Débat public

Citoyens manipulés ou incompétents, fanatisme vert : guérilla médiatique contre la Convention climat

Débat public

par Barnabé Binctin, Olivier Petitjean

L’offensive des industriels contre les propositions de la Convention climat s’est accompagnée d’une véritable guerre des mots pour décrédibiliser les « citoyens » à coups de tribunes, de comparaisons parfois indignes, et de faux experts sur les plateaux télévisés.

Est-ce le processus inédit de la Convention citoyenne pour le climat qui les a pris de court ? Une véritable inquiétude face à l’ambition des mesures proposées ? À l’ordinaire plus coutumiers des couloirs calfeutrés, les lobbys industriels n’ont pas hésité à investir le terrain médiatique pour sonner l’heure de la révolte. Un « backlash  » organisé à grands coups de tribunes enflammées, de déclarations apocalyptiques ou de clash sur Twitter, avec au diapason, une étrange coalition de petits soldats mêlant élus de droite, éditorialistes patentés et intellectuels conservateurs. L’invective y a régné à la hauteur de l’enjeu : aucun mot n’a semblé assez fort pour dénoncer l’hérésie des mesures proposées, autant que l’incurie des commanditaires.

Tour à tour, la Convention citoyenne s’est vue taxée de populisme, de déni de réalité ou même, plus original, d’être « sans rapport ou presque avec le climat ». Procès en incompétence, en illégitimité, en radicalité, en dogmatisme ou en fanatisme, tout y est passé, même les soupçons de complotisme – les citoyens n’ayant pas été « totalement choisis au hasard », au sein d’une assemblée par ailleurs « passablement manipulée » [1].

Les propositions de la Convention climat « transformeraient la France en Venezuela en deux mois »

La Convention citoyenne a donc été accusée de tous les maux : elle augmenterait la fracture sociale et territoriale, nuirait aux plus modestes, abolirait le droit de propriété ou affaiblirait nos institutions démocratiques. Sans oublier toutes ses tares économiques – la baisse de la compétitivité, la menace sur l’emploi ou les risques de faillite – que François Lenglet, chroniqueur sur TF1, résume par la formule suivante : « Ce que vise la convention, c’est revenir à l’économie du confinement à perpétuité. Plus grave encore, la remise en cause de l’innovation  ». Pour Olivier Babeau, directeur de l’Institut Sapiens, un think tank libéral, pas de doute : les propositions des citoyens « transformeraient la France en Venezuela en deux mois ». Au concours Lépine de l’accusation la plus indécente, la palme revient certainement à Jacques Chevalier, journaliste au Point, qui ose toutes les comparaisons : « ‘‘Nuit gravement à la santé’’ est l’étoile jaune du SUV que certains veulent stigmatiser en interdisant même la publicité ».

On en oublierait presque que les propositions formulées par les 150 citoyens n’ont en réalité rien de vraiment révolutionnaire. De l’interdiction de certaines lignes aériennes intérieures à une redevance sur les engrais azotés, une bonne partie avait déjà été avancée – sans succès jusqu’ici – par des parlementaires, des associations voire des organisations publiques. « Dans les sujets retenus, certains sont sur la table depuis un moment et nos clients ont déjà fait passer des messages », admettait récemment un lobbyiste interrogé par le site Contexte.

« Les vrais écologistes, c’est nous »

Fait relativement nouveau, le combat sémantique s’est aussi parfois déporté sur le terrain même de l’écologie. Il suffisait avant de ridiculiser ses adversaires en les traitant de simple « écologistes » – comprendre : au mieux, de doux utopistes, des « cheveux longs-sandales Jésus » comme s’en est amusé un ministre [2] ; au pire, de dangereux esprits dogmatiques. Ce temps-là semble révolu. Désormais, c’est à celui qui sera le « bon », le meilleur écologiste. « C’est une stratégie consciente : rester sur la défensive, derrière le rideau, ne suffit plus, il faut se montrer publiquement comme les « vrais » écologistes, analyse ainsi Cyril Dion, l’un des garants de la Convention citoyenne. Peu importe si c’est faux, l’essentiel est de produire un discours performatif sur le sujet : plus on parle fort, plus on répète, plus on finit par faire l’opinion ». Le réalisateur sait de quoi il parle : il s’est ainsi vu donné la leçon sur Twitter, début janvier, par le ministre de l’Agriculture en personne, Julien Denormandie : « @cdion, la meilleure des écologies, c’est celle qui s’extrait des donneurs de leçons et qui accompagne ceux qui avancent avec conviction. Il y a ceux qui disent et ceux qui font ».

