États généraux

Cette profonde transition dont l’agriculture a besoin

États généraux

par Rédaction

L’une des grandes absentes de cette présidentielle aura été l’agriculture. Face à l’incapacité des politiques à réformer le système agricole, plus de 10 organisations associatives appellent, dès le lendemain du deuxième tour, à la mise en place d’états généraux de l’agriculture et de l’aménagement rural. En vue de faire émerger un véritable pacte agricole.

Si les Français aiment l’agriculture et en ont une bonne image, ils sont en revanche 93 % à souhaiter une évolution du système actuel au profit de pratiques qui réduiraient l’utilisation des engrais et des pesticides dans un souci de limiter la pollution de l’eau, de l’air, des sols et les risques pour la santé, ou même à souhaiter un modèle basé sur l’agriculture biologique, majoritairement à base de produits locaux.

Face à cette demande massive de changement du modèle agricole, force est de constater que peu de progrès ont été accomplis ces dernières années. Les déclarations intempestives opposant environnement et agriculture ont enterré les derniers espoirs suscités par le Grenelle, dont les premiers résultats en matière d’agriculture sont d’ailleurs très décevants : + 2,6 % d’utilisation de pesticides sur la période 2008-2010 alors que le plan Ecophyto en prévoit… la diminution de 50 % d’ici à 2018 !

De même, la part de la surface agricole en mode de production biologique est passée de 2 % à 3 % de 2007 à 2010… Un progrès, certes, mais on est loin des 6 % en 2012 prévus par le Grenelle de l’environnement ! Dans ce contexte, les 20 % d’agriculture bio prévus pour 2020 apparaissent comme totalement hors de portée ! Pourtant, on peut noter que la surface agricole utile en agrocarburants est passée en cinq ans à 6 % avec les moyens financiers adéquats.

Pourquoi un tel échec ?

Il est clair que cette incapacité à réformer notre système agricole est liée à un vrai manque de courage politique pour sortir d’une cogestion des affaires avec le syndicat majoritaire depuis plus d’un demi-siècle. Cette cogestion qui rend l’État impuissant permet, certes, d’acheter la « paix sociale » avec ledit syndicat, mais ne répond en rien aux demandes légitimes de la société en matière de production agricole et d’alimentation.

Pouvons-nous continuer ainsi longtemps à tolérer un écart toujours plus grand entre les attentes de la population et les politiques agricoles mises en œuvre, alors même qu’une toute petite partie des agriculteurs est très largement subventionnée par des fonds publics et touche environ plus de 80 % des 10 milliards d’euros de subventions par an (Insee) dans le cadre de la Politique agricole commune ?

Le temps du changement

Cette situation n’est évidemment plus supportable. Au contraire, les signataires de cette tribune pensent que le moment est venu pour notre agriculture d’accomplir la véritable mutation que tant attendent et que nécessite l’urgence climatique et environnementale. Alors que notre pays traverse une séquence électorale qui va dessiner les grandes lignes de ses politiques publiques pour les cinq prochaines années, les deux candidats à l’élection présidentielle doivent aller bien au-delà des vagues promesses et prendre des engagements clairs sur quelques points fondamentaux pour réorienter notre politique agricole.

Ainsi, nous attendons d’eux la reconnaissance de modes d’agriculture productive à faible utilisation d’intrants chimiques et à forte valeur sociale (pour des systèmes économes et autonomes). Et nous souhaitons qu’ils s’engagent à les promouvoir en priorité sur l’ensemble des territoires français, en remplacement des pratiques actuelles. Nous demandons également une reconnaissance claire de l’agriculture biologique comme agriculture à part entière, avec un objectif de 20 % en 2020 et la mise en place d’un comité interministériel (environnement, alimentation, santé) qui devra écrire avec les professionnels concernés un plan d’action à cinq ans.

Des évolutions institutionnelles doivent également intervenir comme l’évolution du ministère de l’Agriculture en ministère de l’Alimentation et du Développement rural, ou encore la fin de la cogestion comme seul mode de décision. Une réforme de la gouvernance des chambres d’agriculture devra être engagée. De même, des engagements clairs doivent être pris par les candidats quant à la position française sur la PAC, qui doit être en rupture avec celle proposée et intégrer l’environnement et l’emploi dans ses critères d’attribution des aides.

Pour un pacte agricole

Mais, au-delà de ces quelques mesures fortes, à engager prioritairement, il convient d’aller plus loin pour réformer en profondeur le système agricole français. Ces quelques mesures, fussent-elles excellentes, ne peuvent pas, à elles seules, suffire à réaliser cette profonde transition dont l’agriculture a besoin. Pour retisser les liens entre la société française et ses agriculteurs, il conviendra de lancer un grand chantier de refondation du contrat qui les lient.

Nous proposons donc aujourd’hui aux deux candidats de s’engager sans détour en faveur de la tenue dans les trois mois d’états généraux de l’agriculture et de l’aménagement rural.

Réunissant autour de la table toutes les parties prenantes, selon le modèle de la gouvernance ouverte mise en œuvre pendant le Grenelle de l’environnement, en concertation avec les Régions, qui devront tenir demain un rôle clé dans ce domaine, ces états généraux devront permettre de faire émerger des solutions efficaces pour la décennie à venir.

Il y a urgence car, face à la raréfaction du pétrole, au dérèglement climatique, à la souffrance paysanne, notre pays a plus que jamais besoin d’un pacte agricole susceptible de promouvoir une agriculture vivrière et structurante pour les territoires, rémunératrice pour les agriculteurs, respectueuse des sols, de l’eau, de l’air, de la biodiversité, à forte valeur patrimoniale, créatrice d’emplois, porteuse d’innovations et source de santé pour nos citoyens.

À l’initiative de l’appel :
Serge Orru, directeur général, WWF France ;
Dominique Marion, président, Fédération nationale d’agriculture biologique ;
François Veillerette, porte-parole, Générations futures ;
Olivier Belval, président, Union nationale de l’apiculture française ;
Paul François, président, Phytovictimes ;
Cyril Dion, directeur, Colibris ;
Christian Pacteau, Ligue pour la protection des oiseaux ;
Franck Laval, président, Écologie sans frontière ;
Philippe Desbrosses, Intelligence verte ;
Stephen Kerckove, Agir pour l’environnement.

L’appel a initialement été publié ici.