Santé

La Covid mal reconnue en maladie professionnelle pour les soignants : « Un raz-de-marée de mépris »

Santé

par Rozenn Le Carboulec

Le décret permettant la reconnaissance automatique de la Covid-19 en maladie professionnelle pour les soignants a été publié le 14 septembre. Jugé très restrictif par la majorité des syndicats, il écarte une grande partie du personnel médical.

C’est un décret que les professionnels de santé attendaient depuis de nombreuses semaines. Paru au Journal officiel du 14 septembre, celui-ci établit enfin la reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle pour les soignants [1]. Mais à des conditions très restrictives. Ne sont ainsi prises en compte que les « affections respiratoires aiguës causées par une infection au SARS-CoV2, (…) et ayant nécessité une oxygénothérapie ou toute autre forme d’assistance ventilatoire, attestée par des comptes rendus médicaux, ou ayant entraîné le décès ». Bref, seuls les formes très sévères de la maladie sont prises en compte.

« Un positionnement immonde », pour Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), qui se dit extrêmement « choqué ». Isabelle Godard, secrétaire générale de l’union syndicale départementale santé et action sociale de la CGT abonde : « On ne peut qu’être en colère. Ce n’est même plus la goutte de trop mais un raz-de-marée de mépris. On a été applaudis à 20 heures, on est allés travailler en se mettant en danger avec du matériel insuffisant… Le monde d’après est pire que le monde d’avant. »

« On prend ça comme une trahison »

Surtout, ce décret semble bien loin de la promesse initiale du gouvernement. « On n’est pas du tout sur ce qui avait été annoncé en mars, on prend ça comme une trahison », s’énerve également Yves Morice, représentant Sud santé sociaux.

Le 23 mars, le ministre de la Santé, Olivier Véran, promettait ainsi solennellement : « Pour tous ces soignants qui tombent malades, je le dis, le coronavirus sera systématiquement et automatiquement reconnu comme une maladie professionnelle. » Et d’insister : « C’est la moindre des choses. Et il n’y a aucun débat là-dessus comme il n’y aura jamais aucun débat dès lors que les mesures annoncées iront dans le sens de la plus grande protection possible de ceux qui, sur le terrain aujourd’hui, rappellent que notre société ne peut se passer d’eux. »

Le 30 juin, le ministère du Travail précisait toutefois dans un communiqué de presse que cela ne concernerait que « les soignants atteints de la Covid-19 dans sa forme sévère ». Et il aura fallu attendre le 14 septembre pour en avoir la confirmation par décret. « Le fait qu’il ne sorte pas pouvait laisser présager d’une modification substantielle, mais ce décret très limitatif n’est pas à la hauteur des enjeux. C’est une absence de reconnaissance de l’engagement des personnels de santé. Pour tous ceux qui ont été malades mais qui n’ont pas été intubés, ça va être le parcours du combattant », déplore Serge Legagnoa, secrétaire confédéral FO.

Un immense mépris qui suscite la colère

Parmi ces soignant.e.s, Christelle [2], infirmière dans un service d’urgence du Var, qui a eu le Covid-19 pendant la période du confinement, comme plusieurs autres de ses collègues. « On a eu quasiment tous deux-trois semaines d’arrêt, moi j’ai eu de la fièvre pendant deux semaines avec un fort essoufflement et d’importantes céphalées, et on ne reconnaît pas notre pathologie parce qu’on n’a pas été sous oxygène ? C’est franchement dégueulasse », s’indigne-t-elle.

François, ambulancier au CHU de Rouen, ne décolère pas non plus. Pour lui, qui a contracté la maladie en mars, les « formes sévères » ne doivent pas s’arrêter à l’oxygénothérapie. « Je peux vous dire que c’est loin d’être un rhume des foins. Six mois après, j’ai encore des séquelles dans ma vie de tous les jours : des problèmes pulmonaires, intestinaux et toujours une énorme fatigue. » Malgré cela, ni François ni Christelle ne bénéficieront de la reconnaissance automatique en maladie professionnelle, permettant un remboursement intégral des frais médicaux par l’assurance maladie, ainsi que de meilleures indemnités journalières [3] et de potentielles indemnités complémentaires versées par l’employeur.

« On attend toujours les fameux 90 euros d’augmentation »

Pour tenter d’obtenir une reconnaissance de la Covid-19 en maladie professionnelle, ils devront, comme tous les autres travailleurs en première ligne pendant la crise non pris en compte dans ces nouveaux tableaux, saisir « un comité de reconnaissance des maladies professionnelles unique ». Soit un parcours beaucoup plus fastidieux à l’issue plus qu’incertaine. Et alors même qu’une autre promesse se fait, elle aussi, désirer : « On attend toujours les fameux 90 euros d’augmentation », ajoute François, faisant référence aux revalorisation salariales annoncées lors du Ségur de la santé, le décret associé n’ayant pas encore été publié.

Loin d’être anecdotique, cet énième effet d’annonce se fait d’ores et déjà ressentir dans les services de santé. « Beaucoup de personnes cherchent à travailler ailleurs, il y a un gros "turnover" en réanimation. On se dit qu’on va droit dans le mur, on a peur », alerte Christelle. Alors que le SNPI, la CGT comme FO mettent en garde sur des demandes de démissions et de ruptures conventionnelles à la chaîne dans les hôpitaux, plusieurs organisations syndicales de soignants participaient à la nou­velle jour­née de grève et de mani­fes­ta­tion ce 17 septembre.

Rozenn Le Carboulec

En photo : manifestation de soignants en juin 2020, après le déconfinement / © Anne Paq

Notes

[2Son prénom a été modifié.

[360 % du salaire journalier de référence entre le 1er et le 28e jour d’arrêt, 80 % à partir du 29e jour d’arrêt, source.