Voici donc l’argument écologiste abondamment récupéré par les forces qui lui sont antagonistes, pour lesquelles il est devenu un outil d’influence important. Les voitures électriques et l’avion vert sont ainsi brandis comme des gages de transformation, en dépit de leur contribution plus qu’incertaine à l’effort climatique. Ce discours « positif » reste un paratonnerre efficace : rien de tel qu’un élan de bonne volonté pour déminer les attaques et démontrer l’inutilité d’une régulation publique trop contraignante.

La guerre des mots menée par les grands médias appartenant à des industriels

Cette guerre des mots contre la Convention citoyenne est restée concentrée dans un petit nombre de médias qui ne sont pas dans leur majorité des titres économiques : les prises de position des opposants aux citoyens apparaissent certes dans Les Échos pour les arguments les plus techniques, mais aussi et surtout dans Le Figaro, L’Opinion, Le Point ou encore sur des chaînes d’information continue comme Cnews ou LCI. Partageant une ligne éditoriale agressivement conservatrice, inspirée de modèles étatsuniens, tous accordent une place disproportionnée aux critiques les plus féroces de la Convention, et mettent en scène des débats pseudo-contradictoires où les citoyens et leurs soutiens sont sous-représentés, voire carrément absents.

Comme par hasard, ces médias sont tous la propriété d’hommes d’affaires et de grands groupes industriels, dont certains comme Dassault (propriétaire du Figaro), Bouygues (TF1 et LCI) ou Vivendi de Vincent Bolloré (propriétaire du groupe Canal+ dont Cnews) sont directement concernés par les propositions de la convention sur l’aviation, les infrastructures et bien évidemment la publicité. Selon nos informations, le groupe TF1 fait lui-même du lobbying contre les propositions des « citoyens » via le cabinet Boury Tallon. Les propositions des « citoyens » de limiter la publicité pour les véhicules les plus polluants ou pour la malbouffe – autant d’annonceurs importants – touchent la principale ressource des grands médias, en particulier les chaînes de télévision.

Qui sont les « experts » opposés aux citoyens ?

« On sait très bien que ce genre d’assemblée de gens, qui ne sont pas des experts, peut être manipulée de diverses façons », tonnait ainsi Yves Calvi sur CNews, devant un plateau de « vrais experts »... ayant tous des liens avec l’industrie [3]. C’est le cas de beaucoup des personnes « compétentes » qui se sont lancées en invectives dans les médias contre ces citoyens qui osent donner leur avis sur les moyens de s’attaquer à l’urgence climatique. Employés de think tanks financés par les grandes entreprises comme l’institut Montaigne ou Fondapol, chroniqueurs régulièrement invités dans les médias exerçant parallèlement des activités de lobbying, comme Philippe Manière du cabinet Vae Solis, scientifiques omettant de mentionner leurs collaborations avec EDF, Total ou l’industrie aéronautique... La complaisance de certains médias permet aux industriels de faire passer leurs messages en les dotant d’une aura d’objectivité.

Et pour les titres de presse qui maintiennent une certaine rigueur, il suffit de cacher ses liens d’intérêts. C’est ce qu’ont fait Jérôme Batout et Michel Guilbaud cosignataires d’une tribune dans Le Monde sur la nécessaire prudence en matière d’écologie, où ils se présentent comme deux « entrepreneurs ». En réalité, ils sont aussi et surtout les deux fondateurs-dirigeants du cabinet de lobbying Batout-Guilbaud, qui compte actuellement AirFrance parmi ses principaux clients... Dans ce domaine, les obligations de transparence sont inexistantes [4]

Tel est le rouleau compresseur médiatique qui a été déployé ces derniers mois contre la Convention climat, non sans succès. Entre Emmanuel Macron ressortant du placard les clichés anti-écolos sur la « lampe à huile » et les « Amish », le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari dénonçant « l’aviation-bashing », ou Julien Denormandie accusant une « écologie de l’injonction », les éléments de langage anti-« citoyens » concoctés par les industriels et leurs lobbyistes ont été repris jusqu’au plus haut niveau de l’État.

Barnabé Binctin et Olivier Petitjean

Dessin : Rodho

À lire : "Lobbys contre citoyens. Qui veut la peau de la convention climat", rapport de l’Observatoire des multinationales (pdf, 21 pages).

Notes

[1Sources des citations : cet article et celui-ci.

[2Lire cet article de Contexte

[4Le collège de déontologie du ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur vient d’ailleurs de rendre un avis sur ce problème, recommandant à tous les universitaires publiant des tribunes dans la presse de divulguer leurs liens d’intérêts éventuels. Voir cet article.