Covid-19

Centres de rétention et prisons : la France reproduit la passivité italienne

Covid-19

par Olivier Favier

Dans les prisons françaises en surpopulation constante, l’irruption du coronavirus aggrave une situation sanitaire parfois déjà désastreuse. Comme depuis un mois et demi, le gouvernement tarde à agir, mettant en danger personnel pénitentiaire et détenus.

Le premier malade européen du coronavirus n’ayant jamais voyagé en Chine meurt le 21 février dernier. Il est Italien et le gouvernement à Rome prend les décisions avec retard. Les spécialistes ne tardent pas à remarquer que la situation sanitaire française suit avec huit jours de décalage sa voisine cisalpine. Son gouvernement ne semble pourtant tirer aucune leçon des conséquences désastreuses de toute indécision. Le faible intérêt porté aux lieux de privation de liberté est sur ce plan tristement exemplaire.

Dans la prison italienne de Modène (Émilie-Romagne), le 8 mars, la révolte a fait neuf morts. Trois détenus ont été retrouvés sans vie le dimanche soir, les autres sont morts le lendemain, pour la plupart pendant ou après leur transfert dans d’autres prisons. Tous seraient des personnes toxico-dépendantes qui ont pris d’assaut la pharmacie et absorbé des doses létales de méthadone. En tout, dix-huit patients ont été traités, en grande partie pour intoxication. À l’origine de cette tragédie, il y a l’annonce d’une limitation des visites à des échanges par téléphone ou applications vidéos.

Dans les prisons italiennes surpeuplées, des libérations sont nécessaires

L’émeute a été accompagnée d’une tentative d’évasion collective et coordonnée. 50 détenus sont parvenus jusqu’à la dernière grille de la prison, des tirs de sommation ont été effectués, plusieurs fonctionnaires pénitentiaires ont été légèrement blessés. À Rieti, en Toscane, des événements semblables ont conduit à la mort de quatre autres détenus, toujours par overdose, si l’on en croit les communiqués officiels. Avec l’urgence sanitaire, les autopsies ont été reportées, mais elles devraient permettre d’établir définitivement les causes de ces décès, dont certains ont pu être provoqués par les mauvaises conditions de transfert de personnes plongées dans des états critiques.

Les premiers détenus testés positifs sont apparus en Lombardie le 17 mars dans plusieurs prisons italiennes. À Foggia, dans le sud, 72 détenus sont parvenus à s’évader, parmi eux un homme condamné pour meurtre et plusieurs détenus liés à la mafia locale. La plupart ont été arrêtés ou se sont rendus depuis. Cette suite d’événements anormaux a pour mérite de placer au centre du débat médiatique la situation de personnes invisibles et fragiles, les prisonniers et les personnes placées en centres de rétention. Lors de tous ces affrontements, plusieurs dizaines de surveillants ont par ailleurs été blessés.

Pour Claudio Paterniti, sociologue et membre de l’observatoire nationale d’Antigone, une association œuvrant pour les droits et les garanties dans le système pénal, ces incidents sont surtout révélateurs d’une situation très dégradée. Bien sûr, le calme est revenu apparemment dans les prisons italiennes. Un récent décret permet d’assouplir les conditions pour que les détenus condamnés à des peines inférieures à 18 mois puissent effectuer leurs peines sous la forme d’une assignation à résidence, comme la loi le prévoit déjà, mais au prix de lourdes démarches.

L’assignation à résidence, une mesure alternative encore peu utilisée

Malgré cet allégement de la procédure, cela ne devrait libérer dans l’immédiat que 3000 places. Or la surpopulation carcérale concerne environ 14 000 prisonniers sur les 60 000 qui sont aujourd’hui incarcérés. Pour éviter de multiplier les risques de contamination, pour Claudio Paterniti, ce seraient au minimum 10 000 places qu’il faudrait libérer en urgence.

En Italie, la surpopulation atteint des proportions alarmantes déjà à l’ordinaire, pour les détenus en attente de jugement. La mise en place de mesures alternatives, comme l’assignation à résidence, n’est pas toujours privilégiée, et le changement régulier des prisonniers dans des cellules surpeuplées est un véritable non-sens dans la situation actuelle. Claudio Paterniti s’étonne à ce propos du manque de réaction du ministère, qui laisse les juges agir au cas par cas dans ce qui relève désormais du simple bon sens.

Un premier mort lié au Covid-19 à Fresnes

Alors que la situation française, dans le développement de l’épidémie de coronavirus et des mesures prises par l’État pour l’éradiquer, suit assez fidèlement l’évolution italienne, les mêmes questions se posent, avec la même urgence. En France comme en Italie, pour les personnes privées de la liberté, sécurité rime souvent avec coercition. Des premiers incidents ont eu lieu à Grasse le 17 mars après l’annonce de la suspension des parloirs pour quinze jours. Le jour-même et le lendemain, des mouvements de détenus ont été rapportés un peu partout en France. Parallèlement, transferts administratifs (sauf mesures d’ordre et de sécurité) et extractions judiciaires ont été suspendues. Toutes les activités, à l’exception du sport et des promenades en groupes restreints, ont été supprimées elles aussi.

Au début de la contestation, un seul détenu a été reconnu atteint par le coronavirus : un homme de 74 ans, détenu à Fresnes, décédé le 17 mars. Comme beaucoup de victimes, le prisonnier souffrait d’une autre maladie, en l’occurrence un diabète. Dans l’établissement, deux infirmières et la directrice des ressources humaines ont été testées positives. Selon le syndicat Force Ouvrière, une surveillante serait aussi atteinte. Si le prisonnier, arrivé récemment, n’avait jamais eu de codétenus, sa maladie a entraîné le confinement de la centaine de personnes incarcérées qui avaient eu des contacts avec lui.

