Nations-Unies

Climat : les leçons de la conférence de Varsovie avant d’aborder celle de Paris

Nations-Unies

par Geneviève Azam, Maxime Combes, Nicolas Haeringer

Des pays qui revoient leurs objectifs de réduction d’émissions de CO2 à la baisse, un Fonds vert pour le climat toujours vide, des mouvements sociaux qui quittent les négociations quand l’industrie des énergies fossiles y conserve sa mainmise… La 19e conférence sur le climat qui s’est achevée fin novembre à Varsovie, en Pologne, a tout d’une caricature. Seule certitude : la France accueillera la conférence de l’Onu sur le climat en 2015. Dans cette tribune, des membres d’Attac France recommandent au gouvernement quelques pistes pour se libérer du poids des intérêts privés.

Le 21 novembre, la France a été officiellement désignée comme pays hôte de la conférence de l’Onu sur le climat de 2015. En septembre dernier, le gouvernement annonçait vouloir aboutir à « un accord applicable à tous, juridiquement contraignant et ambitieux, c’est-à-dire permettant de respecter la limite des 2°C ». À l’issue de la conférence de Varsovie (Pologne), dix-neuvième du nom, qui fut l’une des conférences de l’Onu les plus caricaturales de ces vingt dernières années, on en est loin. Très loin.

« Assez c’est assez », « assez de discours, des actes ». Sous ces slogans, les mouvements sociaux et ONG présents à Varsovie, constatant l’absence d’avancées répondant au désastre climatique déjà vécu par des millions de personnes, ont quitté la conférence. Une première. L’accord trouvé « in extremis » permet tout juste de poursuivre les négociations.

Des objectifs de réduction d’émissions repoussés... à plus tard

Le nouveau rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) invitait pourtant à s’engager immédiatement sur d’importantes réductions mondiales d’émissions de gaz à effets de serre (GES), sans attendre 2020. Au contraire, l’Australie, le Canada et le Japon ont revu leurs objectifs à la baisse pour 2020, alors que l’Union européenne refuse de revoir les siens à la hausse. Or, en calcul cumulé, ce sont 8 à 12 milliards de tonnes de CO2 qui sont émis en trop chaque année pour ne pas dépasser les 2°C de réchauffement d’ici la fin du siècle (soit environ 20 fois les émissions de CO2 de la France).

Les contours d’un accord pour la période post-2020, accord qui devrait être adopté à Paris en 2015, sont flous et peu convaincants. Les objectifs de réduction d’émission sont en effet repoussés à plus tard et confiés au libre choix de chacun des pays, sans cohérence a priori avec les objectifs globaux à atteindre. Du côté des financements, le Fonds vert pour le climat annoncé en grande pompe chaque année depuis quatre ans n’est toujours pas abondé, tandis que les 100 millions d’euros annoncés pour le fonds d’adaptation ne permettront même pas d’acheter un parapluie à chacun des habitants des pays vulnérables concernés.

En se rapprochant de la position des États-Unis consistant à laisser chaque pays définir lui-même son niveau d’engagement, l’Union européenne perd toute possibilité de « leadership ». Sur le point d’abandonner tout objectif contraignant de développement des énergies renouvelables et d’efficacité énergétique à l’horizon 2030, ne maintenant qu’un objectif très insuffisant de réduction d’émissions de GES – on parle de - 40 % par rapport à 1990 – l’Union européenne sape toute possibilité d’obtenir un accord politique à la hauteur des enjeux. Pour sa part, s’il souhaite réellement un accord permettant de respecter la limite des 2°C, le gouvernement français doit préalablement obtenir une nette revalorisation à la hausse des objectifs du nouveau plan énergie-climat actuellement en discussion à l’échelle de l’UE.

« On ne négocie pas avec le climat »

De la conférence de Varsovie, le gouvernement français doit tirer un autre enseignement. Selon une étude récente publiée par la revue Climatic Change, 90 entreprises sont responsables, à elles seules, des deux-tiers des émissions de gaz à effets de serre émis sur la planète depuis 1854. La conférence de Varsovie a malgré tout été polluée par la présence active de l’industrie des énergies fossiles, favorisée par le gouvernement polonais qui ne cesse de promouvoir le charbon et les gaz de schiste.

Le rapport du GIEC est pourtant explicite à cet égard : il faut résolument réduire, puis abandonner les énergies fossiles – une revendication des mouvements pour la justice climatique. Ces positions opposées sont inconciliables. Nulle négociation ou synthèse avec les lois de la biosphère n’est possible : « on ne négocie pas avec le climat ». À la question du vivre ensemble s’ajoute désormais celle de la préservation de la possibilité d’une vie humaine sur la Terre. La conférence de Paris peut être une immense occasion de redonner un sens politique à ces négociations. Le choix des alliances du gouvernement, en France et dans l’Union européenne, dessinera largement le contenu de l’accord final.

Pour ouvrir la brèche, nous invitons le gouvernement français à étudier et soutenir notre proposition visant à s’inspirer des règles de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour se libérer du poids des intérêts privés. La Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’OMS, entrée en vigueur en 2005, consacre en effet dans le droit international le principe selon lequel l’industrie du tabac ne doit jouer aucun rôle dans l’élaboration des politiques de santé publique, en raison du « conflit fondamental et irréconciliable entre les intérêts de cette industrie et ceux de la politique de santé publique » (article 5.3). Nous considérons qu’il devrait en être de même, dans le cadre de la Convention climat des Nations unies, pour l’ensemble des industries des énergies fossiles et des secteurs les plus émetteurs de gaz à effets de serre. Dans la perspective d’une conférence 2015 placée sous le signe de la justice et de l’ambition climatique, de l’urgence à agir, il s’agit d’une mesure légitime et indispensable.

Geneviève Azam, économiste, porte-parole d’Attac-France
Maxime Combes, économiste, membre d’Attac France
Nicolas Haeringer, membre du Conseil scientifique d’Attac France