Justice ?

Délit de solidarité : un bénévole français encourt jusqu’à 15 ans de prison en Italie

Justice ?

par Félix Croft

Après la France, c’est au tour de la justice italienne de poursuivre un habitant des Alpes-Maritimes pour son aide apportée aux migrants. Félix Croft, 28 ans, doit comparaitre le 16 février au Tribunal d’Imperia en Italie. Il encourt jusqu’à 15 ans de prison pour avoir véhiculé bénévolement cinq membres d’une même famille, originaire du Darfour au Soudan, le 22 juillet 2016. Son action humanitaire tombe sous le coup d’un texte de loi prévu pour les passeurs qui se font payer. Basta! relaie le témoignage de Félix dans lequel il revient sur les raisons qui l’ont amenées à apporter son aide aux migrants. « J’assume entièrement mes actes à Vintimille », dit-il. Voici pourquoi.

Je viens d’une famille qui a migré dans son histoire, comme la plupart des êtres humains sur cette planète. Mon père est de nationalité américaine, d’origine écossaise ; ses aïeux fermiers ont émigré aux États-Unis au 18e siècle. Ma mère française est d’origine italienne, sa famille est venue en France au début du 20e siècle depuis le Piémont et la Toscane.

J’ai été élevé dans le respect de la mémoire de mes aïeux, des efforts qu’ils ont dû fournir pour construire une vie meilleure dans un pays qui n’était pas le leur. S’installer sur un territoire hostile à des milliers de kilomètres de l’Europe « civilisée » et devoir apprendre à vivre au contact de toutes ces cultures différentes ne devait pas être aisé. Tout aussi difficile que de débarquer dans le pays voisin avec une poignée d’argent et quelques meubles, fuyant un régime fascisant (Mussolini accède alors au pouvoir en Italie, ndlr) et une pauvreté grandissante.

Ils ont dû prouver par leur travail et leur intégrité qu’ils méritaient une place dans leur nouvelle société, supportant tant bien que mal les préjugés, voire l’hostilité, des populations déjà établies sur le territoire. Ne partant de rien, ils ont fini par s’établir et enrichir leur pays d’accueil, c’est le but de tout migrant.

Tout commence par un pique-nique de soutien

Par le biais d’amis à « Nuit Debout Nice » j’apprends qu’ils vont apporter de la nourriture aux migrants et réfugiés qui sont à Vintimille. C’est en discutant avec eux que j’apprends la situation révoltante dans laquelle se trouvaient des Sud-soudanais, des Érythréens, des Syriens et même des Afghans. Des pays qui sont en tête de liste des endroits les plus dangereux de la planète !

Le maire de Vintimille venait d’éditer un arrêté municipal interdisant à quiconque d’apporter un quelconque soutien logistique aux personnes cherchant refuge en Europe (nourriture, eau, vêtements, couvertures, enseignements ou soins). La décision fût donc prise en coordination avec plusieurs associations françaises d’aller organiser un pique-nique de soutien avec les réfugiés pour réfléchir ensemble aux problèmes et aux solutions envisageables. Cette journée m’a permis d’appréhender une situation alarmante au sein-même du lieu de vie pourtant si idyllique que sont nos magnifiques côtes et nos montagnes.

Par la suite j’ai commencé à me déplacer quand je le pouvais à quelques kilomètres de chez moi pour aider les associations qui ont mis en place des centres d’accueil de fortune dans les églises de Vintimille. Église Catholique que je tiens à saluer ici, n’étant moi-même d’aucune confession, pour sa mobilisation sous l’impulsion du Pape François et sa défense inconditionnelle du droit d’asile et des droits fondamentaux de tout être humain.

Climat xénophobe

J’ai observé des associations non-gouvernementales et des instances religieuses qui se sont senties le devoir de déployer une aide d’urgence dans nos pays dits « riches ». Cette urgence qui n’en est plus une puisque la situation stagne depuis des mois et empire même depuis que la France a décidé de fermer ses frontières en mars 2016. La France (comme tant d’autres pays de l’Union) déroge à ses engagements vis-à-vis des accords européens d’accueil des réfugiés signés en septembre 2015. Elle semble suivre ainsi la ligne de conduite protectionniste de certains pays d’Europe de l’Est notamment la Hongrie. C’est une attitude dangereuse à mes yeux, qui attise la peur et provoque le rejet de l’autre, créant par là un climat xénophobe.

En mai 2016 je me suis rendu à Grande-Synthe, près de Dunkerque dans le nord de la France avec une amie parisienne pour être bénévole dans le camp de réfugiés de l’association Utopia 56. C’est là que j’ai appris la différence entre « migrant » et « réfugié ». Ce dernier, selon la définition de l’article 1(A)(2) de la Convention de Genève, est une personne « qui craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) ».

Quand le migrant cherche à améliorer son avenir et celui de ses enfants ou à fuir un changement politique à venir, le réfugié a quitté contre son gré une situation parfois très confortable pour sauver sa vie et celle de sa famille, s’il lui en restait une.

« Tous n’avaient qu’un seul but : trouver un sol hospitalier »

A Grande-Synthe le camp était composé à 90 % de réfugiés kurdes venant des quatre différents pays qui divisent le Kurdistan : l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie. Ils parlaient quatre langues différentes mais partageaient les mêmes cuisines, le même préau, la même tente à thé et les mêmes incertitudes. Toutes les classes sociales s’y trouvaient représentées, du médecin au fermier, les mécaniciens, les infirmiers… Tous avaient des histoires différentes mais un fil conducteur les reliait : la violence, la mort et la perte d’êtres chers. Et tous n’avaient qu’un seul but : trouver un sol hospitalier où s’installer pour panser les blessures de leur corps et de leur âme et reconstruire leur vie perdue en espérant, mais sans trop y croire, un jour retourner dans leur pays d’origine pour le reconstruire lui aussi.

