Politique

Élections anticipées : l’Espagne se prépare à l’austérité

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par Emmanuel Haddad

En novembre auront lieu les élections législatives anticipées en Espagne. Prévues en mars 2012, avancées sous la pression de la droite et de la crise, elles devraient voir un basculement politique en faveur des conservateurs. Le pays se prépare à des coupes budgétaires importantes. Bien loin des revendications des Indignés espagnols, rejoints par les enseignants et les professionnels de santé, inquiets pour leur avenir.

Le 20 novembre, les Espagnols élisent leur nouveau Parlement. La mort annoncée du parti socialiste (PSOE) et la victoire attendue du parti conservateur amoindrissent les espoirs nés du mouvement des Indignés du « 15M » (lancé le 15 mai). Pourtant, face aux coupes dans les services publics, les Espagnols continuent à descendre dans la rue.

« Rubalcaba se voit lui-même comme un escaladeur à qui on demande de monter l’Everest sans oxygène, sans sherpa et avec un sac rempli de pierres. » Cette métaphore de deux journalistes d’El País n’est qu’une goutte dans l’océan d’avis défaitistes qui accompagnent le candidat du Parti socialiste espagnol aux élections anticipées du 20 novembre.

L’impossible rupture du candidat socialiste

Alfredo Pérez Rubalcaba, 60 ans, tient, depuis l’annonce de sa candidature le 9 juillet dernier, un discours de rupture par rapport aux dernières mesures du gouvernement de Zapatero. Son programme, composé de mesures « ambitieuses et réalistes », va de la réintroduction d’un impôt sur le patrimoine, pour faire participer les plus riches à l’effort de désendettement, jusqu’à la création d’un « 351e siège au Parlement », permettant au représentant d’une initiative citoyenne de venir plaider sa cause à la chambre des députés. Rubalcaba tente bien de gravir l’Everest, multipliant les clins d’œil aux Indignés tout en rassurant les marchés par son image d’homme d’action et de négociateur hors pair. Mais sa tentative d’équilibriste de haute voltige ne suffira pas.

Sur son dos, le sac de pierres pèse trop lourd : il a participé à tous les gouvernements socialistes depuis 1993, jusqu’à être premier vice-président et porte-parole du gouvernement Zapatero à partir de 2010. « Il est dur d’envisager une rénovation politique à travers un homme qui non seulement a été ministre puis numéro deux du gouvernement Zapatero, mais qui en plus était déjà ministre sous Felipe González ! », juge Jordi Serrano, président de l’Université progressiste d’été de Catalogne (Upec), un espace de rencontres et d’études issu de la gauche progressiste catalane.

Le pire résultat de son histoire pour le Parti socialiste ?

Le Parti socialiste, en ne faisant pas le pari de la jeunesse, s’est tiré une balle dans le pied, selon le chercheur catalan : « Ce que peuvent les gouvernements est de toute manière très réduit. Mais un nouveau visage à la place de Rubalcaba aurait au moins eu le mérite de relancer la vapeur. Il aurait pu expliquer aux électeurs que, malgré des mesures d’austérité, son parti agit contre sa propre volonté et qu’il faut faire de nécessité vertu. » Elena Valenciano, chargée de campagne du candidat, jeune et féministe, aurait été un choix plus judicieux, selon lui. À moins que le PSOE ne préserve sa jeune garde pour des combats futurs, qui ne seront pas perdus d’avance ?

Les sondages sont sans appel. Le Partido popular (PP), parti de la droite conservatrice dans l’opposition depuis 2004, remporterait la majorité absolue des sièges avec 46,1 % des votes, selon un sondage de l’entreprise GESOP publié fin septembre par le quotidien El Periódico. Avec 31,4 %, le Parti socialiste (PSOE) obtiendrait entre 121 et 125 sièges, égalant dans le meilleur des cas le pire résultat de son histoire. La mort annoncée du PSOE laisse le champ libre aux présidents des communautés autonomes [1] aux mains du PP, qui ont d’ores et déjà décidé d’opérer des coupes franches dans l’éducation et la santé publique pour sauver l’Espagne de sa crise de la dette.

Des coupes budgétaires dans l’éducation et la santé

Le Parti socialiste se contente de publier une carte interactive des coupes budgétaires décidées par les communautés à droite, comme s’il n’avait déjà plus la main. Selon l’ex-ministre de l’Éducation, José María Maravall (1982-1988), la gauche n’a pas assez combattu sur le terrain des services publics : « Les gouvernements autonomes peuvent user du budget à leur guise. Mais il y a des nécessités budgétaires, et le PP exempte fiscalement les familles qui envoient leurs enfants dans les collèges privés. La gauche a mené une bataille suffisante ? Non », a-t-il déclaré, frustré, au quotidien Público.

La politique des communautés autonomes dirigées par le PP (Castille-La-Manche, Valence, Madrid) a tout d’un laboratoire, avant de mettre en œuvre les politiques au niveau national au lendemain du 20 novembre : « Jusqu’à maintenant, les ajustements du PSOE ont épargné l’éducation et la santé, mais le gouvernement va devoir faire des ajustements supplémentaires, et ils risquent de se porter sur ces deux secteurs aussi », estime Ignacio Sánchez–Cuenca, directeur de recherche du Centre d’études avancées en sciences sociales de la Fondation Juan-March.

Les Indignés, influents dans la rue, pas (encore) dans les urnes

Dans la rue, les Indignés ont désormais été rejoints par les professeurs et les médecins, révoltés par la baisse de leurs salaires et de leurs effectifs. Mais l’élan du mouvement du « 15M » va-t-il se répercuter dans les votes ? « C’est dur de savoir quelle va être l’influence des Indignés, mais ils auront dans tous les cas un pouvoir réduit sur les élections, analyse Ignacio Sánchez–Cuenca. En revanche, ils auront un rôle important dans les protestations contre les ajustements qui vont suivre. Il risque d’y avoir quelques mois d’attente avant le retour aux protestations, pour voir non pas si le PP fera ou non des ajustements, car c’est une certitude, mais à quelle magnitude ils se produiront. »

À la gauche de la gauche, Izquierda Anticapitalista, scission d’Izquierda Unida (IU, « Gauche Unie »), avait proposé à Cayo Lara, président d’IU, d’intégrer dans ses listes des activistes non-professionnels de la politique. Un appel du pied aux Indignés. Face au refus de Cayo Lara, la liste se présentera seule le 20 novembre. Seul aussi, Equo, nouveau parti écologiste lancé par Juan López de Uralde, l’ancien président de Greenpeace en Espagne. Ce parti, qui réunit 30 organisations écologistes, participera à ses premières élections sans s’allier avec les autres partis verts, malgré un protocole de collaboration avec Iniciativa per Catalunya Verds, le parti vert catalan.

Au final, pour Ignacio Escolar, ex-directeur et journaliste au quotidien Público, « la seule inconnue est de savoir si le PP va obtenir une majorité simple ou absolue. Après, si la défaite est réduite, le PSOE choisira probablement de rester à la tête de l’opposition. » Si la défaite est écrasante, Rubalcaba laissera sans doute sa place à la tête du Parti socialiste .

Emmanuel Haddad

Notes

[1L’Espagne est divisée en 17 communautés autonomes (Comunidades Autónomas)