Saint-Etienne

Comment éviter l’euthanasie de l’hôpital public

Saint-Etienne

par Olivier Vilain

Les hôpitaux vont souffrir du nouveau tour de vis et de leur mise sous tutelle par l’Etat que promet le projet de loi Bachelot. A Saint-Etienne, élus et syndicats s’organisent pour protéger leur CHU, garant du service public de soins, face aux appétits du privé. Objectif : que l’hôpital ne soit pas obligé, comme les cliniques privées, de sélectionner les malades les moins coûteux par souci de rentabilité.

« S’il faut faire comme dans les universités pour faire reculer le gouvernement , on le fera ! », tonne Jean-Claude Bertrand, médecin-chef du service des urgences et adjoint au maire socialiste de la ville. Des banderoles à perte de vue. Mobilisés depuis des mois, les professions de santé ont contribué au succès du 1er Mai à Saint-Etienne. Si tous les syndicats sont présents, aux côtés de diverses associations et des partis de gauche, les militants de la CGT forment à eux seuls la moitié du cortège dans cette ville à forte tradition ouvrière. Le défilé y a réuni entre 6.000 et 11.000 manifestants entre la Bourse du travail, située Cours Victor Hugo, jusqu’au square qui relie l’arrière de la mairie à la préfecture et à la cathédrale et que tous ici appellent la « Place Jean Jaurès ».

« Il y a au moins autant de monde que le 19 mars », se réjouit Jean-Pierre Laroche, kinésithérapeute et responsable de la CGT. Il a défilé derrière une bannière appelant à la défense du CHU. Un enjeu de taille pour les 180.000 habitants de Saint-Etienne après les nombreuses fermeture d’usines de ces dernières décennies. Autrefois puissante, l’entreprise de mécanique Berthier est réduite à l’état de friche industrielle. Aucun bruit n’anime plus ses ateliers dont les toits en dents de scie lézardent les nombreuses tours d’habitat social, construites à l’arrière-plan.

Premier employeur de la ville

Après la fermeture des usines Giat Industrie, le CHU stéphanois est devenu le premier employeur de la ville avec ses 6.700 salariés et ses 2.000 lits. Il fait parti des CHU dans la ligne de mire en raison de son déséquilibre budgétaire. La future loi Bachelot continue de sous-estimer le financement des hôpitaux publics. Avant la mise en place de la tarification à l’acte en 2004, le fonctionnement des CHU était assuré par un financement global. Désormais, leur budget dépend principalement de leur activité. Seul problème, les tarifs en vigueur ne couvrent pas les coûts réels des interventions.

Résultat, les CHU cumulent 800 million d’euros de déficits, dont 32 millions pour le seul CHU de Saint-Etienne, ce qui en fait l’un des plus dans le rouge. Pour combattre les déficits ainsi créés, le gouvernement diminue les capacités d’accueil en fermant des structures ou en supprimant des lits. Sauf que, « le regroupement de services sur le CHU a généré 280 millions d’euros de travaux et 7,3 millions de frais financiers annuels », souligne Michel Coynel, premier adjoint au maire et ancien vice-président de la CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie) de la ville pour le compte de la CFDT.

Sélectionner les malades qui coûtent le moins cher

Ces fermetures accélèrent la mise en place d’un système de soins à deux vitesses. Chaque service doit être rentable. « Loin de répondre aux besoins de la population, cette logique financière nous poussera à sélectionner les malades qui coûtent le moins cher, comme le fait le privé », analyse Paul Bouilhol, infirmier et cadre de FO. De même, les suppressions de services et d’hôpitaux de proximité se multiplient. « Nous accueillons au CHU des patients de l’Ardèche et de Haute-Loire qui doivent faire deux heures de routes depuis la fermeture d’unités à Roanne et au Puy-en-Velay », s’alarme Daniel Costa, infirmier en psychiatrie et élu CGT au CHU.

Autre source d’économie, les suppressions de postes. « Je ne peux (...) pas laisser dire que, globalement, dans le système de santé (...), on diminue les emplois. Bien au contraire, on en crée », s’est énervée la ministre de la Santé devant les députés, le 28 avril. Pourtant, la Fédération Hospitalière de France calcule, très prudemment, à 20.000 le nombre de postes menacés si tous les CHU exécutent les plans d’économies qui leur sont imposés par leur autorité de tutelle. A Saint-Etienne, 400 sont menacé selon les élus ; plus de 500 selon les syndicats.

Concurrence déloyale

Pour piloter en direct la gestion des hôpitaux, le projet de loi Bachelot prévoit la création des Agences Régionales de Santé, dont le responsable est nommé en Conseil des ministres, ainsi que la suppression de la représentation des élus et des syndicats au conseil d’administration des CHU. « Où est la démocratie ? », s’interroge Michel Vincent, le maire socialiste de la ville. Il s’était opposé au plan de rigueur imposé à son CHU en tant que président de son conseil d’administration.

Ce démantèlement programmé de l’hôpital public prépare des lendemains qui chantent pour le secteur privé. A Saint-Etienne, l’Etat a autorisé en 2004 l’implantation du Centre Hospitalier Privé de la Loire, qui sélectionne les patients en fonction de leurs pathologies. L’hôpital public se doit au contraire de soigner tous les citoyens, même lorsque les soins sont les plus coûteux. C’est-à-dire lorsqu’ils sont âgés, qu’ils souffrent de plusieurs maladies et que le temps de prise en charge est élevé. « Avec le projet Bachelot, comment voulez-vous que l’hôpital public puisse rivaliser ? », dénonce Régis Juanico, député PS de la circonscription.

Olivier Vilain

Photo : © Gael Kerbaol / Fedephoto.com