Pendant l’été, je me rendais quand je le pouvais au camp dit « informel » de la Croix Rouge italienne à Vintimille, c’était somme toute un quai de gare désaffecté accolé au camp officiel très largement débordé par le millier de réfugiés qui transitaient en permanence sur la frontière. Je dis bien « en transit » et non pas « bloqués », car si j’ai appris quelque chose à Dunkerque c’est que là où il y a du désespoir il y a des gens pour en tirer profit. Les réseaux criminels organisent depuis déjà longtemps le passage de la frontière, les tarifs varient entre 100 et 150 euros (à l’époque) et les victimes sont parfois abandonnées sur l’autoroute, voire même un peu plus loin dans Vintimille !

Certains soudanais parlent couramment l’anglais et j’engageais la conversation avec eux, les classiques… « D’où viens-tu ? » « Où vas-tu ? » « Pourquoi ? Tu as de la famille là-bas ? »

Parfois on aborde des sujets moins classiques : « Tu as perdu quelqu’un ? » « Ton voyage a duré longtemps ? » « Comment tu as fait ? »

Des dizaines d’histoires, toutes différentes mais tellement similaires dans les épreuves parcourues. Depuis la fuite d’un pays en guerre ou d’une dictature meurtrière, le danger et la fatigue de la route en essayant de ne pas tomber dans les griffes des réseaux de traite, sans oublier les trop funestes traversées de la Méditerranée. Ou encore les traitements inhumains subis en Libye où ils sont exploités ou torturés, en Turquie où on les enferme dans des camps où ils servent de moyen de pression politique et économique sur l’Europe… Jusqu’à une attente interminable devant les frontières d’un pays qui a de tout temps défendu le droit d’asile.

« Il ne m’apparait qu’une chose à faire »

Le 22 juillet, en discutant avec les réfugiés et les bénévoles au camp informel, j’apprends l’existence d’une famille de 5 soudanais qui vivent dans une église et qui ne viennent pas jusqu’au camp. Avec ma copine nous décidons d’aller voir si on peut leur apporter quoi que ce soit. Arrivés à la petite église nous rencontrons trois jeunes gens d’environ 20-25 ans dont un couple avec deux enfants de 5 et 2 ans, tous originaires du Sud-Soudan, une région appelée le Darfour. La mère qui parle particulièrement bien anglais raconte à ma copine (qui vient là en tant que psychologue) leur histoire violente et marquante, comme j’en ai déjà trop entendues et dont vous me permettrez d’en taire les détails sordides.

Ils étaient incapables de marcher avec leurs enfants sur l’autoroute où ils risquent la mort à chaque minute. Sur la voie ferrée, les piétons sont souvent pourchassés par les brigades cynophiles de la Police aux frontières. Ils n’avaient absolument pas l’argent pour payer les passeurs afin de retrouver des parents en Allemagne. Pour des raisons évidentes de confort, les personnes qui voyagent à pied ou en train préfèrent passer par la France plutôt que par la Suisse… À plusieurs reprises, la femme me demande de les emmener avec moi et quand elle me montre les blessures de son petit de 5 ans (brûlé sur tout le flan droit par l’incendie de sa cabane lors du massacre dans leur village) il ne m’apparait qu’une chose à faire.

Jugé « comme ceux-là même qui s’enrichissent sur la misère »

La suite on a pu la lire dans les journaux italiens ou sur la toile, je me suis fait arrêter au péage de l’autoroute, les « migrants » ont été récupérés par la Caritas (le Secours catholique italien) et le procureur italien a décidé de me juger comme ceux-là même qui s’enrichissent sur la misère… Après trois jours de prison, le juge a décidé de ma mise en liberté provisoire en attendant l’audience au 16 février.

D’après la loi italienne en vigueur, j’encours entre 5 et 15 ans de prison et 15 000 euros d’amende par personne transportée… Sous prétexte qu’ils étaient 5 et qu’il y avait deux Opinels dans la voiture (et un morceau de Lonzo Corse...). Ces deux faits comptent comme des circonstances aggravantes, au même titre dans la loi italienne que de transporter des personnes au péril de leurs vies ou dans des conditions inhumaines.

Rien n’a changé depuis à Vintimille, ça a même empiré ! La police organise de véritables rafles dans les rues et achemine des centaines de réfugiés dans les Centres d’identification et expulsion (CIE) au Sud du pays, 2 à 3 bus pleins chaque jour !

J’assume entièrement mes actes à Vintimille, avec la certitude d’agir dans le cadre d’une des plus anciennes conventions internationales encore en vigueur :

Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : :
 Article 13 : 1) Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. 2) Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
 Article 14 : 1) Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays.

Je m’appuie également sur quelque chose de moins juridique, une conviction personnelle. La conviction que l’Europe est à nouveau à l’aube d’une période clé de son histoire et les répercussions de la façon qu’elle aura de gérer l’afflux de ces migrants et réfugiés seront, quoi qu’il arrive, très importantes. La « crise migratoire » qui dure depuis 2015 est la plus importante que l’Union européenne ait connue depuis sa création, il est évident que les solutions sont à créer et je crois que mon devoir en tant que citoyen est d’apporter une aide et un soutien à ceux qui attendent que l’on décide en hauts-lieux d’une issue favorable à cette crise.

Félix Croft

Ce témoignage a été publié le 29 janvier 2017 sur le site de l’association Citoyens solidaires 06

Photo de une : affiche utilisée pour le procès de Cédric Herrou / source

En savoir plus sur la page facebook mise en place par le comité de soutien de Félix Croft.

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