Nouvelle année

Cet espoir improbable, ce nouveau récit, c’est vous qui le ferez surgir en 2021

Nouvelle année

par Ivan du Roy

Les crises et régressions que nous connaissons ne disparaîtront pas en 2021. Pourtant, l’avenir n’est pas forcément aussi sombre qu’il n’y paraît.

L’improbable peut changer le cours de l’histoire, nous rappelle Edgar Morin, qui fêtera ses 100 ans en 2021. D’improbable, nous en aurons bien besoin cette année qui vient. Le monde vacille, titube, et pas seulement du fait de la pandémie de Covid. L’année 2020 a été la plus chaude enregistrée en France depuis 1900. Le climat continue de se réchauffer. La baisse des émissions de gaz à effet de serre liée aux confinements n’est, pour le moment, qu’une parenthèse.

L’augmentation des inégalités n’a, elle, pas connu de pause. Les dix personnes les plus riches du monde ont accru leurs fortunes, déjà considérables, de 400 milliards de dollars depuis le début de le printemps. Parmi elles, Jeff Bezos (patron d’Amazon), Larry Page (Google), Mark Zuckerberg (Facebook) et le français Bernard Arnault (LVMH), qui a doublé sa fortune – de 69 à 148 milliards – depuis mars. En France, de l’autre côté de la pyramide sociale, le nombre de personnes qui ne disposent que du RSA pour (sur)vivre dépasse désormais les deux millions, avec 100 000 allocataires supplémentaires en six mois (le montant du RSA est de 564 euros par mois pour une personne). La pauvreté augmente partout dans le monde. Les régimes autoritaires et les dictatures ne sont plus ébranlés, comme il y a dix ans avec le printemps arabe. Et l’Europe s’habitue peu à peu aux drames qui se produisent quotidiennement à ses portes : chaque jour, trois personnes perdent la vie en tentant de franchir la Méditerranée, alors qu’elles rêvaient d’un monde meilleur.

« J’ai vécu le somnambulisme dans la marche au désastre des années 1930. Aujourd’hui, les périls sont tout autres, mais non moins énormes, et un nouveau somnambulisme nous assujettit », nous prévient Edgar Morin [1]. « Les espoirs d’un grand réveil écologique, d’une grande réforme de la mondialisation, qui a créé une interdépendance généralisée sans aucune solidarité, décroissent partout. Il y a retombée, non pas dans un statu quo antérieur, mais dans un processus de régression. »

En France, ce processus de régression se traduit par une pernicieuse remise en cause de nos libertés. Du fait de la violence terroriste puis de la crise sanitaire, nous vivons depuis cinq ans sous le régime de l’état d’urgence. Avec la nouvelle loi de sécurité globale et le durcissement des stratégies de maintien de l’ordre, l’année 2021 ne s’ouvre pas sous de meilleures auspices. L’historienne Danielle Tartakowsky, que vous lirez cette semaine dans Basta! décèle « une espèce d’acclimatation à une violence, révélatrice d’une société en tension et fruit de la désespérance ». « La société française est confrontée depuis 2015 à un regain de violence inédit depuis la guerre d’Algérie, qu’il s’agisse de violence sociale en miroir à la violence néolibérale, de violence terroriste, de violence à l’encontre de migrants qu’on laisse se noyer par centaines », nous dit-elle.

Oasis de résistance de vie et de pensée

Le tableau de 2021 semble bien sombre. Et pourtant. Une multitude de dynamiques d’émancipation et de mouvements de résistance, tous autant improbables, ont vu le jour : la révolution féministe qui se diffuse depuis #Metoo (dont le dernier épisode est la légalisation du droit à l’avortement en Argentine), les marches pour le climat, les ZAD, ces multitudes de réseaux de solidarités qui se sont constitués pour venir en aide aux exilés, ces actions qui se sont mises en place pendant le confinement (comme à Marseille), les mobilisations de l’été contre les violences policières puis de cet hiver contre les lois liberticides, et cette révolte sociale diffuse – et parfois confuse – qu’a été le mouvement des gilets jaunes.

« Je crois en la nécessité d’organiser et de fédérer des oasis de résistance de vie et de pensée, de continuer à montrer la possibilité de changer de voie », continue de nous dire Edgar Morin. Comme lui, l’écrivain Alain Damasio, que Basta! avait rencontré il y a un an, voyait dans ces mouvements émergents une pluralité d’îlots, prémices à la constitution d’archipels, eux-mêmes incarnant de nouveaux horizons de changement : « L’Homme est pluriel, il faut permettre à tous ces archipels d’exister. C’est la seule manière de retourner progressivement le capitalisme et d’amener autre chose. »

Cette pluralité de pensées, de parcours, d’actions et de lieux est nécessaire pour ne pas réinventer une pensée unique. « Chaque fois qu’on a voulu le faire, cela a abouti à une catastrophe », avertit Damasio. L’écrivaine Alice Zeniter, que nous avons récemment interviewée, lui fait écho : « Pour qu’il y ait vraiment un « Grand Soir », à l’époque de la mondialisation, il faudrait que la révolution ait lieu à divers endroits du monde. Mais comment faire, alors, pour que cela ne se transforme pas en taboulé politique répugnant ? Sans les extrémistes religieux, sans les homophobes, sans les racistes, sans les misogynes ? »

Vous avez là ce à quoi va s’attacher Basta! en 2021 : décrire ces oasis de résistance de vie et de pensée qui s’organisent, raconter ces archipels qui se constituent au gré de manifestations, de grèves, de mouvements, de nouvelles ZAD, de réseaux de solidarité, des imaginations créatrices de nouvelles solutions... Et mettre en garde contre tout risque de « taboulé politique répugnant ». Cet improbable qui nous redonnera espoir, ce nouveau récit, c’est vous qui le ferez surgir en 2021 et nous qui le raconterons.

Ivan du Roy

Notes

[1Lire son entretien du 20 novembre dans Le Monde.