à ménager son aile droite militariste et les faiseurs d’opinion dans les médias. Mais c’est tout de même la première fois que l’on évoque officiellement la voie du cessez-le-feu bilatéral, une ligne rouge que Santos avait jusqu’alors promis de ne pas dépasser.

L’arrêt des affrontements épargnerait pourtant de nombreuses vies, tant chez les guérilleros, les militaires que les civils. La pacification du territoire serait aussi une garantie pour que les négociations de paix avancent de manière plus sereine et aboutissent plus rapidement. Enfin, ce serait aussi l’occasion de commencer à mettre en place les programmes de l’après-conflit, en commençant par exemple le déminage : des opérations pilotes associent déjà des militaires et des guérilleros dans le département d’Antioquia.

Plus de 3 000 syndicalistes assassinés

Mais alors pourquoi le cessez-le-feu bilatéral est-il si problématique ? Au-delà des situations de politiques internes et de contrôle de l’opinion publique, la véritable question de fond touche à l’avenir des FARC une fois les armes mises de côté. Cette perspective effraie toujours la droite et ses alliés économiques. Les opposants au cessez-le-feu avancent que la guérilla en profiterait pour mener plus amplement ses activités illégales. Elle les poursuit déjà de toutes façon dans les zones qu’elle contrôle. Surtout, ses trafics n’ont de sens que parce qu’ils financent la guerre. Si celle-ci s’arrête, le besoin de financement aussi. Ce qui effraie, ce n’est pas tant son activité illégale que l’activité légale qu’elle pourrait entamer, de transition vers la vie civile et politique au niveau local et national.

Les FARC ont déjà annoncé leur intention de se transformer en parti politique à la fin de la guerre. La gauche colombienne est aujourd’hui réduite et divisée. Tout au long de l’histoire de la Colombie, elle a fait face à une répression parfois légale, parfois extrajudiciaire, le plus souvent extrêmement violente. Le cas des syndicalistes est particulièrement parlant : depuis 1985, l’ONG colombienne CINEP a recensé plus de 3 000 syndicalistes assassinés. Cette violence continue. Actuellement, la criminalisation touche les leaders locaux et membres de deux récents mouvements politiques, le Congrès des Peuples et la Marche Patriotique, cherchant à organiser de façon transversale les différents secteurs sociaux. Car une autre façon de mettre hors-jeu celles et ceux qui construisent la gauche est de les diaboliser en les désignant comme des « guérilleros terroristes ».

L’opposition de gauche décimée

Et puis il y a l’expérience de l’Union Patriotique (UP), à la fin des années 1980, quand les guérillas envisageaient déjà le retour à la vie civile. Le mouvement politique présente alors de bons premiers résultats aux élections locales… Jusqu’à ce qu’une vague d’assassinats touche le parti. On estime à plus de 3000 personnes les membres de l’UP assassinés sur cette période. Autant de familles brisées, et également la sinistre expression d’une extermination systématique d’un personnel politique en devenir. Toute une partie de l’espace politique colombien a ainsi été décimé au cours des 50 ans de guerre. Des hommes et des femmes se sont tus ainsi que leurs idées. Alors l’enjeu de la paix est aussi d’assurer le retour de cette partie de l’expression politique colombienne dans le jeu des pouvoirs, notamment en contrant la reprise d’activité des milices paramilitaires constatée dans les régions.

La paix ne pourra non plus se faire sans intégrer dans les négociations les autres guérillas : l’Armée de Libération Nationale (ELN) comptant environ 5000 combattants et l’Armée Populaire Nationale (EPN), active dans le sud-est colombien. Car de cette intégration dépend aussi la réconciliation du pays avec les autres expressions de sa gauche. Le processus de paix et la signature d’un accord ne sont qu’une étape dans la pacification de la société colombienne. Pour dépasser les erreurs et les drames du passé, il est nécessaire de créer un réel espace d’expression et d’action où l’opposant n’est plus considéré comme un ennemi à assassiner mais bien comme un adversaire politique.

Il n’y a pas réellement eu de coup d’État en Colombie, contrairement à la plupart des autres pays latino-américains. Certains affirment même qu’elle est la démocratie la plus stable d’Amérique latine… La voie dictatoriale n’a juste jamais été nécessaire : tous les opposants gênants ont été assassinés, emprisonnés, ou ont dû se réfugier à l’étranger ou dans les nombreuses montagnes du pays. La question est de savoir si le pays et ces politiques sont prêts à un vrai changement, comme le montrerait ce premier pas en avant de la signature d’un cessez-le-feu bilatéral.

Nadège Mazars (texte et photos en ©) [4]

Notes

[1Le Groupe de Mémoire Historique est une équipe de recherche née à partir de la loi Justice et Paix. Rapport ¡Basta ya ! Colombia : memorias de guerra y dignidad (lire ici)

[2Comme le note le rapport du Groupe de Mémoire Historique.

[3El Espectador, « ¿Sirvio la tregua unilateral de las FARC ? ».

[4Journaliste et photographe, voir son site. Nadège Mazars est également coordinatrice du dossier « Colombia, tierra de pelea : le(s) conflit(s) au cœur de la société », Cahiers des Amériques latines n°71, 2013.