#NousSommesUnis

Face à la tentation de la haine et aux rumeurs, cette France qui résiste aux amalgames

#NousSommesUnis

par Sophie Chapelle

Depuis les attentats du 13 novembre à Paris, plusieurs actes racistes, islamophobes et antisémites, ont été recensés en France. Sur la toile circulent des intox à connotation xénophobe. Face aux fausses informations et aux actes de malveillance, des citoyens résistent. Guirlande de cœurs déposée à l’entrée d’une mosquée, messages de paix massivement relayés sur les réseaux sociaux, slams appelant à plus de fraternité, discussion animée mais pacifique avec un imam dans la rue…

Les attentats à Charlie Hebdo et au supermarché Hyper Cacher en janvier dernier ont été suivis par une forte hausse des actes islamophobes. 222 actes anti-musulmans ont été dénombrés au premier trimestre 2015 en France, soit six fois plus que l’année précédente, à la même période [1]. Faut-il redouter les mêmes amalgames et représailles après les attentats de Paris le 13 novembre, dans un contexte où la récupération politique va bon train ? Or, c’est bien la division que recherchent les djihadistes comme l’analyse Nicolas Hénin, journaliste et ancien otage de l’Organisation État islamique, dans The Guardian : « Ils seront encouragés par tous les signes de réaction excessive, de division, de peur, de racisme, de xénophobie. »

Depuis les massacres perpétrés à Paris et revendiqués par l’organisation salafiste État islamique, plusieurs actes racistes et islamophobes sont à déplorer sur l’ensemble du territoire national. La communauté juive se sent également visée après l’agression, le 19 novembre au soir à Marseille, d’un enseignant blessé à coups de couteau à la sortie du centre communautaire Yavné, qui comprend une école juive et une synagogue. L’un des agresseurs aurait exhibé un tee-shirt « à l’effigie de Daech ».

Blessé par balle et roué de coups à cause de leur couleur

A Pontivy (Morbihan), un homme d’origine maghrébine a été roué de coups le 14 novembre lors d’un rassemblement « contre les migrants et les étrangers » initié par Adsav, un groupe d’extrême-droite identitaire bretonne. « Non loin de notre magasin, un monsieur d’origine maghrébine a été pris par le col, relate une commerçante. Six personnes l’ont mis à terre. C’était un défoulement sur lui. C’était déchirant, on ne pouvait pas lui porter assistance. (…) Ils disaient à la police et à la gendarmerie "on va les tuer, ils n’ont rien à faire ici ". » Quatre plaintes pour violences ont été déposées.

Dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 novembre, un homme d’origine turque est également blessé par balle à Cambrai (Nord). Alors qu’il se trouve sur un trottoir, un coup de feu est tiré d’une voiture arborant un drapeau tricolore, rapporte le procureur de Cambrai. Le tireur s’est donné la mort la même nuit. Selon les premières auditions des deux autres occupants de la voiture, la cible a été choisie « en raison de son apparence civile ». « La victime semble avoir été choisie au hasard, parce qu’elle avait une couleur de peau qui ne convenait pas au tireur », a précisé le procureur. « Apparemment, ils étaient susceptibles de chercher d’autres victimes », a t-il ajouté. L’enquête a été confiée à la police judiciaire de Lille.

Ces hoax qui favorisent l’islamophobie

Comme le décrypte le site d’informations Contre-Attaque(s), de nombreux hoax, c’est à dire de fausses informations, circulent ces derniers jours contribuant à alimenter « l’islamophobie galopante » sur les réseaux sociaux [2]. Un tweet faisant état de cris de joie dans des banlieues parisiennes de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, et des « arabes à la fenêtre avec des drapeaux algériens », a ainsi été partagé par plus d’un millier de personnes. Il s’agissait d’une intox. Un autre tweet a fait mention de scènes de liesse à Gaza, suite à l’annonce des attentats, avec une photo censée l’illustrer. « Or, la photo utilisée datait en réalité de 2012, avait été prise par l’agence Reuters, et montrait des gazaouis célébrant la signature d’un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël », précise Contre-Attaque(s).

Les haines attisées par ces hoax ne se limitent pas à des propos racistes sur la toile mais se traduisent aussi par des agressions physiques. A Marseille, une jeune fille voilée de 18 ans a été blessée le 17 novembre vers 20h à la sortie du métro Castellane, dans le 6e arrondissement. « C’est à cause de vous ce qui est arrivé ! », lui aurait lancé l’individu, rapporte le journal La Provence faisant référence aux attentats de Paris. L’agresseur lui a asséné un coup de poing et l’a blessée légèrement au thorax avec un objet pouvant être un cutter, précise la Direction départementale de la sécurité publique.

