Psychiatrie

Des patients et des soignants « furieux » de la couverture médiatique de leur journée d’action

Psychiatrie

par Collectif

Le 22 janvier, des centaines de soignants de la psychiatrie et des membres d’associations de patients manifestaient à Paris pour demander des moyens et du personnel pour le soin psychiatrique. Cela fait des mois qu’un mouvement social d’ampleur secoue le secteur. Les initiateurs de ce mouvement se disent « furieux du traitement médiatique qui a été réservé à la manifestation nationale » du 22 janvier. Ils regrettent la mise en avant dans les médias de psychiatres partisans d’une psychiatrie centrée sur le médical, les médicaments et les neurosciences alors même que les participants au mouvement privilégient une idée du soin basé sur le lien social. Basta! publie ici leur tribune.

Nous, patients et soignants membres du collectif Terrain de rassemblement pour l’utilité des clubs (Truc), sommes furieux du traitement médiatique qui a été réservé à la manifestation nationale de la psychiatrie « la psy en sandwich » qui s’est tenue à Paris le 22 janvier 2019. Nous avons en effet été pris en sandwich entre les annonces farfelues du ministère de la Santé et les fausses solutions proposées par la fondation Fondamental.

Une fois de plus, les tenants de cette psychiatrie ont pris la parole en notre nom à toutes et tous d’une façon illégitime, infantilisante et paternaliste. Cette manipulation est intolérable pour nous qui souffrons de la maladie et de conditions de travail déplorables. Une fois de plus, la psychiatrie industrielle a confisqué la parole à celles et ceux qui crèvent de ne plus l’avoir.

« À cette parole manipulée, nous opposons donc notre parole »

La récente mobilisation est partie du service public. Or, n’ont été invitées dans les médias que des personnes œuvrant à sa destruction et à sa privatisation. Nous ne sommes pas furieux pour rien. Nous sommes furieux car nous défendons un bien commun : le vivre ensemble dont la valeur thérapeutique est déniée par le miroir aux alouettes de Fondamental, par les pratiques asilaires et le management qui y sont associés.

À cette parole manipulée, nous opposons donc notre parole. Qu’est-ce qui soigne, qu’est-ce qui est thérapeutique selon nous ? Nous sommes sensibles et avons une vision poétique et politique du lien au monde. Nous rejetons le monopole de la vision biologique et réductrice de l’être humain dans des catégories neuronales et comportementales étroites. Au contraire, nous défendons et cultivons l’exigence d’un regard et d’un accueil plus complexe de l’être humain dans sa singularité et dans toutes ses dimensions.

Pour les membres du Truc, les clubs thérapeutiques sont le métier à tisser d’un lien social mis à mal voire brisé. Ces espaces associatifs et citoyens organisent la vie quotidienne et les soins de façon paritaire entre soignants et soignés. Nous y inventons du commun, construisons, délibérons et décidons ensemble, faisant vivre une fonction démocratique permanente, en perpétuelle évolution. Dans cet espace club s’éprouvent chaque jour l’égalité, la solidarité et la transversalité. Nous respectons le rythme de tous et nous ajustons au plus près de chacun.

« Ce sont d’humains soucieux les uns des autres dont nous avons besoin ! »

La mise en avant de Fondamental dans les médias passe sous silence les pratiques que nous, patients et soignants, soutenons au sein du Truc. Ces pratiques s’inscrivent dans une histoire de la psychiatrie fondée sur l’émancipation des personnes et la transformation des lieux de soin et d’accueil (une histoire qui passe par la psychothérapie institutionnelle, le désaliénisme, etc.). Elles s’appuient sur le potentiel thérapeutique de chacun.e.s quel que soit son statut, et se refusent à trier des personnes par pathologie dans des centres « experts diagnostics ». Pas d’expert dans les clubs et au Truc, mais un accueil inconditionnel de la parole, de l’humour, de la convivialité, de la déconnade et une attention particulière portée sur l’ambiance. Le Truc, c’est de la recherche par expériences partagées.

La psychiatrie plus humaine, ce n’est pas la psychiatrie du comprimé, de la contention et du reste. Ce sont deux visions fondamentalement différentes voire opposées. Ce ne sont pas les mêmes mondes. Ce sont d’humains soucieux les uns des autres dont nous avons besoin ! Transmettre, défendre et résister plus fort ensemble face aux attaques actuelles d’une société de plus en plus normalisatrice sont les maîtres mots de notre démarche.

Photo : Serge D’ignazio

 Voir le blog du Terrain de rassemblement pour l’utilité des clubs

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