« Le gel hydro-alcoolique leur est refusé, l’alcool étant interdit en détention »

Selon un bilan du ministère de la Justice du lundi 23 mars, le nombre de cas parmi les prisonniers s’élèverait à cinq, sans qu’il ait été donné plus de précisions, après les nouveaux incidents qui ont éclaté dans de nombreux établissements ce week-end. La direction de l’administration pénitentiaire a promis une « réponse ferme ». Elle a précisé aussi que « les détenus qui participent à des mouvement collectifs ne bénéficieront pas des dispositifs exceptionnels » de libération anticipée ou conditionnelle. Neuf détenus ont été placés en garde à vue.

Avec 70 000 détenus, la surpopulation carcérale chronique existe aussi en France, avec un taux d’occupation des prisons de 116 % en moyenne, qui peut s’élever localement à 200 % pour certaines maisons d’arrêt, où se rassemblent les courtes peines et les détentions provisoires. Parmi elles, évidemment, on trouve une proportion notable de personnes nouvellement arrivées. « À la promiscuité en cellule, rappelle un communiqué du 18 mars publié sur le site de l’Observatoire international des prisons et rédigé par un collectif de syndicats et d’associations, s’ajoute la multiplication des contacts à l’occasion des promenades ou des douches collectives. Malgré cela, les détenus n’ont pas le droit de porter des masques ; ils n’ont, pour la plupart, pas de gants ; le gel hydro-alcoolique leur est refusé, l’alcool étant interdit en détention. »

Les mesures au niveau national sont sans commune mesure avec l’urgence de la situation. Depuis ce 23 mars, chaque détenu peut bénéficier d’un crédit de 40 euros par mois sur son compte téléphonique. Les proches pourront aussi leur laisser des messages vocaux via un serveur. Aucune consigne de l’État n’a été donnée en revanche pour essayer d’alléger rapidement les effectifs, malgré un communiqué du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en date du 17 mars.

Vers la libération anticipée de 5000 détenus

« Pour l’instant, les initiatives sont menées au cas par cas par certains juges d’application des peines ou des juges d’instruction », note Anne-Sophie Wallach, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, qui déplore l’absence de toute réaction d’envergure et rappelle que l’état de santé des détenus est souvent fragile.

Le décès du premier détenu déclaré malade du coronavirus est un indicateur parmi d’autres. Dans son communiqué du 19 mars, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a toutefois demandé aux juridictions de différer l’application des peines inférieures à un an à l’exception de celles concernant les violences conjugales. La consigne a été suivie à la maison d’arrêt de Nîmes, par exemple, où le taux d’occupation est de 200 %.

Nicole Belloubet a par ailleurs annoncé le 23 mars la libération de 5000 détenus, notamment par la libération anticipée des détenus en fin de peine - reliquats de peine inférieurs à deux mois. Un autre levier serait de libérer sous contrainte les détenus condamnés à des peines de moins de cinq ans en ayant déjà accompli les deux tiers. Les bracelets électroniques étant suspendus durant l’épidémie, il s’agirait de libérations conditionnelles.

Pour une suspension totale de la rétention administrative et des expulsions

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté « recommande de procéder sans délai à la fermeture temporaire des centres et locaux de rétention administrative » [1]. Ces dispositifs servent à maintenir en rétention les étrangers faisant l’objet d’une mesure d’expulsion durant le temps strictement nécessaire à leur départ, ce qui dans un contexte de réduction drastique des vols internationaux apparaît dépourvu de sens.

Le 14 mars, une grève de la faim est lancée au centre de rétention administrative de Lille-Sequin à l’annonce d’un premier cas de coronavirus. Les détenus se plaignent de n’avoir que du savon quand les policiers ont des masques, des gants, du gel. La personne infectée est placée à l’isolement, avant d’être évacuée en ambulance. Il faut attendre une semaine pour que l’évacuation totale des lieux soit effective. En Haute-Garonne aussi, c’est « l’absence de perspective d’éloignement » qui motive la libération par le juge de la liberté et de la détention de personnes au CRA de Cornebarrieu, près de Toulouse.

Les expulsions vers d’autres pays continuent malgré le virus !

À Hendaye, le CRA a fermé mais le juge refuse la remise en liberté des personnes retenues. Certaines sont transférées au CRA de Bordeaux, où selon Julie Aufaure, intervenante juridique à La Cimade, « le ménage n’est pas fait depuis lundi (…) et les gestes barrière ne peuvent être appliqués ». Il est à noter que, depuis le 16 mars, les équipes de la Cimade n’interviennent plus en centre de rétention administrative. Pour l’instant, la Préfecture de police de Paris a proposé une prolongation de trois mois pour les titres de séjour arrivant à expiration durant la période de suspension des activités administratives, à compter du 16 mars.

La mesure est applicable sur le territoire national et la loi d’« état d’urgence sanitaire » adoptée dimanche par le Parlement prévoit d’étendre la mesure à six mois. L’urgence sanitaire concrète, quant à elle, reste à la discrétion des autorités locales. Le 22 mars, il demeurait encore 339 personnes en rétention sur une capacité totale de 1900. Les expulsions ne se sont pas arrêtées, et ont concerné pas moins de huit pays de destination dans la semaine du 16 au 22 mars.

Olivier Favier

Photo : CC Erik via flickr.