Bétonnage

Construire un centre commercial en zone inondable : c’est possible en France en 2019

Bétonnage

par Sophie Chapelle

Un centre commercial en chantier dans des parcelles pourtant classées inconstructibles en raison du risque d’inondation. L’affaire suscite la colère des associations environnementales locales à Alès, dans le Gard [1]. Voilà bientôt dix ans qu’elles se battent contre ce projet – 7000 m2 de bâtiments – situé en bordure de la rivière du Gardon, à l’entrée de la ville d’Alès.

L’histoire débute en novembre 2010, avec un décret approuvant le plan de prévention des risques d’inondation du Gardon d’Alès à l’initiative du préfet du Gard. Ce plan, dit « PPRI », identifie les zones pouvant subir des inondations et propose des ajustements techniques, juridiques et humains pour y faire face. La zone où s’érige aujourd’hui le centre commercial est alors classée en « aléa fort », ce qui la rend inconstructible.

Photo du chantier prise le 11 mars 2019.

Huit ans pour faire valider le plan de prévention des risques d’inondation

Ce décret n’est pas du goût de la commune d’Alès (à majorité LR) [2] ni du promoteur du centre commercial qui lorgne sur ces parcelles depuis une quinzaine d’années, malgré un premier avis négatif. Au total, sept recours vont être déposés contre le plan de prévention des inondations. En novembre 2012, le tribunal administratif de Nîmes annule partiellement le PPRI. Les parcelles concernées par le projet de centre commercial passent alors d’ « aléa fort » en « aléa modéré ». Le secteur devient constructible, sous conditions.

Le ministère de l’Écologie fait appel mais est débouté par la Cour d’appel de Lyon en septembre 2014. Il faut attendre un arrêt du Conseil d’État, puis un nouveau jugement de la Cour d’appel de Lyon en juin 2017 pour que le plan de prévention soit finalement jugé valable. En juin 2018, le Conseil d’État met un point final à ce feuilleton en rejetant le pourvoi du promoteur. « Ce projet de centre commercial se situe clairement dans le zonage inconstructible », résume Rémy Coulet de l’association Saint Hilaire Durable.

Un permis de construire accordé par la mairie en dépit du risque

Comment se fait-il que le promoteur – Claude Dhombre et sa société Foncière de France – poursuive les travaux du centre commercial ? Ce dernier a profité de la période de contestation du plan de prévention devant la justice administrative pour déposer un permis de construire auprès de la mairie d’Alès. Le maire Max Roustan (Les Républicains) le lui délivre en 2014. Alors que le promoteur n’a pas commencé ses travaux, il obtient même, en novembre 2017, la prorogation de son permis de construire, en dépit du jugement de la Cour d’appel de Lyon qui a rétabli l’interdiction de construire sur cette zone. Interrogé en octobre 2018, le sous-préfet d’Alès, Jean Rampon, fait valoir que les permis de construire et d’aménager sont bien « légaux », mais que des « contraintes » existent. « J’ai demandé qu’on m’apporte la preuve que le risque inondation a bien été pris en compte. Nous apprécierons ensuite la situation. » [3]

Fin 2018, le préfet du Gard prend successivement deux arrêtés qui exigent des aménagements spécifiques. « Le promoteur doit notamment prouver par une "modélisation hydraulique" que son projet ne risque pas de se retrouver sous les eaux, explique Rémy Coulet. C’est une étude qui doit définir les cotes de submersion en fonction d’éléments météorologiques exceptionnels. Si le Conseil d’État a validé le plan de prévention des risques inondation, c’est notamment en raison du risque de rupture des digues. » Selon les opposants, « à moins de bâtir sur pilotis parking et bâtiments, ce qui représenterait un coût astronomique, il n’y a pas de solution pour rendre ce projet non inondable ».

Silence du ministère de la Transition écologique

En avril 2019, un nouvel arrêté met en demeure le promoteur de respecter les prescriptions, sous peine de sanctions administratives et pénales. Sans succès, puisque les travaux se poursuivent à l’heure où nous écrivons ces lignes. Qu’en dit le ministre de la Transition écologique et solidaire ? François de Rugy était en visite le 25 mars à Nîmes pour découvrir le dispositif « Vigicrue ». Il a notamment déclaré que « s’il y a des endroits où il est beaucoup trop dangereux d’habiter ou de construire un commerce ou de construire une entreprise, et bien dans ces cas là, il faut être capable de dire en effet que l’on va démolir certaines constructions et ne plus construire à tel ou tel endroit ». Les associations mobilisées sur le sujet lui ont envoyé un courrier resté pour l’heure sans réponse.

La ville d’Alès a déjà été frappée à plusieurs reprises par des crues. Rémy Coulet évoque notamment de graves inondations en 2002 et une année 2014 marquée par plusieurs épisodes cévenols. Sur place, les associations continuent de se mobiliser. Elles demandent notamment au préfet d’exercer ses « pouvoirs de police », de faire cesser « immédiatement les travaux de construction » et « d’ordonner des astreintes financières » ainsi que « la mise sous scellés du chantier ». Une pétition est en ligne pour l’arrêt de cette construction et la remise en état des lieux.

Sophie Chapelle

 Photos transmises par St Hilaire Durable. La photo de Une a été prise le 25 février 2019.

A lire sur le sujet : Urbanisation, changement climatique et appauvrissement des sols : le cocktail qui favorise les inondations

Notes

[1Les associations Sauvegarde de l’identité de la Prairie et St Hilaire Durable se mobilisent notamment contre ce centre commercial dit de la « Porte Sud ».

[2Dans un article du 1er juin 2018 publié dans Midi Libre, Christophe Rivenq, le directeur de cabinet du maire d’Alès, déclare : « les PPRI sont importants et nécessaires. Nous avions une différence d’interprétation avec l’État en ce sens où il va loin en zone urbaine. (...) Il aurait pu y avoir des différences entre des zones d’aléas forts, où on ne peut rien faire, et des zones d’aléas modérés, où on peut installer de l’activité et l’évacuer en cas d’alerte orange. »

[3Midi Libre, 17 octobre 2018.