Face aux actes racistes, des guirlandes de cœurs

Plusieurs lieux de culte musulmans ont par ailleurs été la cible de dégradations le week-end qui a suivi les attentats. Des croix réalisées à la peinture rouge ont été taguées sur la mosquée Sahaba, à Créteil en région parisienne, dans la nuit du 13 au 14 novembre. Ouverte il y a sept ans, c’est la première fois que ce lieu de culte est visé. A Pontarlier, en Franche-Comté, une croix gammée et des inscriptions – « la France aux Français » et « Libéré la Gaule » (sic) – ont été peintes sur la façade d’une mosquée. Du jambon et du lard ont aussi été déposés devant l’entrée du lieu de culte. « Ce qui s’est passé à Pontarlier, ce n’est pas grave comparé à ce qui s’est passé à Paris, a réagi le président de l’association cultuelle. Il ne faut pas ajouter de l’huile sur le feu comme le font certains politiques et faciliter la division ». Une plainte a été déposée.

A Oloron, dans les Pyrénées-Atlantiques, des tags d’extrême droite faisant référence à la LVF (Légion des volontaires français contre le bolchevisme, créée en 1941 par des partis collaborationnistes), ont été écrits sur une boucherie halal et la mosquée de la ville. Des pierres ont aussi été jetées contre la vitrine d’un kebab à Barentin, en Seine-Maritime, au soir du 13 novembre. La même nuit, dans l’Eure, la façade de la mairie d’Évreux a été recouverte de phrases racistes. À Louviers, en Normandie, de nombreux tags ont été découverts le samedi matin dans plusieurs rues de la ville. A l’étranger, plusieurs mosquées ont également été la cible d’actes de malveillance, selon le journal Le Monde. En revanche, les musulmans de Brest ont eu la surprise de découvrir une guirlande de cœurs déposée sur les grilles du lieu de culte. « Partage ton cœur » et « pas d’amalgame », pouvait-on lire. Un geste de fraternité qui fait écho au mouvement lancé en janvier, après les attentats contre Charlie Hebdo et un supermarché casher (notre article).

Messages de soutiens et vidéos pour prévenir tout amalgame

L’enseigne de prêt-à-porter espagnole Zara a annoncé, le 15 novembre, la mise à pied d’un vigile et d’une responsable de magasin dans les Yvelines qui ont refusé, la veille, l’accès d’un magasin à une cliente portant un voile [3]. La vidéo de la scène, publiée sur les réseaux sociaux, avait généré des appels au boycott de la marque. Par ailleurs, plusieurs témoignages de personnes musulmanes directement touchées ou ayant perdu un proche se sont fait entendre. C’est le cas d’Abdallah qui a perdu deux sœurs et cinq amis :« Ceux qui ont fait ça ne peuvent pas se revendiquer de la religion », soupire-t-il.

Le message de paix d’une septuagénaire, interviewée près du Bataclan, a également fait le tour de la toile : « Nous fraterniserons avec cinq millions de musulmans qui exercent leur religion librement et gentiment, et nous nous battrons contre les 10 000 barbares qui tuent, soi-disant au nom d’Allah ». Dès le lendemain des attentats, des réfugiés de Calais et Dunkerque, dont de nombreux Syriens et Kurdes irakiens se sont rassemblés en solidarité à Dunkerque. « Les attaques d’hier à Paris sont horribles… Ce n’est bien dans aucune religion. Ce n’est pas humain et les réfugiés de Calais sont particulièrement contre ces attentats parce que nous avons fait l’expérience de ce genre d’attaque dans notre pays, c’est la raison pour laquelle nous sommes ici. Ce dont nous avons besoin, c’est la paix, et nous pleurons pour les victimes, nous sommes avec elles », a écrit un réfugié afghan.

Les jeunes de l’association des Étudiants musulmans de France (EMF) ont également publié une vidéo le 15 novembre. Des plans fixes s’attardent sur ces jeunes tenant une pancarte noire marquée du hashtag #NousSommesUnis, avec un slam en fond sonore : « Et moi ? Je reste sans voix. (...) Verser le sang des innocents ne répond à aucune loi. Si eux ne l’ont pas compris, moi je ne les comprends pas. (...) Ils voulaient affaiblir la France, ils ont renforcé le cœur des Français, un cri se fera plus fort c’est celui de la fraternité, un pour tous et tous pour l’humanité, nous sommes et resterons unis à jamais ». Ce hashtag, initialement proposé par l’association inter-religieuse Coexister, a été largement repris, notamment par des universités. Dans les rues aussi, le débat s’instaure entre croyants et non-croyants pour sortir des incompréhensions, comme en témoigne cette vidéo où les échanges, courtois mais fermes, avec un imam sont bien plus instructifs que de nombreux débats télévisés. Face aux divisions et suspicions, des citoyens tentent, à leur échelle, de résister et de se parler.

@Sophie_Chapelle

Photo de Une : CC Bianca Dagheti